CITE DU VATICAN, Vendredi 29 mars 2002 (ZENIT.org ) – Voici une transcription et traduction de l´homélie du prédicateur de la Maison pontificale, le P. Raniero Cantalamessa, capucin, au cours de la célébration de la Passion, cet après-midi, en la basilique Saint-Pierre, sur le thème du salut universel apporté par le Christ et les religions non-chrétiennes.
Le pape Jean-Paul II présidait la célébration, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la congragation pour la Doctrine de la foi officiait.
Lors de la vénération de la croix, le cardinal Ratzinger est allé présenter le Crucifix au pape qui l´a embrassé trois fois.
Au cours de l´intercesison, le pape priait: « Paix à toi, Jérusalem, ville aimée du Seigneur »!
Dans son homélie, le P. Cantalamessa commençait par évoquer le jour où le pape Sixte V a fait placer l´obélisque du cirque de Néron au milieu de la Place Saint-Pierre. Il ajoutait (les intertitres sont le la rédaction):
Le vrai obélisque, centre de tout
« Mais chaque année en ce jour nous chrétiens, nous revivons le moment où a été planté au centre de l´Eglise le vrai obélisque, le mât principal de la barque de Pierre, qui marque le centre de tout: la Croix!
J´attirerai les hommes à moi
Méditons, vénérables pères et frères, une parole du Christ sur la Croix: Jean 12, 32: « Quand je serai élévé de terre, j´attirerai à moi tous les hommes ». Mais on n´a pas fini de prononcer cette phrase que surgit immédiatement l´objection: vingt siècles sont passés depuis ce jour-là, et il ne semble pas, Seigneur, que tu aies attiré à toi tous les hommes. Combien de régions de l´humanité ne te connaissent encore pas! De là cette prière voilée de déception que l´on entend parfois faire par des croyants: « Pour le moment, Seigneur, nous ne voyons pas que tu attires tous les hommes à toi, c´est pourquoi nous te prions de hâter le jour où vraiment tu les attireras tous à toi ».
La souffrance, sacrement universel du salut
Mais sommes-nous sûrs d´avoir bien regardé? Cela n´a pas été de la part de Jésus un voeu pieux qui attend encore d´être réalisé. Il a toujours été réalisé, dès le moment où il a été élevé de terre. Qui peut connaître les voies infinies que le Christ crucifié a d´attirer tous les hommes à lui? Une voie est la souffrance humaine: il a pris sur lui nos douleurs. « Vere dolores nostros ipse portavit ». A partir du moment où Jésus l´a prise sur lui et rachetée, la douleur est aussi à sa façon un sacrement universel du salut. Universel parce qu´elle ne connaît pas même la distinction entre le Premier ou le Tiers monde ou l´hémisphère Nord et l´hémisphère Sud: on la trouve sous toutes les latitudes.
Toute souffrance, pas seulement celle des croyants
Celui qui s´est plongé dans les eux du Jourdain et les a purifiées pour tous les baptêmes, s´est aussi plongé dans les eaux de la tribulation et de la mort, en en faisant un instrument de salut potentiel. 1 Pi 4, 1: « Celui qui a souffert dans son corps a rompu définitivement avec le péché ». Souffrir, a écrit le Saint-Père dans la Lettre apostolique Salvifici Doloris, signifie devenir particulièrement sensibles, particulièrement ouverts à l´oeuvre des forces de salut de Dieu offertes à l´humanité dans le Christ. Dans cette souffrance rédemptrice, ajoute le Saint-Père, le Christ s´est ouvert dès le commencement et s´ouvre constamment, à toute souffrance humaine. Mystérieusement donc, toute souffrance, et pas seulement celle des croyants, accomplit ce qui manque à la Passion du Christ.
Attirer aux autres
Un autre moyen que le Christ à d´attirer à lui est d´attirer aux autres, vers qui a faim, a soif, est malade, prisonnier, étranger, persécuté pour la justice, sans défense. « Vous l´avez fait à moi ». Et ce chemin-là n´est pas non plus limité à nous, les croyants. Le concile affirme que l´Esprit Saint donne à tout homme la possibilité de venir en contact, de la façon que Dieu connaît, avec le mystère pascal. Comment cela se produit est connu de Dieu seul. Mais que cela advient est connu aussi de nous, si nous savons lire les paroles du Christ.
Les religions non-chrétiennes
Mais nous arrivons, vénérables pères et frères, à la question la plus actuelle: pouvons-nous admettre qu´il y ait une autre voie encore par laquelle le Christ attire à lui tous les hommes? Et c´est-à-dire à travers ce qu´il y a de vrai et de valide dans les autres religions? Le concile et le magistère n´ont pas exclu cette possibilité qui est maintenant activement explorée par la théologie.
