Mgr Paul Rouhana, O.L.M. © catholique95.fr

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La Parole de Dieu pour aimer Dieu et son prochain

Homélie de Son Excellence Mgr Paul Rouhana, O.L.M., membre désigné au Synode des évêques et Vicaire patriarcal maronite

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Nous publions l’homélie de Son Excellence Mgr Paul Rouhana, O.L.M., membre désigné au Synode des évêques, vicaire patriarcal maronite, région de Sarba -Liban. Il l’a prononcée lors de la messe célébrée selon le rite de l’Église syro-antiochienne maronite. Cette célébration s’est tenue dans le cadre de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, le mercredi 9 octobre en la basilique Saint-Pierre. (texte intégral)

 

Chers participants à la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques !

1- Je suis profondément ému de me retrouver avec vous tous, à cette Assemblée synodale, entre frères et sœurs en Christ, venus des cinq continents de la planète pour nous réunir, ici à Rome, sous la vigilance (l’épiskopé) de son évêque, le pape François, dont l’Église, celle de Rome, fondée par l’apostolat et le martyre de Pierre et Paul, « préside dans la charité », selon la belle expression d’Ignace d’Antioche, qui fut l’un des premiers évêques de ce siège apostolique, de culture grecque et araméenne. Les péripéties de l’histoire ont fait que cinq rameaux se réclament aujourd’hui de ce siège : les Grecs orthodoxes et les Grecs melkites catholiques, les Syriaques orthodoxes et les Syriaques catholiques, et les Maronites. Il est bon de rappeler au passage que « c’est à Antioche que, pour la première fois, le nom de « chrétiens » fut donné aux disciples. » (cf. Ac 11, 26). Cette nouvelle appellation désigne notre unité en Jésus-Christ, dans la diversité de nos charismes, parce que nous avons été baptisés en Lui. Ayant revêtu Christ dans notre baptême, selon l’apôtre Paul, nous sommes appelés à nous libérer des discriminations séparatrices que nous avons dressées entre nous au cours de l’histoire, tels des obstacles qui blessent notre unité en Christ et qui occultent notre vocation originelle d’hommes et de femmes créés égaux à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Ga 3, 27 ; Gn 1, 26-27).

2- Au début de cette homélie, permettez-moi d’évoquer un souvenir ecclésial et personnel, qui remonte au 9 octobre 1977. Évoquer ce souvenir peut avoir une incidence spirituelle sur notre cheminement synodal en cours. Ce jour-là, le pape Paul VI (futur saint) a célébré dans cette Basilique la canonisation de saint Charbel Makhlouf, un moine ermite libanais (1828-1898), issu de l’Ordre Libanais Maronite, après l’avoir béatifié à Rome le 5 décembre 1965 à la clôture du concile Vatican II. Étant moi-même à l’époque un jeune profès de 23 ans dans le susdit Ordre, j’ai eu la chance inouïe de participer comme musicien à la canonisation de ce moine ermite, dont la réputation de sainteté a largement dépassé les frontières de notre pays, où les fidèles n’ont pas tardé par ailleurs à le baptiser comme « le saint patron du Liban ». Avec la même émotion et ferveur, notre Église se prépare à la célébration par le pape François, le dimanche 20 octobre, de la messe de canonisation de onze martyrs pour la foi connus sous l’appellation « martyrs de Damas » en 1860 : 8 religieux franciscains et trois laïcs maronites, les frères Massabki.

Face à l’atrocité de la guerre, qui fait rage depuis le 7 octobre 2023 en Terre Sainte, avec des proliférations au Liban et dans d’autres pays de la région, pour les raisons qu’on connaît, rien de plus poignant que de donner lecture d’un extrait de la lettre du pape François qu’il vient d’envoyer le 7 octobre courant aux catholiques du Moyen-Orient : « ... Il y a un an, la mèche de la haine a été allumée ; elle ne s’est pas éteinte, mais s’est embrasée dans une spirale de violence, dans l’incapacité honteuse de la communauté internationale et des pays les plus puissants à faire taire les armes et à mettre fin à la tragédie de la guerre. Le sang coule, les larmes aussi, la colère augmente, tout comme le désir de vengeance, alors qu’il semble que peu se soucient de ce qui est le plus nécessaire et de ce que les gens veulent : le dialogue, la paix. Je ne me lasse pas de répéter que la guerre est une défaite, que les armes ne construisent pas l’avenir mais le détruisent, que la violence n’apporte jamais la paix. L’histoire le démontre et pourtant, des années et des années de conflits semblent ne nous avoir rien enseigné. »

3- Tenant compte de l’état de guerre et de violence dans plusieurs coins du monde, signifiant par là un échec et une rupture du dialogue, conduisant à un rejet monstrueux de toute convivialité sociétale, quel serait le message prophétique que nous livrent les saints en temps de crise ? Comment nous initier à leur exemple de messagers authentifiés de Dieu, au vrai sens de la paix, qui est selon le pape Benoît XVI « l’état de l’homme qui vit en harmonie avec Dieu, avec lui-même, avec son prochain et avec la nature. Avant d’être extérieure, la paix est intérieure. » ? (cf. Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale sur l’Église au Moyen- Orient, communion et témoignage, § 9).

 

Les contemplatifs en synergie avec la Parole de Dieu

4- Les saints, qu’ils soient dans la vie apostolique ou contemplative, comme saint Charbel, sont tout d’abord nos maîtres dans l’écoute de la Parole de Dieu, celle- ci étant le fondement de notre cheminement synodal. Ils sont nos maîtres en prenant le temps de ‘ruminer’ cette parole, de la savourer à l’exemple de Marie, sœur de Marthe, qui s’était assise aux pieds du Seigneur pour écouter sa parole, en quête, comme elle, de la meilleure part qui ne leur sera pas enlevée (cf. Lc 10, 38-42). Ces hommes de Dieu nous apprennent à nous laisser séduire par Lui ; à l’instar du prophète Jérémie, qui s’exclame : « Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire. Tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort. » (cf. Jr 20, 7).

