ROME, mercredi 25 décembre 2002 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une réflexion du p. Thomas Rosica, C.S.B., Directeur National des JMJ de Toronto (juillet 2002) sur le sens de Noël.
« La liturgie de Noël est l’un de ces moments magiques dans notre tradition chrétienne. Qui parmi nous n’est pas captivé par la naissance d’un bébé, né de parents simples, pauvres, dans un petit village pratiquement perdu dans l’ombre ? Le puissant message de cette grande fête que nous sommes sur le point de célébrer montre clairement que l’histoire de la naissance d’un enfant dans une étable n’était pas un récit idyllique de campagne. Jésus est né dans un monde dans lequel le salut et la paix semblaient déjà acquis (au moins en apparence).
La République Romaine n’existait plus. César Auguste était devenu empereur et Pontife Suprême. Il s’est présenté comme un dieu. Le grand poète romain Virgile, dans ses Eglogues, avait salué Auguste comme le héraut d’un nouvel âge. On construisait des monuments en honneur de la naissance d’Auguste comme marquant l’arrivée de la bonne nouvelle pour le monde. Un monument érigé en Asie Mineur proclamait César Auguste comme le « Sauveur du monde ». C’est dans ce contexte que l’évangéliste Luc place la naissance de Jésus. Nous connaissons si bien son récit de l’Enfance (Luc 2) que nous oublions souvent ce qu’il y a au coeur de son message d’une simplicité trompeuse.
Luc nous dit que la paix régnait au temps d’Auguste mais la paix, dans le sens qu’il n’y avait pas de guerre. Ce que Luc veut dire en réalité c’est que la propagande de l’empire était hypocrite ! La paix régnait, certes, en apparence, mais la guerre bouillonnait sous la surface. La société au temps d’Auguste était une société aliénée : un monde divisé entre les conquérants et les victimes, les occupants et les occupés, les très riches et les pauvres qui mouraient de faim, les personnes libres et le nombre grandissant d’esclaves. Cette aliénation n’existait pas seulement dans les structures de péché de la société mais aussi dans les cœurs des personnes. Le vieil esprit romain était mort. Les vertus romaines avaient disparu et l’on avait proclamé la mort des dieux romains. La paix régnait, en surface, mais au-dessous il y avait une instabilité politique, sociale, économique et spirituelle. Les gens de l’époque avaient soif d’un vrai sens de salut, de paix, de plénitude, d’harmonie et de guérison. Et tout cela est résumé dans le mot hébreu « shalom ».
L’histoire de Luc est l’histoire de Dieu qui écrit droit avec nos lignes humaines, courbes. Au-delà du charme de l’histoire, le message de Luc est clair : aucun événement dans notre histoire peuplée d’ombres n’est étranger à la venu du Sauveur. Aucun pouvoir, si violent et oppressant soit-il, n’échappe à la portée des desseins de Dieu. L’histoire de la naissance de Jésus, de l’Evangile de Luc est un appel au monde entier, et pas seulement à Israël, à accueillir la naissance du Fils de David. Nous sommes invités à suivre les bergers et les rois, les saints et les pécheurs, et ce long cortège de témoins de toutes les générations, qui cherchent la lumière dans les ténèbres et partagent leur message de bonne nouvelle dans un monde plongé dans les ténèbres.
Et pourtant il y a un paradoxe énorme et terrifiant au cœur de l’histoire de l’évangile : ce grand héros de la lignée de David hérite du trône de son ancêtre, sous la forme d’un tout petit bébé impuissant, enveloppé de langes, couché dans une mangeoire (2, 12). La naissance de Jésus annonçait le début de la vie dans le monde de la mort, l’espérance contre toute peur, la promesse de la lumière éternelle au cœur de tant de ténèbre, la consolation de la vérité contre le désespoir.
Ceux qui acceptent ce paradoxe sont invités à y conformer leurs attitudes les plus profondes, à la lumière de la croix et de la résurrection.
