Thérèse de Lisieux a manifesté un grand amour du Cœur de Jésus, alors qu’elle était parfois réservée sur certaines formes que prenait cette dévotion à son époque. Mais il est certain que sa spiritualité a été fortement influencée par la « sainte de Paray. »
Pour éclairer l’importance du « Cœur de Jésus » dans la vie et la spiritualité de Thérèse de Lisieux, il est bon d’évoquer brièvement le contexte dans lequel elle a grandi, et les liens qu’elle a tissés, toute petite déjà, avec Sainte Marguerite-Marie, et à travers elle, avec le message de Paray-le-Monial.1
La famille Martin, comme le Carmel de Lisieux, étaient inconditionnellement favorables à la dévotion au Sacré-Cœur, en pleine expansion en cette fin du 19e siècle après l’institution de la Fête du Sacré-Cœur pour toute l’Église, en 1856, et la béatification de Marguerite-Marie, le 18 septembre 1864, qui contribua ainsi à faire connaître la Sainte beaucoup plus largement. Rappelons que Thérèse Martin est née en 1873, année qui correspond au début de l’affluence de foules immenses à Paray-le-Monial, à l’occasion des grands pèlerinages organisés de 1873 à 1875, pour le bicentenaire des Apparitions.
La famille Martin imprégnée de la spiritualité de la Visitation
Par ailleurs, la famille Martin était bien imprégnée de la spiritualité de la Visitation, et cela pour plusieurs raisons :
- Marie-Dosithée Guérin, la tante de Thérèse Martin, l’unique sœur de sa mère qu’elle aimait beaucoup, était visitandine.
- Pauline et Marie, ses sœurs, futures éducatrices de Thérèse, ont passé de longues années au pensionnat de la Visitation du Mans.
- Quant à l’autre sœur, Léonie, qui entra à la Visitation, elle avait été guérie dans son enfance après avoir invoqué la Bienheureuse Marguerite-Marie, comme lui rappela Thérèse, carmélite, dans sa correspondance : « Tu me dis dans ta lettre de prier la Bienheureuse Marguerite-Marie pour qu’elle t’obtienne de devenir une sainte visitandine, je n’y manque jamais un seul jour. »
Plus marquant encore, Thérèse de Lisieux gardait dans sa cellule, parmi les très rares livres dont elle disposait, le ‘Petit bréviaire du Sacré-Cœur de Jésus’ (édité à Nancy, en 1882). Et l’on sait qu’à l’oraison, elle lisait volontiers ce livre bourré de citations de Sainte Marguerite Marie, qu’elle gardera avec elle durant sa dernière maladie. Il est clair que ces lectures ont influencé la spiritualité de Thérèse de Lisieux. C’est de ce livre en particulier, qu’elle tira une parole de lumière qui va ‘résonner doucement à l’oreille de son âme, comme elle l’écrit : « Voici le Maître que je te donne, il t’apprendra tout ce que tu dois faire. Je viens te faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d’Amour. »
De la justice à la miséricorde
A l’époque de Thérèse, on était très conscient de la Justice de Dieu, marqué par la crainte du Dieu juge, à qui rien n’échappe, qui récompense ou punit selon nos mérites. Pour payer la rançon des autres, racheter des âmes certaines religieuses « s’offraient comme victimes à la Justice de Dieu, afin de détourner et d’attirer sur elles les châtiments réservés aux coupables ». C’est le cas, par exemple, de Mère Agnès de Jésus, du Carmel de Langeac, dont on avait lu l’histoire au réfectoire l’année précédente mais aussi au sein même du Carmel de Lisieux, de Sœur Marie de la Croix qui était morte en 1882, après 33 ans de souffrances, et plus proche de Thérèse encore, sa chère mère Geneviève.
Si Thérèse respecte profondément cette offrande, elle garde une réserve : « Cette offrande me semblait grande et généreuse, mais j’étais loin de me sentir portée à la faire. Oh ! mon Dieu m’écriai je au fond de mon cœur, n’y a-t-il que votre Justice qui recevra des âmes s’immolant en victimes ?… Votre Amour miséricordieux n’en a-t-il pas besoin lui aussi ? » Pour Thérèse, ce qui importe, ce n’est pas de craindre Jésus, mais de « comprendre que Jésus désire être aimé. »
Une douleur devant la solitude de Jésus
Et que constate-t-elle de la part des hommes : l’indifférence… L’amour de Jésus est « de toutes parts méconnu – rejeté – méprisé. » On reconnaît là la proximité avec la plainte que Jésus a exprimé à Sœur Marguerite-Marie. « L’amour n’est pas aimé » ; criait déjà Saint François, au 13e siècle, en parcourant les rues d’Assise.
Mendiants de bonheur, les hommes « se tournent vers les créatures, » alors qu’il existe un « Amour infini » qui a besoin de « se prodiguer » et de « laisser déborder un torrent de grâces. » Le cœur de Thérèse ressent une douleur poignante devant la solitude de Jésus, contraint, faute d’accueil, de « comprimer les flots d’infinies tendresses qui sont en lui. » Thérèse a saisi en profondeur que ce n’est pas la justice divine qui a le plus besoin de compréhension et de réponse, mais bien « la tendresse infinie de Dieu, son Amour miséricordieux ». « Si votre Justice aime à se décharger, elle qui ne s’étend que sur la terre, combien plus votre Amour Miséricordieux désire-t-il embraser les âmes, puisque votre miséricorde s’élève jusqu’aux cieux… »
Père Francis Kohn
*Extrait de la conférence donnée le 18 octobre 1997 (triduum)
1 Le Père Conrad de Meester. ocd, a apporté un éclairage intéressant à celle question lors de son intervention au colloque de Paray-le-Monial (octobre 1995) : « Le Cœur de Thérèse de Lisieux et le Cœur de Jésus ».