Dans la sainte ivresse qui emplit son cœur face au Cœur de Jésus, Thérèse décide alors de se livrer à son Amour Miséricordieux en « offrande » en « victime » dans un engagement total de sa personne. Avec ardeur, elle supplie d’être « consumée » par le feu de l’Amour Miséricordieux. Elle a compris que le don de soi est d’abord le fruit d’une action gratuite de Dieu qui vient la combler. Aimer, c’est tout recevoir et se recevoir soi-même de la Miséricorde à laquelle on s’ouvre, on s’offre. Ce qui l’amènera à écrire dans un poème bien connu : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même ».
Thérèse s’offre comme Victime d’holocauste à l’Amour Miséricordieux : « Ô mon Jésus. Que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre holocauste par le feu de votre Divin Amour !… « Le mot holocauste évoque l’image du feu qui consume. Elle désire être consumée par le Feu de la Pentecôte, ce feu spirituel de l’Amour divin…
Thérèse fait cet Acte d’Offrande le 11 juin 1895. Agenouillée aux pieds de la statue de la Vierge au sourire, avec sa sœur Céline, elle prononce ces paroles : « Oh, mon Dieu, Trinité Bienheureuse, je désire vous aimer et vous faire aimer… » (cf p.13) Inondée par ce fleuve de grâces, Thérèse de Lisieux a compris qu’elle n’avait pas fait cet acte d’offrande une fois pour toutes, mais qu’elle avait sans cesse à le renouveler : « Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon cœur, vous renouveler cette offrande un nombre infini Spiritualité de fois jusqu’à ce que les ombres s ‘étant évanouies, je puisse vous redire mon amour dans un face à face éternel ».
Deux saintes pour les temps modernes
Il est clair que la doctrine spirituelle de sainte Thérèse de Lisieux, concernant la dévotion au Cœur de Jésus, s’apparente à celle de sainte Marguerite -Marie. Comme le soulignait Jean-Paul Il, dans l’homélie de la messe qu’ il célébra à Paray-le-Monial le 5 octobre 1986, Marguerite-Marie Alacoque est née à « l’aube des temps modernes », c’est-à-dire à une époque où l’humanité allait subir, par suite des progrès de plus en plus rapides de la science, des mutations sans précédents.
N’oublions pas, qu’avant lui, un autre Pape, Pie X, avait déclaré que Thérèse de Lisieux était « la plus grande sainte des temps modernes ». Pie XII précisera plus tard « la plus grande thaumaturge des temps modernes », et Jean-Paul Il ajoutait récemment « la plus jeune de tous les Docteurs de toute l’Eglise ». Rappeler cela n’est pas faire ombrage à Sainte Marguerite -M arie, mais plutôt montrer comment les révélations du Christ à la sainte visitandine du 17ème siècle ont trouvé en Thérèse de Lisieux un écho et un certain accomplissement.
Ce délicieux cœur à cœur
Thérèse de Lisieux exprime cependant certaines réticences vis-à-vis de la dévotion au Cœur de Jésus tel le qu’elle est vécue à son époque. Elle refuse l’approche souvent trop doloriste de cette fin de 19ème siècle, véhiculée par une imagerie sanguinolente que son extrême sensibilité ne supporte pas. Dans une lettre qu’elle envoie à sa sœur Céline, présente à Paray-le-Monial, pour le deuxième centenaire de la mort de Marguerite-Marie, elle s’exprime avec sa spontanéité coutumière : « Prie bien le Sacré-Cœur. Tu sais, moi, je ne vois pas le Sacré-Cœur comme tout Je monde ». Et elle ajoute cependant : « N’oublie pas Thérèse là-bas, murmure seulement son nom et Jésus comprendra. Tant de grâces sont attachées là-bas, surtout pour un cœur qui souffre ».
Certaines formes de dévotions lui semblent manquer d’intériorité : « Je pense que le Cœur de mon époux est à moi seule comme le mien est à lui seul. Je lui parle alors dans la solitude de ce délicieux cœur à cœur en attendant de le contempler un jour face à face « La jeune carmélite désire se perdre dans le Coeur du Christ, comme elle désire aussi se cacher dans le secret de sa Face.
