CITE DU VATICAN, Jeudi 10 avril 2003 (ZENIT.org) – « Ne laissons pas la guerre diviser les religions »: cet appel de Jean-Paul II aux évêques d’Indonésie est choisi par L’Osservatore Romano pour sa traduction intégrale du discours du pape lors de la visite ad limina (cf. www.vatican.va).
« L’engagement de l’Eglise dans le domaine de l’éducation est l’une des plus grandes contributions à la société indonésienne » , souligne le pape.
Dans la matinée du samedi 29 mars 2003, Jean-Paul II a reçu en audience, dans la Salle Clémentine, les évêques d’Indonésie en visite « ad limina Apostolorum ». Les prêtres, les religieux et les fidèles indonésiens qui vivent à Rome étaient également présents lors de la rencontre. Au cours de l’audience, le Saint-Père a prononcé le discours suivant:
Chers frères évêques!
1. « A vous grâce et paix de par Dieu, notre Père, et le Seigneur Jésus-Christ! » (1 Co 1, 3). Avec ces paroles de saint Paul, et avec affection dans le Seigneur, je vous souhaite la bienvenue Evêques de l’Indonésie, à l’occasion de votre visite ad limina Apostolorum. A travers vous, j’embrasse également en esprit les prêtres, les religieux et les laïcs de vos Eglises particulières. Avoir accompli un aussi long voyage pour vous agenouiller devant les tombes des Apôtres, pour vous unir dans la prière avec le Successeur de Pierre et le rencontrer, témoigne du caractère universel de l’Eglise. En tant que Successeurs des Apôtres, dont le témoignage du Christ crucifié et Ressuscité est le fondement solide de la proclamation, de la part de l’Eglise, de l’Evangile à chaque époque et en chaque lieu, vous êtes venus pour confirmer votre communion dans la foi et dans la charité. Je rends grâce à Dieu car, en ces temps difficiles, vous avez réussi à accomplir ce pèlerinage pour partager la foi, l’expérience et les choix de vos communautés locales, ainsi que les défis que vous devez affronter. Puissent les fruits de nos rencontres enrichir l’Eglise qui est en Indonésie et nourrir votre ministère pastoral!
2. Votre enseignement contribue à faire en sorte que l’Eglise se trouve en première ligne dans la promotion de la paix et de l’harmonie, dans un pays composé de nombreux groupes différents. En effet, votre Conférence cherche à refléter la devise Bihneka Tungal Ika, « unité dans la diversité », qu’on retrouve sur vos armes nationales. Vos origines ethniques et culturelles diverses, rassemblées dans une atmosphère de foi, de dialogue et de confiance réciproque, peuvent représenter un modèle d’espérance pour toute l’Indonésie. Au début d’une nouvelle ère, l’Indonésie doit affronter le défi de construire une société fondée sur les principes démocratiques de la liberté et de l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur langue, leur race, leur origine ethnique, leur héritage culturel ou leur religion. Je n’ai aucun doute quant au fait que l’Eglise continuera à être activement engagée dans cet effort, en encourageant tous les peuples à s’unir pour faire face à leurs responsabilités civiques à travers le dialogue et l’ouverture, en évitant tout type de préjugé ou de sectarisme. Le développement d’une société qui incarne ces idéaux démocratiques aidera à freiner la violence préoccupante qui a malheureusement frappé votre pays au cours des dernières années.