Positivement voulues par Dieu
La préoccupation pour le moment est de reconnaître aux autres religions une existence non seulement de fait, dans le plan divin du salut, mais aussi de droit, de façon à retenir qu´elles sont non seulement tolérées, mais aussi positivement voulues par Dieu, comme l´expression de l´inépuisable richesse de sa grâce et de sa volonté que tous les hommes soient sauvés.
Pas détaché du mystère pascal
Ceux qui vivent au contact direct des grandes religions non-chrétiennes témoignent en effet du bien qu´en reçoivent des centaines de millions de personnes, et la vie spirituelle profonde de prière qu´elles alimentent dans le peuple. Le point délicat est de savoir si cette reconnaissance nous oblige à détacher les autres religions du Christ incarné et de son mystère pascal. Certains le pensent, et mettent en rapport les éléments de bien et de vrai contenus dans les autres religions avec le Verbe éternel, l´Esprit de Dieu. En tant que personnes de la Trinité, affirme-t-on, ceux-ci opéraient dans le monde avant la venue du Christ et continuent d´agir encore après sa résurrection, non en dépendance du mystère du Christ, mais parallèlement à lui, dans un rapport de complémentarité, non de subordination.
Le sang d´un Dieu fait homme
Mais nous devons nous poser une question: pour reconnaître aux autres religions une dignité propre et une existence de droit dans le plan divin de salut, est-il nécessaire de les détacher du mystère pascal du Christ? Ou peut-on obtenir le même résultat en les maintenant en rapport avec celui-ci? (…) Si nous croyons que le sang versé sur la Croix est le sang d´un Dieu fait homme, nous ne trouvons pas exagérée l´affirmation qu´une seule goutte de celui-ci peut sauver le monde entier(…).
Le soleil de l´humanité
Pensons-y donc bien, cela je le dis humblement à nos frères théologiens, avant d´accomplir un pas d´une portée aussi incalculable, le philosophe qui, au siècle dernier, a proclamé: « Dieu est mort! Nous l´avons tué! « , comme s´il se rendait compte des conséquences de ce fait, a écrit immédiatement après, dans la même page de son oeuvre: « Qu´avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de son soleil? Dans quelle direction se meut-elle maintenant, loin de tout soleil? Est-ce que nous ne nous précipitons pas toujours davantage, et en arrière, de côté, en avant, de tout côté? » Evitons de répéter la même erreur, en détachant une grande partie de l´humanité de son soleil qui est le Christ.
Une messe sur le monde
Au cours de la controverse janséniste, la mode était aux crucifix aux bras reserrés, quasi parallèles au corps, qui créaient un espace très limité. C´était pour affirmer que le Christ n´était pas mort pour tous, mais seulement pour le petit nombre des élus et des prédestinés. Terrible conviction, que l´Eglise a rejetée péniblement. Ne retournons pas aux crucifix aux bras reserrés, conservons-lui les bras étendus pour embrasser le monde entier, conservons à l´événement du Calvaire sa dimension cosmique. Ce qui s´est célébré sur le Golgotha le premier Vendredi saint, et que nous célébrons chaque année en ce jour, c´est vraiment une messe sur le monde.
Une certain droit
Une ch
ose est sûre et c´est de là que doit partir toute théologie chrétienne des religions – je ne dis pas tout dialogue interrligieux, mais je dis toute théologie chrétienne des religions – la chose sûre est la suivante : le Christ a donné sa vie par amour de tous les hommes, parce que tous sont les créatures de son Père et ses frères. Il n´a pas fait de distinctions, son offrande de salut elle-même, au moins cela est sûr, est universelle. Le tort le plus grand, lorsqu´on lui soustrait la majeure partie de l´humanité, ce n´est pas au Christ qu´on le fait, ou à l´Eglise, mais à l´humanité même. Il n´est pas possible de partir de l´affirmation que le Christ est l´offre de salut, suprême, définitive, normative, faite par Dieu au monde, sans en même temps reconnaître, en tant que chrétiens, une exigence, et même un droit de tous d´appartenir d´une certaine manière à cette voie, et de bénéficier de ce salut. Autrement, oui, Dieu ferait acception de personnes et ne donnerait pas à tous les mêmes possibilités.
Le Dieu caché, humble dans la création
Mais on se demande s´il est réaliste de continuer à croire dans une présence mystérieuse et une influence du Christ dans des religions qui existent depuis bien avant lui et qui ne ressentent aucun besoin, après vingt siècles, d´accueillir son Evangile? Il y a dans la Bible un élément qui peut nous aider à donner une réponse à cette objection. L´humilité de Dieu, la cachette de Dieu. « Tu es un Dieu qui se cache, Dieu d´Israël Sauveur. Vere tu es Deus absconditus ». Dieu est humble dans sa création. Il ne met pas son étiquette sur tout comme le font les hommes. Dans les créatures, il n´y a pas écrit qu´elles sont faites par Dieu: « Made by God », ou « Made in Heaven »! Il les laisse le découvrir. Il y a du vrai dans l´affirmation du poète Hölderlin: « Dieu crée le monde comme l´océan fait les continents: en se retirant! » Combien de temps a-t-il fallu pour que l´homme reconnaisse à qui il devait l´être? Qui avait créé pour lui le ciel et la terre? Combien en faudra-t-il encore pour que tous arrivent à la connaître? Est-ce que Dieu cesse pour autant d´être le Créateur de tout? Cesse-t-il de réchauffer de son soleil qui le connaît et qui ne le connaît pas?