5- A leur exemple, nous faisons confiance à la Parole de Dieu, comparée au grain dans la Parabole évangélique du semeur ; une parole qui cherche patiemment, en respectant le rythme et le terroir culturel de chacun, à ensemencer ce terroir ou substrat humain, individuel et collectif, dans l’intention de faire de nous des collaborateurs de Dieu pour propager l’évangile du salut en Jésus-Christ (Cf. Mt 13, 1-9 ; 18-23 ; Mc 4, 1-9 ; 13-20 ; Lc 8, 4-8 ; 11-15). Cette collaboration fonde en quelque sorte le cheminement synodal aux plans vertical et horizontal, avec Dieu et avec le prochain.

6- Qui dit collaboration dit aussi synergie entre la grâce divine contenue dans la parole divine et notre volonté humaine, au point où le disciple-missionnaire de Jésus tiendra cette Parole, tel un musicien, comme un « diapason », sur lequel il accorde sa pensée et sa conduite, voire tout son être (cf. Ps 1, 2). Grâce à cette synergie, le chrétien peut espérer un dépassement progressif du dilemme existentiel et douloureux, tel que mentionné par Paul entre vouloir et pouvoir (cf. Rm 7, 19), si bien qu’on serait capable de faire le bien qu’on veut ou que l’on désire et d’éviter le mal qu’on ne veut pas. C’est dans ce sens que le message chrétien, au regard du pape Benoît XVI, cesse d’être seulement ‘informatif’ pour devenir aussi ‘performatif’, « en ce sens qu’il n’est pas uniquement un savoir, mais un savoir qui change la vie. » (cf. Benoît XVI, Spe salvi, § 2). Il est beau de constater par ailleurs les fruits de cette synergie créatrice et féconde dont témoigne cette ancienne prière syro-antiochienne maronite que le célébrant récite après la fraction du pain eucharistique, en disant : « Seigneur, Tu as uni ta divinité à notre humanité et notre humanité à ta divinité ; ta vie à notre mort et notre mort à ta vie. Tu as assumé ce qui est à nous en nous offrant ce qui est à toi, pour nous vivifier et nous sauver. A toi la gloire à jamais. » Pour toutes ces considérations, il convient de se rappeler tout au long de notre cheminement synodal, que l’avenir de nos Églises et de nos pays respectifs, notamment ceux en temps de crise, ne doit pas être tributaire des seuls calculs et analyses géostratégiques et géopolitiques. C’est que l’Église, comme famille de Jésus, est avant tout la communauté de « ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique. » (cf. Lc 8, 21).

 

Nourris de la Parole de Dieu pour aimer Dieu et le prochain

7- Nourris de la Parole de Dieu à l’école des saints, les chrétiens en cheminement synodal se rappelleront aussi sans se lasser l’enseignement révolutionnaire de Jésus en vertu duquel l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont inséparables, et s’interpellent en permanence, étant les deux facettes d’un seul commandement (cf. Lc 10, 25-28). A la lumière de cet enseignement, brillamment explicité dans la parabole lucanienne du bon Samaritain, un chrétien ne se pose pas la question : « Qui est mon prochain ? », de peur de le choisir d’après ses propres intérêts. Il se retrouve plutôt dans la question de Jésus au légiste, que je formule librement sous cette manière :

« Suis-je en mesure d’être le prochain de toute victime que je rencontre par hasard, abstraction faite de son origine, et dont je prends soin jusqu’à ce qu’elle recouvre la santé ? » (cf. Lc 10, 29-37). Au regard de Jésus, être le prochain de toute victime nous fait participer de la miséricorde de Dieu : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (cf Lc 6, 36). On en devient capable justement en vertu de la synergie divino-humaine, qui fait dilater le cœur au-delà de ses limites habituelles pour être témoin et instrument de la miséricorde divine en temps de crise. La parabole du Bon Samaritain demeurera notre boussole pour témoigner d’une synodalité solidaire auprès des laissés pour compte, victimes d’injustice, de pauvreté et d’insécurité ; notre devise étant celle du pape Benoît XVI dans sa première lettre encyclique : Deus caritas est : « Un cœur qui voit. Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence. »1 Porté par cet amour, on comprendra mieux le sens de l’enseignement de saint Vincent-de-Paul : « Quitter l’oraison pour se rendre au chevet d’un malade, c’est ‘quitter Dieu pour Dieu’. »

8- Pèlerins de « l’espérance qui ne déçoit pas » (cf. Rm 5, 5), prions le Seigneur ressuscité, présent dans son Église, comme il nous l’a promis (cf. Mt 28, 20), afin que nous poursuivions sous son regard, aujourd’hui et tout le long du Jubilé de l’année 2025, notre parcours synodal de disciples missionnaires en temps de crise, par l’intercession de sa mère et notre mère, Marie Toute sainte, des saints et martyrs de tous les temps. A leur suite, nous osons dire : « Christ ressuscité ! Vraiment ressuscité ! » Amen.

 

1 Dans son commentaire de la parabole du Bon Samaritain, le pape Benoît XVI nous laisse ces paroles lumineuses : « Nous ne contribuons à un monde meilleur qu’en faisant le bien, maintenant et personnellement, passionnément, partout où cela est possible, indépendamment des stratégies et de programmes de partis. Le programme du chrétien – le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est « un cœur qui voit ». Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et il agit en conséquence. » ; Cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est, n° 31 b.

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Rédaction

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