La liberté religieuse, qui a toujours été une caractéristique traditionnelle de la société indonésienne, est garantie par la Constitution de la Nation. L’Eglise doit toujours demeurer vigilante, dans le but d’assurer que ce principe soit respecté, aussi bien au niveau fédéral que local. Je souhaite que ces efforts aident à créer une atmosphère dans laquelle le respect pour la souveraineté du droit devienne la nouvelle mentalité dans l’objectif de parvenir à une société démocratique tolérante et non violente. Ce premier pas important commence par une formation humaine adaptée. Comme je l’ai dit dans ma Lettre encyclique Centesimus annus, assister « l’individu à travers l’éducation et la formation dans les idéaux authentiques » est un élément nécessaire pour la création d’un ordre civique caractérisé par une authentique préoccupation pour le bien commun (cf. n. 46). A ce propos, il faut prêter une attention particulière aux pauvres. L’Eglise est profondément concernée car « le progrès des pauvres est une grande chance pour la croissance morale, culturelle et même économique de toute l’humanité » (ibid., n. 28). Le message du Christ étant un message d’espérance, ses disciples doivent toujours faire en sorte que les moins chanceux parmi nous, quelle que soit leur religion ou leurs origines ethniques, soient traités avec la dignité et le respect que l’Evangile exige. Promouvoir les droits fondamentaux des faibles est un chemin qui a fait ses preuves pour aller vers une société stable et productive. L’Eglise est appelée à « rester aux côtés des foules pauvres, à discerner la justice de leurs revendications, à contribuer à les satisfaire, sans perdre de vue le bien des groupes dans le cadre du bien commun » (cf. Sollicitudo rei socialis, n. 39).
3. L’une des méthodes la plus efficace par laquelle la communauté chrétienne peut aider les pauvres est l’éducation. Dans ce domaine, ainsi que face à son système impressionnant d’organismes de charité, on doit faire l’éloge de l’Eglise d’Indonésie. Bien que les catholiques ne représentent qu’une petite partie de la population, ils ont développé un système scolaire vaste et respecté. L’engagement de l’Eglise dans le domaine de l’éducation est reconnu comme l’une des plus grandes contributions que vous ayez apportée à la société indonésienne, et il demeure certainement un moyen efficace pour transmettre les valeurs évangéliques. L’éducation catholique, en tant que partie importante de la mission catéchétique et évangélisatrice de l’Eglise, doit se fonder sur une philosophie dans laquelle la foi et la culture soient réunies en une unité harmonieuse. (cf. Congrégation pour l’Education catholique, La dimension religieuse de l’éducation dans l’école catholique, n. 34). Vos efforts afin de préserver les écoles catholiques, en particulier dans les régions pauvres non catholiques, tout en faisant face aux difficultés économiques, démontrent votre ferme engagement pour une solidarité pluriculturelle et l’exigence de l’amour évangélique pour tous. Bien qu’il soit encourageant d’observer le taux élevé d’alphabétisation de la population, on ne peut qu’être alarmé par le grand nombre de jeunes qui ne poursuivent pas leurs études dans les écoles secondaires. Vos jeunes doivent être encouragés a ne pas renoncer à l’instruction pour suivre l’appel d’un matérialisme superficiel et éphémère. A ce propos, je désire également souligner le travail essentiel accompli par les catéchistes dans des pays comme l’Indonésie, où les fidèles constituent une toute petite minorité. L’impossibilité d’accéder à l’éducation catholique dans certaines régions pauvres, ainsi qu’un milieu parfois en conflit avec le christianisme, voire hostile, fait apparaître l’exigence d’offrir des programmes sérieux de formation catéchétique pour les jeunes et les personnes âgées. La communauté ecclésiale a la responsabilité d’assurer que ses membres soient accueillis dans « un milieu où ils pourront vivre le plus pleinement possible ce qu’ils ont appris » (Catechesis tradendae, n. 24). La catéchèse est un devoir de toute la communauté de foi et une extension du ministère de la Parole confié à l’Evêque et à son clergé. Il s’agit d’une responsabilité ecclésiastique qui exige une formation doctrinale et pédagogique adaptée. Je vous encourage à offrir tout le soutien possible à ceux qui ont assumé volontairement la tâche difficile d’offrir ce service fondamental, pour lequel l’Eglise tout entière est reconnaissante.
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br> 4. Depuis longtemps, votre Conférence épiscopale a reconnu que l’évangélisation va de pair avec l’oeuvre profonde, graduelle et exigeante de l’inculturation. La vérité de l’Evangile doit toujours être proclamée de façon persuasive et incisive. Cela est particulièrement important dans une société complexe comme la vôtre où, dans certaines zones, le catholicisme est parfois considéré avec méfiance par certains groupes. Vous avez la tâche délicate de faire en sorte que l’Evangile conserve sa signification profonde, valable pour chaque peuple et chaque culture, tout en le communiquant d’une façon qui soit attentive aux valeurs traditionnelles et à la famille. Comme je l’ai dit à l’occasion de ma visite pastorale en Indonésie en 1989, « l’exemple du Christ et le pouvoir de son Mystère pascal imprègnent, purifient et élèvent toutes les cultures » (Homélie à Yogyakarta, le 10 octobre 1989; cf. ORLF n. 43 du 24 octobre 1989).