Le Dieu caché, humble dans la Rédemption
Il arrive la même chose dans la Rédemption. Dieu est humble dans la Création et il est humble dans le salut. Le Christ est plus préoccupé que tous soient sauvés que de ce qu´ils sachent tous qui est leur Sauveur. « Latens Deitas. Divinité qui se cache », c´est le Christ aussi dans l´Eucharistie. L´émerveillement le plus grand, vénérables pères et frères, au moment de passer de la foi à la vision, ce ne sera pas pour nous de découvrir la toute-puissance de Dieu, mais son humilité. En ce jour du maximum de l´occultation de Dieu sur la Croix, maintenons donc ferme la profession de notre foi, comme nous y a exhortés la lettre aux Hébreux de la deuxième lecture: « Teneamus confessionem ». Revenons proclamer avec Jean : Il est victime d´expiation pour nos péchés et pas seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. Un est mort pour tous. Par l´obéissance d´un seul tous seront constitués justes. Le courage qu´il faut aujourd´hui pour croire dans l´universalité de la Rédemption du Christ n´est rien à côté du courage qu´il fallait à l´apôtre lorsqu´il écrivait ces paroles. Un psaume dit de Sion : « Voilà la Philistie, Tyr et l´Ethiopie, chacun est né là-bas. Le Seigneur écrira au livre des peuples: celui-ci est né là-bas ». Tout cela s´est réalisé dans l´événement du Calvaire: nous sommes tous nés là.
Le souffle universel du Vendredi Saint
De là le souffle universel qui caractérise les rites du Vendredi saint. Dans la prière universelle nous prions bientôt pour tous les hommes te toutes les femmes du monde, parce que nous croyons que pour tous le Christ est mort. Le commandement du Christ reste toujours de rigueur: "Allez dans le monde entier, proclamez l´Evangile à toute créature ». Elle reste ouverte la mission auprès des nations, elle n´aurait plus raison d´être si l´Evangile n´était pas destiné à toutes les nations. Nous devons seulement passer de la motivation négative à la motivation positive: ne pas baser notre évangélisation sur la pensée que s´ils n´arrivent pas à connaître le Christ les gens se damnent, mais sur la pensée de partager, le désir de partager avec tous les hommes du monde le don immense que le Christ est pour nous.
Entre ces bras ouverts sur la croix, frère lointain, une place pour toi
Le pluralisme religieux ne consiste pas dans le fait de retenir toutes les religions également vraies: cela serait pour tous du relativisme, mais dans le fait de reconnaître à chacun le droit de tenir pour vraie sa propre religion, et de la diffuser par des moyens pacifiques dignes d´une religion. Pierre recommande aux chrétiens: « avec douceur et respect ». Et nous pouvons ajouter: « dans l´esprit de la rencontre d´Assise », du 24 janvier dernier.
Ce qui doit nous préoccuper davantage du reste, vénérables pères et frères, ce n´est pas le salut de qui ne connaît pas le Christ, mais celui de qui le connaît, et vit comme s´il ne l´avait jamais connu, en oubliant son propre baptême, Dieu, l´Eglise, tout.
A ceux-ci l´Eglise fait aujourd´hui parvenir cette invitation pressante: « Laissez-vous réconcilier avec Dieu. Entre ces bras grand ouverts sur la croix, frère lointain, il y a une place aussi pour toi ».
Rachel et Agar pleurent leurs enfants
Concluons par une prière: « Continue, Seigneur, à attirer tous les hommes à toi, qui te connaît et qui ne te connaît pas. Que ton esprit continue à mettre tout homme et toute femme, d´une façon que toi seul connais, en contact avec ton mystère pascal de mort et de résurrection. Et puisque la Philistie, Tyr et l´Ethiopie, tous sont nés là-bas, nous te prions en particulier pour le peuple Palestinien, et pour le peuple d´Israël. Que cesse la violence dans la ville baignée par ton sang. Un cri s´est fait entendre dans Rama, des pleurs, une grande lamentation, Rachel pleure ses enfants, et elle ne veut pas être consolés (Jérémie – Lamentations et Matthieu). Rachel pleure ses enfants mais aussi Agar, la mère d´Ismaël pleure ses enfants. Que devant une telle tragédie, les grands de la terre n´imitent pas Pilate qui se lave les mains. Seigneur, Dieu, toi qui es humble, plie l´orgueil des hommes. Bénis les initiatives en acte pour rapporter la paix dans ta terre et dans tout le reste du monde. Ecoute-nous Seigneur, écoute-nous ».