Le message de l’Incarnation n’est pas une invitation à contempler un bébé innocent couché dans une mangeoire mais plutôt à prendre place aux côtés de Dieu qui appelle à la réforme et ébranle le status quo. C’est une invitation de Dieu à devenir des instruments de dialogue et de paix. L’enfant de Bethléhem devient plus tard « Ecce Homo », l’homme de la croix de Jérusalem.
L’histoire de Noël est avant tout une vision de comment Dieu est présent dans le monde. Ce ne sont pas les structures du pouvoir politique ou ecclésiastique du monde qui donnent le salut et la paix. Les histoires de Noël nous posent une question : Est-ce que nous partageons leur vision de la vie et de la paix qui trouve son expression dans la vie d’un homme en particulier ? Pouvons-nous faire de cette vision de la vie, de la paix et de la plénitude, notre vision, une réalité vivante dans nos propres vies ? La naissance de Jésus à Noël nous rappelle que la paix véritable implique une acceptation totale et inconditionnelle de Dieu au cœur de nos propres ambiguïtés et de nos ténèbres. La vraie paix de Noël est donnée à tous ceux qui aspirent à la guérison, au pardon, à la rédemption, à la réconciliation, à l’unité, à la justice et à la paix, chaque jour de leur vie. Ce sont les fils et les filles du bon plaisir de Dieu, ceux que Dieu préfèrent vraiment. Ce sont les vrais amis du Seigneur qui l’accompagneront sur la route de Jérusalem.
Le drame de la naissance de Jésus nous rappelle que l’élite et les puissants, ceux qui bénéficiaient le plus du status quo, étaient les moins ouverts à l’irruption du Royaume de Dieu, à de nouvelles visions, à des solutions aux injustices et aux angoisses de ce monde. Qui a tout compris au début ? Des bergers, qui se trouvaient dans leurs champs, aux alentours de Bethléem, quelques sages venus de l’est, un couple de juifs âgés et pieux qui attendaient avec impatience le salut d’Israël, jour et nuit dans le Temple. Et maintenant, peut-être nous aussi.
A Noël nous sommes invités à retrouver l’innocence et l’espérance d’un enfant. Mais cet enfant au-dedans de nous n’est pas un enfant impuissant, incapable de parler, totalement dépendant des autres. Cet enfant au-dedans de nous est notre moi adulte transformé par Dieu. La naissance de Jésus à Bethléem a changé le cours de l’histoire du monde et a donné à cette histoire une nouvelle direction et un nouveau sens. La nuit de Noël, dans l’obscurité de la prière et dans le mystère de ce miracle, Jésus nous donne une nouvelle orientation et une nouvelle vision. Il est la lumière dans nos ténèbres. Il est notre paix. Au cours de cette Sainte Nuit ce n’est pas un trône nouveau, puissant et glorieux d’où notre Dieu règnera sur nous que nous recevons, mais deux moyens par lesquels Dieu règnera parmi nous : le berceau de Bethléem et la croix de Jérusalem. On ne peut pas avoir un trône sans l’autre. Ils sont inséparables.
La Parole n’est pas devenue une philosophie, une théorie ou un concept à discuter, débattre, soumettre à l’exégèse ou méditer, à travers le miracle et le mystère de l’Incarnation. La Parole est devenue une personne à suivre, apprécier et aimer ! Nous avons le droit de fantasmer sur ses rêves révolutionnaires d’un monde de paix et de justice, d’un monde où personne ne pleure et personne n’a faim… d’un monde où la seule occupation est celle de Dieu qui s’occupe du cœur de l’homme. Mais Noël nous demande avant tout de croire à son rêve révolutionnaire et de le mettre en pratique chaque jour.
Le vrai travail de Noël commence quand nous accompagnons l’enfant Jésus de Bethléem à Nazareth, à Capharnaüm et à Jérusalem. Noël ne nous demande pas de faire comme si nous étions à Bethléem, à genoux devant la mangeoire. Il nous demande de reconnaître qu
e le bois de la mangeoire est devenu le bois de la croix ; que l’enfant de Bethléem est l’Homme de Jérusalem, l’Homme des Douleurs et de la Croix, celui qui donne sa vie pour nous, celui qui est notre guide et notre modèle.