Le succès de l’inculturation dépend des couples et des familles qui incarnent la vision chrétienne de leur vocation et de leur responsabilité. Je vous encourage donc à continuer à promouvoir les valeurs traditionnelles de la famille si étroitement liées à la culture asiatique (cf. Ecclesia in Asia, n. 6), en communiquant aux couples et aux familles la vie nouvelle qui vient de l’Evangile. Les graves préoccupations pour les menaces croissantes contre la vie familiale que vous avez exprimées en de nombreuses occasions ne doivent pas être négligées. Une véritable « conjuration contre la vie » (cf. Evangelium vitae, n. 17) et contre la famille apparaît sous de multiples formes: avortement, permissivité sexuelle, pornographie, abus de drogues et pressions pour adopter des méthodes moralement inacceptables de contrôle démographique. Malgré les difficultés pour faire obstacle à ces tendances dans une société non chrétienne, vous êtes les premiers appelés, en tant qu’évêques, à devenir les « annonciateurs inlassables de l’Evangile de la vie » (Evangelium vitae, n. 82). A chaque époque, la voix prophétique de l’Eglise doit proclamer avec force l’exigence de respecter et de promouvoir la loi divine écrite dans chaque coeur (cf. Rm 2, 15). A travers l’écoute, le dialogue et le discernement, les évêques doivent aider leur troupeau à vivre l’Evangile de façon à ce qu’il soit pleinement compatible avec le dépôt de la foi et les liens de communion ecclésiale (cf. Redemptoris missio, n. 54).
5. Comme certains d’entre vous l’ont observé, l’Eglise qui est en Indonésie est une Eglise qui vit et qui souffre avec la population, en affrontant les défis qui naissent du contact quotidien avec une société non chrétienne. Il s’agit d’une communauté qui cherche une voie de développement humain dans le contexte de l’harmonie et de la tolérance religieuse, en offrant et en recevant beaucoup dans un milieu culturel complexe. Dans votre pays, il existe déjà un niveau louable de dialogue interreligieux sur le plan institutionnel. Cet échange réciproque d’expériences religieuses a trouvé son expression concrète dans les projets caritatifs interreligieux et dans la collaboration qui a commencé, en particulier à la suite des catastrophes naturelles. Même dans les régions à majorité musulmane l’Eglise est activement présente dans les orphelinats, dans les cliniques et dans les institutions consacrées à l’aide des opprimés. Il s’agit d’une merveilleuse expression de la nature infinie de l’amour de Dieu; un amour qui s’adresse à tous et non à quelques-uns.
Je désire vous assurer ici de ma profonde sollicitude à l’égard du bien-aimé peuple indonésien, en ce moment de tension accrue dans toute la Communauté internationale. Il ne faut jamais permettre à la guerre de diviser les religions du monde. Je vous encourage à accueillir ce moment bouleversant comme une occasion pour travailler ensemble, comme des frères engagés pour la paix, avec votre peuple, avec ceux qui appartiennent à d’autres confessions religieuses et avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, dans le but d’assurer la compréhension, la collaboration et la solidarité. Ne permettons pas à une tragédie humaine de devenir également une catastrophe religieuse (cf. Discours à la délégation interreligieuse de l’Indonésie, 20 février 2003; cf. ORLF n. 9 du 4 mars 2003)!
