Meurtre d’Abel, détail de mosaïque, cathédrale Santa Maria Nuova, Monreale, Sicile (Italie)

Meurtre d’Abel, détail de mosaïque, cathédrale Santa Maria Nuova, Monreale, Sicile (Italie)

De la continuité vers la plénitude

Relecture de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine du Concile Vatican II 

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Le 4e chapitre de la constitution Dei Verbum insiste ici sur les racines vétérotestamentaires de l’Église. Le commentaire ci-dessous rappelle le contexte historique, ancien et récent, qui affecte les pays d’ancienne chrétienté : le Concile répond à des hérésies de type gnostique qui rejettent le judaïsme. Notre auteur met en exergue les racines de ces hérésies et développe les références citées par le Concile qui fondent l’unité des deux Testaments. 

Chapitre IV L’Ancien Testament

14. « Dieu, projetant et préparant en la sollicitude de son amour extrême le salut de tout le genre humain, se choisit, selon une disposition particulière, un peuple auquel confier la promesse… L’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l’Ancien Testament comme la vraie parole de Dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable… ». Il était important que le Concile rappelât l’élection d’Israël, fondée sur le don de la Révélation. Car d’une part cela confirmait bien que le Verbe s’est fait chair et non pas livre, ici au travers d’un peuple avant que cela ne vise un homme particulier. Et d’autre part, le Concile évoquait la spécificité du peuple juif, d’une manière positive, alors que vingt ans plus tôt, s’écroulait le régime nazi, qui s’était servi de cette spécificité pour l’abominable Shoah. 

Cette idéologie était allée jusqu’à susciter chez un certain nombre de protestants allemands le rejet des origines juives du christianisme (les « deutsche Christen »). Le protestantisme traditionnel le condamna cependant à Barmen dans un synode clandestin tenu le 31 mai 1934. Au travers d’une confession de foi, il déclara hérétiques les membres de cette Église nationale. Mais cette confession, malheureusement, ne mentionne pas la question des racines juives du christianisme. L’article 24 du programme du parti national-socialiste parlait « d’une chrétienté positive ». Sous couvert de ne pas vouloir s’attaquer aux religions qui comptaient beaucoup en Allemagne, Hitler était avancé « masqué ». Il n’avait que mépris pour le christianisme, le considérant comme une sorte de sous-produit juif. 

Dans un contexte d’antisémitisme 

Il suivait les théories du maître spirituel à penser du nazisme, Alfred Rosenberg. Pour lui, le christianisme était une invention du juif pharisien, Saul de Tarse devenu Paul. Rosenberg allait jusqu’à soutenir que Jésus n’était pas Juif ! Il fallait « désenjuiver »la religion chrétienne, et pour cela supprimer l’Ancien Testament de la Bible. Dans son ouvrage Le mythe du XXe siècle (1930), il écrit : « En 150, le grec Marcion défend l’idée nordique d’un ordre du monde reposant sur une tension organique et des hiérarchies, en opposition avec la représentation sémitique d’une puissance divine arbitraire et de son despotisme sans limite. Pour cette raison il rejette aussi le « livre de la loi » d’une telle divinité, c’est à dire l’ancien testament hébreu ».

Il n’est pas inutile de rappeler aussi qu’au début de l’année 1962, quelques mois avant l’ouverture du Concile, l’État d’Israël avait été gravement attaqué par la Syrie. Cette action poursuivait et confirmait la volonté des voisins arabes de cette époque de détruire ce nouvel État. Il était clair pour beaucoup que la Palestine allait demeurer pour longtemps un foyer de conflits qui ferait ressurgir d’une manière ou d’une autre l’antisémitisme.

Importance de l’Ancien Testament pour les chrétiens

15. Il est important de voir écrit par un concile : « L’économie de l’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur du monde… Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes… ». Est souligné ici le caractère irremplaçable de l’Ancien Testament. Il enseigne les différentes formes que peut revêtir la présence de Dieu parmi les hommes à différentes époques. Il la manifeste au travers des genres littéraires variés que peut prendre la parole humaine ou encore des nombreuses règles qui régissent une société. 

En affirmant que « les livres de l’Ancien Testament sont témoins de la pédagogie divine », le Concile nous renvoie à la célèbre encyclique de Pie XI, Mit brennender Sorge (10 mars 1937). Son exhortation est toujours actuelle, à cause de l’ignorance persistante de l’Ancien Testament dans le peuple catholique. Elle rappelait d’abord que bien souvent ces textes montraient comment « la lumière divine du plan sauveur … triomphe finalement des fautes et de tous les péchés ». Elle ajoute immédiatement : 