Trône de flammes, fournaise…
Il ne faudrait pourtant pas oublier que le point commun entre cette dévotion à la Sainte Face et la dévotion au Cœur de Jésus est précisément la réparation. Pour Thérèse, le Cœur de Jésus est sur cette terre le purgatoire, qui lui permet, écrit-elle, de « réparer ses fautes en les jetant dans la fournaise de son Amour miséricordieux.
« On pense ici à l’une des visions de Sainte Marguerite-Marie : « Ce divin Cœur me fut présenté dans un trône de flammes, plus rayonnant qu’un soleil et transparent comme un cristal, avec cette plaie adorable, et il était environné d’une couronne d’épines, qui signifiaient les piqûres que nos péchés lui faisaient… »
Comme le souligne le Père Edouard Glotin 2, « Thérèse apporte au courant réparateur et donc au mystère du Cœur de Jésus, une spiritualité centrée sur le mystère de la « consolation » à offrir à Jésus. « Faire plaisir » à Son Bien-Aimé ; désaltérer sa « soif d’Amour » en lui rendant « Amour pour Amour » et pour cela, faire le pari démesuré que celui-ci lui donnera de vivre jusqu’à sa mort dans un acte de « pur amour ». Là encore, on retrouve le message de Paray-le-Monial, qui se fait l’écho de la plainte de Jésus à Sainte Marguerite-Marie : « J ‘ai soif, je brûle du désir d’être aimé ».
Désaltérer la soif d’amour de Jésus
Or, dès juillet 1887, Thérèse (qui n’a alors que 14 ans) connaît cette soif qui dévore Jésus. En faisant référence à la rencontre du Christ avec la Samaritaine, elle écrit : « En disant : « Donne-moi à boire », c’était l ‘amour de sa pauvre créature que le Créateur de l’univers réclamait. Il avait soif d’amour – Ah ! Je sens plus que jamais que Jésus est altéré, il ne rencontre que des ingrats ».
Ce thème du « divin Mendiant d’amour » est présent tout au long des écrits de Thérèse. C’est dans un désir, comparable à celui de Sainte Marguerite-Marie, de lui rendre « Amour pour Amour, « qu’il faut situer et comprendre son Acte d’Offrande à l’Amour Miséricordieux. Et dans cet acte d’offrande, le mouvement de Compassion est premier : « Je veux travailler pour votre seul Amour, dans l’unique but de vous faire plaisir, de consoler votre Cœur Sacré ». Le feu qui brûle le cœur de Thérèse de l’intérieur, est ce désir de salut des âmes : « Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes ».
Un message pour le 3e millénaire
A travers son propre cheminement spirituel, Thérèse a opéré – à la lumière de la Miséricorde de Dieu – une relecture de la dévotion au Sacré-Cœur, allant à l’essentiel du message d’amour qui y est contenu. En mettant l’accent sur ! ’Offrande à l’Amour Miséricordieux, Thérèse a certainement contribué aussi, et doit contribuer encore, à l’aube du 3•m• millénaire, à libérer le message de Paray-le- Monial d’un certain climat doloriste, dû aux séquelles du jansénisme, dont nous n’avons pas fini de subir des influences négatives jusqu’à nos jours. « La petite voie de l’enfance » de Thérèse a opéré une véritable « révolution spirituelle, » nous rappelant le cœur de l’Evangile, à savoir que Dieu est prêt à déverser en nous ses flots de miséricorde, dans la mesure où nous prenons conscience de notre misère. Et comme Jean-Paul Il le rappelait récemment, Sainte Thérèse de Lisieux « a compris d ‘une manière admirable l’annonce bouleversante de l’amour de Dieu, reçu comme don et vécu avec l’humble confiance et la simplicité des petits qui, en Jésus-Christ, se confient totalement au Père. »
Père Francis Kohn
*Extrait de la conférence donnée le 18 octobre 1997 (triduum)
2· ‘’L ‘expérience spirituelle de la réparation » Intervention au colloque de Paray-le-Monial ( octobre 1995 ). A paraitre prochainement