Un système économique qui « écarte les hommes, femmes et enfants » lorsqu’ils ne sont « plus utiles selon les critères de rentabilité des entreprises », est « inacceptable ». C’est la dénonciation du pape François, mettant en garde contre l’effet « boomerang » de ce système, devant une délégation de « The Global Foundation », le 14 janvier 2017.
Recevant au Vatican les participants à une “Table Ronde” organisée à Rome par l’organisation australienne, le pape a assuré que la « mise à l’écart des personnes » était une « régression » et une « déshumanisation » du système politique et économique.
Il a averti : « ceux qui causent ou permettent le rejet des autres – réfugiés, enfants abusés ou rendus esclaves, pauvres qui meurent dans la rue quand il fait froid – deviennent eux-mêmes comme des machines sans âme, acceptant implicitement le principe qu’eux aussi, tôt ou tard, seront écartés ».
Le pape a invité chacun à une conversion personnelle en apprenant « à com-patir avec ceux qui souffrent ». C’est cette compassion qui aidera les acteurs économiques et politiques, à tous les niveaux, à corriger les systèmes, a-t-il affirmé.
« The Global Foundation », fondée en 1998, se veut un réseau de dialogue international sur les plus grands problèmes mondiaux actuels, notamment en matière d’économie, de sécurité alimentaire, de climat.
Discours du pape François
Chers amis,
Je suis heureux d’être avec vous en cette nouvelle édition de la “Table Ronde” de Rome de la Global Foundation, autour de laquelle vous vous réunissez, inspirés par la devise de la Fondation – “Ensemble nous nous engageons pour le bien commun global” (“Together we strive for the global common good”) –, pour identifier les voies justes, capables de conduire à une globalisation “coopérative”, c’est-à-dire positive, opposée à la globalisation de l’indifférence. La finalité est de garantir que la communauté globale, formée par les institutions, les entreprises et les représentants de la société civile, puisse parvenir réellement aux objectifs et aux obligations internationaux solennellement affirmés et pris, comme par exemple ceux de l’Agenda 2030 pour le développement durable et les Objectifs de développement durable.
Je voudrais avant tout redire qu’un système économique mondial qui écarte les hommes, femmes et enfants, lorsqu’ils semblent ne plus être utiles selon les critères de rentabilité des entreprises ou d’autres organisations est inacceptable, parce qu’inhumain. Cette mise à l’écart des personnes constitue la régression et la déshumanisation de n’importe quel système politique et économique : ceux qui causent ou permettent le rejet des autres – réfugiés, enfants abusés ou rendus esclaves, pauvres qui meurent dans la rue quand il fait froid – deviennent eux-mêmes comme des machines sans âme, acceptant implicitement le principe qu’eux aussi, tôt ou tard, seront écartés – c’est un boomerang ! Mais c’est la vérité : tôt ou tard il seront écartés – quand ils ne seront plus utiles à une société qui a mis au centre le dieu argent.
En 1991, saint Jean-Paul II, face à l’effondrement de systèmes politiques oppressifs et à l’intégration progressive des marchés que nous appelons désormais globalisation, prévenait du risque que se répande partout l’idéologie capitaliste. Elle comportait une considération très faible ou nulle envers les phénomènes de la marginalisation, de l’exploitation et de l’aliénation humaine, ignorant les multitudes qui vivent encore dans des conditions de misère matérielle et morale, et en confiait aveuglément la solution au seul libre développement des forces du marché. Mon Prédécesseur, en se demandant si un tel système économique était le modèle à proposer à ceux qui cherchaient le chemin du vrai progrès économique et social, est parvenu à une réponse clairement négative. Ce n’est pas le chemin (cf. Centesimus annus, 42).
Malheureusement, les risques redoutés par saint Jean-Paul II se sont amplement réalisés. Cependant, beaucoup d’efforts d’individus et d’institutions se sont développés en même temps, pour guérir les maux produits par une globalisation irresponsable. Mère Teresa de Calcutta, que j’ai eu la joie de proclamer Sainte il y a quelques mois et qui est un symbole et une icône de notre époque, d’une certaine façon représente et résume ces efforts. Elle s’est penchée sur les personnes épuisées, laissées sur le bord de la route pour y mourir, reconnaissant en chacune d’elles la dignité donnée par Dieu. Elle a accueilli toute vie humaine, la vie non née et la vie abandonnée et rejetée, et elle a fait entendre sa voix aux puissants de la terre pour qu’ils reconnaissent les crimes de la pauvreté qu’ils ont eux-mêmes créée (cf. Homélie pour la canonisation de Mère Teresa de Calcutta, 4 septembre 2016).
C’est la première attitude qui peut conduire à une globalisation solidaire et coopérative. Il faut, avant tout, que chacun, personnellement, ne soit pas indifférent aux blessures des pauvres, mais apprenne à com-patir avec ceux qui souffrent à cause des persécutions, de la solitude, du déplacement forcé ou de la séparation d’avec leur famille ; avec ceux qui n’ont pas accès aux soins de santé ; avec ceux qui subissent la faim, le froid ou la chaleur.
Cette compassion aidera les acteurs économiques et politiques à utiliser leur intelligence et leurs ressources non seulement pour surveiller et contrôler les effets de la globalisation, mais aussi pour aider les responsables dans les différentes sphères politiques – régionales, nationales et internationales – à en corriger l’orientation autant de fois qu’il est nécessaire. La politique et l’économie, en effet, devraient comporter l’exercice de la vertu de la prudence.
L’Eglise est toujours confiante, parce qu’elle connaît les grandes possibilités de l’intelligence humaine qui se laisse aider et conduire par Dieu, et la bonne volonté des petits et des grands, des pauvres et des riches, des entrepreneurs et des employés. C’est pourquoi je vous encourage à poursuivre votre engagement, toujours guidés par la Doctrine sociale de l’Eglise, en promouvant une globalisation coopérative avec tous les acteurs impliqués – société civile, gouvernements, organismes internationaux, communautés académiques et scientifiques et autres – et je souhaite tout le succès à votre travail.
Je vous remercie de votre attention et je vous assure de ma prière ; et je vous prie de transmettre mon salut personnel, ainsi que ma bénédiction, à vos familles et à vos collaborateurs.
Traduction de Zenit, Anne Kurian