Le « style de Dieu » qui « sauve en servant et en s’annihilant » est un enseignement pour les chrétiens, fait observer le pape François.

Le pape François a présidé la célébration eucharistique de suffrage pour les cardinaux et les évêques défunts au cours de l’année, ce mardi matin 3 novembre 2015, à l’autel de la chaire de saint Pierre, dans la basilique vaticane.

« Nous nous attendrions à une victoire triomphante ; pourtant, Jésus nous montre une victoire très humble. Élevé sur la croix, il laisse le mal et la mort s’acharner contre lui tout en continuant à aimer. Pour nous, il est difficile d’accepter cette réalité. C’est un mystère, mais le secret de ce mystère, de cette humilité extraordinaire est tout entier dans la force de l’amour », explique encore le pape.
Il en tire cette conséquence pour les baptisés : « Nous aussi, nous pouvons vaincre avec lui, si nous choisissons l’amour serviable et humble, qui demeure victorieux pour l’éternité. C’est un amour qui n’élève pas la voix et ne s’impose pas, mais qui sait attendre avec confiance et patience parce que, comme nous l’a rappelé le livre des Lamentations, il est bon d’« attendre en silence le salut du Seigneur ». »

Voici notre traduction complète de l’homélie prononcée en italien.

A.B.

Homélie du pape François

Aujourd’hui, nous nous souvenons de nos frères cardinaux et évêques décédés au cours de cette année. Sur cette terre, ils ont aimé l’Église, leur épouse, et nous prions pour qu’ils puissent être heureux d’une joie complète, dans la communion des saints.
Nous pensons à nouveau avec gratitude à la vocation de ces ministres sacrés : comme l’indique ce nom, il s’agit de ministrare, c’est-à-dire de servir. Alors que nous demandons pour eux le prix promis aux « serviteurs bons et fidèles » (cf. Mt 25, 14-30), nous sommes appelés à renouveler notre choix de servir dans l’Église. Le Seigneur nous le demande, lui qui, comme un serviteur, a lavé les pieds de ses disciples les plus proches, pour que nous fassions nous aussi ce qu’il a fait (cf. Jn 13,14-15). Dieu nous a servis le premier. Le ministre de Jésus, venu pour servir et non pour être servi (cf. Mc 10,45), ne peut qu’être à son tour un pasteur prêt à donner sa vie pour ses brebis. Celui qui sert et qui donne semble perdant aux yeux du monde. En réalité, en perdant sa vie, il la retrouve. Parce qu’une vie qui se dépossède d’elle-même, en se perdant dans l’amour, imite le Christ : elle vainc la mort et donne vie au monde. Qui sert, sauve. Au contraire, qui ne vit pas pour servir, ne sert pas pour vivre.

L’Évangile nous rappelle ceci. « Dieu a tant aimé le monde », dit Jésus (v. 16). Il s’agit vraiment d’un amour très concret, si concret qu’il a pris sur lui notre mort. Pour nous sauver, il nous a rejoints là où nous avions fini par aboutir, nous éloignant de Dieu, donateur de vie : dans la mort, dans un sépulcre sans issue. Voilà l’abaissement que le Fils de Dieu a accompli, se penchant sur nous comme un serviteur pour assumer tout ce qui est à nous, jusqu’à nous ouvrir grand les portes de la vie.

Dans l’Évangile, le Christ se compare au « serpent élevé ». L’image renvoie à l’épisode des serpents venimeux qui, dans le désert, attaquaient le peuple en chemin (cf. Nm 21,4-9). Les Israélites qui avaient été mordus par les serpents ne mouraient pas, mais ils restaient en vie s’ils regardaient le serpent de bronze que Moïse, sur l’ordre de Dieu, avait élevé sur un bâton. Un serpent sauvait des serpents. La même logique est présente dans la croix, à laquelle Jésus se réfère lorsqu’il parle avec Nicodème. Sa mort nous sauve de notre mort.

Dans le désert, les serpents procuraient une mort douloureuse, précédée de la peur et causée par des morsures venimeuses. À nos yeux aussi, la mort paraît obscure et angoissante. Telle que nous en faisons l’expérience, elle est entrée dans le monde à cause de la jalousie du diable, nous dit l’Écriture (cf. Sg 2,24). Mais Jésus n’a pas fui la mort, il l’a prise entièrement sur lui avec toutes ses contradictions. Maintenant, en le regardant, en croyant en lui, nous sommes sauvés par lui : « Qui croit dans le Fils a la vie éternelle », dit Jésus à deux reprises dans le bref passage de l’Évangile de ce jour (cf. v. 15-16).

Ce style de Dieu, qui nous sauve en nous servant et en s’annihilant, a beaucoup à nous enseigner. Nous nous attendrions à une victoire triomphante ; pourtant, Jésus nous montre une victoire très humble. Élevé sur la croix, il laisse le mal et la mort s’acharner contre lui tout en continuant à aimer. Pour nous, il est difficile d’accepter cette réalité. C’est un mystère, mais le secret de ce mystère, de cette humilité extraordinaire est tout entier dans la force de l’amour. Dans la Pâque de Jésus, nous voyons à la fois la mort et le remède à la mort, et ceci est possible grâce au grand amour avec lequel Dieu nous a aimés, grâce à l’amour humble qui s’abaisse, au service qui sait assumer la condition du serviteur. Ainsi, Jésus non seulement a enlevé le mal, mais il l’a transformé en bien. Il n’a pas changé les choses par des paroles, mais par les faits ; non pas en apparence, mais en substance ; non pas en superficie, mais à la racine. Il a fait de la croix un pont qui mène à la vie. Nous aussi, nous pouvons vaincre avec lui, si nous choisissons l’amour serviable et humble, qui demeure victorieux pour l’éternité. C’est un amour qui n’élève pas la voix et ne s’impose pas, mais qui sait attendre avec confiance et patience parce que, comme nous l’a rappelé le livre des Lamentations, il est bon d’« attendre en silence le salut du Seigneur » (3,26).

« Dieu a tellement aimé le monde ». Nous sommes portés à aimer ce dont nous sentons le besoin et que nous désirons. Dieu, lui, aime jusqu’au bout le monde, c’est-à-dire nous, tels que nous sommes. Dans cette eucharistie, il vient aussi nous servir, nous donner la vie qui sauve de la mort et remplit d’espérance. Tandis que nous offrons cette messe pour nos chers frères cardinaux et évêques, demandons pour nous ce à quoi nous exhorte l’apôtre Paul : « Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre » (Col 3,2) ; à l’amour de Dieu et du prochain, plus qu’à nos besoins. Que nous n’ayons pas à nous inquiéter de ce qui nous manque ici-bas, mais du trésor d’en haut ; non de ce qui nous sert, mais de ce qui sert vraiment. Que la Pâque du Seigneur soit suffisante pour notre vie, afin que nous soyons libres des soucis des choses éphémères, qui passent et s’évanouissent dans le néant. Qu’il nous suffise, lui, en qui sont la vie, le salut, la résurrection et la joie. Alors, nous serons des serviteurs selon son cœur : non pas des fonctionnaires qui rendent un service, mais des fils bien-aimés qui donnent leur vie pour le monde.

© Traduction de Zenit, Constance Roques