Dans le même temps, je suis bien conscient que certains secteurs de la communauté chrétienne de votre pays ont subi des discriminations et sont l’objet de préjugés, alors que d’autres ont été victimes d’actes de destruction et de vandalisme. Dans certaines régions, on a refusé aux communautés chrétiennes le permis de construire des lieux de dévotion et de prière. L’Indonésie, en même temps que la Communauté internationale, a récemment été horrifiée face aux nombreuses victimes provoquées par un attentat terroriste à la bombe, à Bali. Mais il faut faire attention à ne pas céder à la tentation de définir des groupes entiers de personnes en fonction des actions d’une minorité extrémiste. La religion authentique ne soutient pas le terrorisme ou la violence, mais cherche à promouvoir de toutes les façons possibles l’unité et la paix de toute la famille humaine.
6. Du fait que les chrétiens représentent une très petite minorité dans votre pays, ils sont appelés de façon particulière à être le « levain dans la pâte » (cf. Mt 13, 33). Malgré les difficultés et les sacrifices, vos prêtres et vos religieux continuent à témoigner chaque jour de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, en rapprochant de nombreuses personnes de l’Evangile. Du fait que « l’Eglise en Asie se trouve parmi les peuples qui témoignent d’un intense désir de Dieu » (Ecclesia in Asia, n. 9), vous êtes appelés à trouver des façons concrètes de répondre à ce désir. En effet, vos efforts pour promouvoir les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse reflètent votre conscience de ce devoir. Je désire vous féliciter pour votre constance qui vise à préserver les niveaux élevés de l’éducation et de la formation dans les séminaires et dans les maisons religieuses. La sollicitude et l’attention démontrées dans le choix et dans la formation des candidats au sacerdoce et à la vie religieuse s’effectuent toujours au bénéfice de l’Eglise locale.
La formation et le développement spirituel étant des processus qui se poursuivent pendant toute la vie, les évêques ont la responsabilité fondamentale d’aider leurs prêtres en mettant à leur disposition des programmes de formation permanente, des retraites et des temps de prière et de fraternité. Un élément important de cette formation, qu’elle soit initiale ou permanente, est une préparation adaptée dans le domaine de la théologie et de la spiritualité de la liturgie. « La liturgie est la source et le sommet de toute vie et de toute mission chrétiennes; c’est un moyen fondamental d’évangélisation, spécialement en Asie où les adeptes de diverses religions sont si attirés par le culte, par les festivités religieuses et par des dévotions populaires » (Ecclesia in Asia, n. 22). Il faut donner à vos prêtres l’opportunité d’être nourris par cette liturgie, ainsi que la capacité à apporter sa richesse aux autres, afin que sa profondeur, sa beauté et son mystère continuent à resplendir.
Le soutien spirituel et moral que vous donnez aux religieux et aux religieuses de vos diocèses représente également une partie significative de votre ministère épiscopal. Les membres des Instituts religieux ont joué un rôle indispensable en apportant la Bonne Nouvelle aux hommes et aux femmes de l’Indonésie et, en particulier, aux pauvres et aux laissés-pour-compte. Dans ce travail important, ils doivent toujours être aidés à renforcer leur consécration au Seigneur à travers leur façon de vivre quotidiennement les conseils évangéliques. « Tous ceux qui se sont engagés dans la vie consacrée sont appelés à devenir des guides sur les chemins de la recherche
de Dieu, une recherche qui a toujours rendu inquiet le coeur de l’homme et qui est particulièrement perceptible en Asie à travers les nombreuses voies spirituelles et ascétiques » (Ecclesia in Asia, n. 44). C’est pour cette raison que les religieux jouent un rôle essentiel dans l’engagement total de l’Eglise au service de l’évangélisation.
7. Chers évêques, c’est dans un esprit de foi et de communion que je vous ai fait part de ces réflexions sur certains aspects de la sollicitude pour le bien-aimé Peuple de Dieu en Indonésie. A travers votre présence, je me sens très proche des fidèles indonésiens et, en ce moment d’incertitude, ma prière fervente est que ces derniers soient affermis dans le Christ. Je vous confie tous à l’intercession de Marie, Reine du Rosaire, qui embrasse tous ceux qui s’adressent à Elle dans l’affliction et qui ne manque jamais de demander qu’ils soient libérés du mal. Dans l’amour de Jésus-Christ, je vous donne, ainsi qu’aux fidèles de vos diocèses, ma Bénédiction apostolique.
(© L’Osservatore Romano – 8 avril 2003)