« C’est précisément sur ce fond souvent obscur que ressort dans de plus frappantes perspectives la pédagogie du salut de l’Éternel, tour à tour avertissant, admonestant, frappant, relevant et béatifiant ses élus. Seuls l’aveuglement et l’orgueil peuvent fermer les yeux devant les trésors d’enseignement sauveur que recèle l’Ancien Testament. Qui veut voir bannies de l’Église et de l’école l’histoire biblique et la sagesse des doctrines de l’Ancien Testament blasphème le Nom de Dieu, blasphème le plan de salut du Tout-Puissant, érige une pensée humaine étroite et limitée en juge des desseins divins sur l’histoire du monde. Il renie la foi au Christ véritable, tel qu’il est apparu dans la chair, au Christ qui a reçu son humaine nature d’un peuple qui devait le crucifier. Il demeure sans rien y comprendre devant le drame universel du Fils de Dieu, qui opposait au sacrilège de ses bourreaux la divine action sacerdotale de sa mort rédemptrice, donnant ainsi, dans la nouvelle alliance, son accomplissement, son terme et son couronnement de l’ancienne ». (Mit brennender Sorge, n. 19)

Ce rappel peut-être un peu long du texte de Pie XI de 1937 contre le nazisme a l’avantage de montrer la continuité de l’enseignement de l’Église, ainsi que son actualité ! Les prédicateurs et les théologiens catholiques contemporains auraient avantage à y réfléchir !

Les relents du marcionisme

La tentative de soustraire l’Ancien Testament de la Bible chrétienne est en effet fort ancienne. L’exégète romain Marcion (qui plaisait tant à Rosenberg) fut condamné par le pape en 144 pour cela et pour le projet de « purifier » le christianisme de tout élément juif. Avant Rosenberg, Marcion allait jusqu’à prétendre que le Nouveau Testament lui-même en avait été infecté. Il élimina donc certains livres et en corrigea d’autres. Il ne garda que l’Évangile de Luc, remanié, et les épîtres de Paul. En réalité, il fit tout cela à cause de son gnosticisme, ce qui l’amena à nier l’Incarnation et à adopter le docétisme. 

Certains philosophes des Lumières (eux aussi atteints par la pensée gnostique) reprirent une partie de ses idées pour le rejet de l’Ancien Testament. Ils développèrent aussi leur négation de l’Incarnation du Verbe divin, en éliminant la nature divine du Christ. Cette idée était apparue dans l’Église avec Arius (256-336). 

Quant à l’antisémitisme, que l’on relise Voltaire dans son Dictionnaire philosophique. Aux articles « Abraham » ou « Anthropophages », on comprendra son profond mépris de la révélation juive et son néopaganisme. En 1930, Rosenberg ne fera que prendre la suite dans Le mythe du XXe siècle en y ajoutant un racisme radical qui ne pouvait conduire qu’au génocide. Il avait été précédé par Karl Maria Wiligut dans les années 1920, qui apporta un occultisme germanique de nature à impressionner fort Himmler. 

Il faut aussi porter la plus grande attention sur l’incompréhension de « la divine action sacerdotale de la mort rédemptrice du Christ. » En en faisant mention, le pape constate le résultat de la méconnaissance des textes de l’Ancien Testament. Ou alors, si connaissance il y a, le refus de les lier à la Nouvelle Alliance du Christ qui en est l’accomplissement. C’est ce qu’en théologie chrétienne on appelle le « libéralisme » qui a commencé par frapper le protestantisme au 18e siècle, le catholicisme au 19e, et qui continue aujourd’hui ses dégâts. C’est lui qui dresse une véritable frontière entre chrétiens. Nous célébrons en cette année 2025 le 1700e anniversaire du concile de Nicée. Il serait intéressant de faire le point sur l’unité de foi entre différentes communautés chrétiennes !

L’unité des deux Testaments

16. L’importante référence à l’Heptateuque de saint Augustin parachève ce qui a été écrit précédemment. « Le Nouveau se cache dans l’Ancien et dans le Nouveau l’Ancien se dévoile » (Heptateuchum 2,73, et Contra Faustum Manichaeum 12,27). Le professeur Pierre Descotes résume excellemment la pensée de l’évêque d’Hippone. Il écrit : « Si l’on réduit ce raisonnement à sa forme la plus resserrée, on obtient le syllogisme suivant : l’homme ne peut être juste sans la grâce du Christ ; il y a eu des justes avant l’Incarnation du Christ ; donc la grâce du Christ était à l’œuvre avant l’Incarnation. ». 

Ce raisonnement explique une notion à laquelle saint Augustin a recours, « l’Ecclesia ab Abel » : « Tout ce qu’ont souffert les prophètes depuis Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie a été accumulé sur cet homme (le Christ) ; car certains membres du Christ ont précédé la venue du Seigneur incarné … Surtout n’allez pas penser, mes frères, que tous les justes qui ont subi une injuste persécution, y compris ceux qui ont été envoyés avant la venue du Seigneur, pour annoncer la venue du Seigneur, n’ont pas appartenu au corps du Christ ». Pierre Descotes, « La notion de « Testament » chez Saint Augustin », Revue de l’histoire des religions 2/2012, (pages 167-191). 

 

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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