« Nous sommes tous des enfants, qui ont besoin, oui, mais capables aussi de soins, à l’exemple de tout ce que notre Mère Marie, a fait avec intelligence et discrétion », affirme le cardinal Peter Turkson. « L’attention maternelle, ajoute-t-il, va au-delà du langage sec des choses à faire, mais puise au vocabulaire de la confiance et de la tendresse. »
C’est avec ses paroles que le préfet du dicastère pour le service du développement humain intégral a commenté le message du pape François pour la XXVIe Journée mondiale du malade, célébrée le dimanche 11 février 2018. Il a formulé une mission de l’Église envers les personnes malades qui renvoie, selon lui, à la « vertu » de la « sensibilité maternelle », indique L’Osservatore Romano du 11 février. Cette vertu « est promotrice » et « n‘appartient pas nécessairement aux mères proprement dites », souligne le cardinal : « c’est une créativité forte et déterminée, un accès à la vérité véhiculée par l’attention et l’amour ».
À travers « la pastorale de la santé », estime le cardinal Turkson, l’Église est invitée à « promouvoir une civilisation chrétienne des soins ». Cette « vaste mission » « signifie influer sur ce qui conditionne la santé : la culture, les systèmes sanitaires, les facteurs environnementaux, les politiques économiques, celles du travail, de la famille ».
Le préfet met en garde contre « la rationalité instrumentale et la logique de l’éphémère » qui font en sorte que « tout devient utilisable et exploitable ». « Il est urgent de remettre la personne au centre », rappelle le cardinal. « Pour ces raisons, note-t-il, la pastorale de la santé s’inscrit dans un plus large service : le développement humain intégral. »
Voici notre traduction des réflexions du cardinal Turkson publiées en italien par L’Osservatore Romano avec l’aimable autorisation du quotidien du Vatican.
MD
Texte du cardinal Peter Turkson
Le message du pape François pour la XXVI Journée mondiale du malade, commence par les paroles de Jésus sur la Croix, adressées à Marie et à Jean, qui nous introduisent à la confiance réciproque. Ce geste d’amour et de tendresse renvoie à se préoccuper et s’occuper de quelqu’un. À cette dimension relationnelle qui nous constitue, sans laquelle il n’y aurait pas d’espérance, mais seulement souffrance et peur.
La réciprocité « fils-mère » est une proximité privée d’intentions dominatrices et intimement régénérée par la capacité à l’écoute, par une sensibilité capable de se laisser impliquer, sans stéréotypes. Nous sommes tous des enfants, qui ont besoin, oui, mais capables aussi de soins, à l’exemple de tout ce que notre Mère Marie, a fait avec intelligence et discrétion, dans une sollicitude sans limites.
C’est pourquoi il faut qu’il y ait cette « empathie » qui signifie proximité, relation, solidarité et accueil. L’empathie est fondamentale dans les processus de partage des émotions comme relation cognitive et affective : elle est invoquée dans les hôpitaux, dans les lieux de souffrance, deuil et maladie. Elle est appelée à innerver les stratégies de travail du personnel sanitaire, des formateurs et des assistants sociaux. Elle renvoie à des vertus dont la « sensibilité maternelle » est promotrice, qui n‘appartient pas nécessairement aux mères proprement dites, n’a rien de sentimentaliste et rhétorique : c’est une créativité forte et déterminée, un accès à la vérité véhiculée par l’attention et l’amour. Le « cœur de mère » est en même temps « intelligence de mère » à laquelle se rattache la flexibilité, la capacité d’adaptation à des situations inattendues. Ce type de proximité intelligente encourage les différentes formes de subsidiarité visant à satisfaire les besoins auxquels le sujet ne peut pas faire face tout seul.
Comme affirme le pape dans son message, « la vocation maternelle de Marie, la vocation de prendre soin de ses enfants, passe à Jean et à toute l’Eglise ». Cette vocation maternelle s’exprime dans les efforts à soigner avec compétence et efficacité, tant dans les registres chauds de la tendresse et des soins à donner. L’Église s’occupe des maladies spirituelles et physiques. Ses soins visent tous les hommes et tout l’homme, ne met pas en opposition l’acte de soigner et celui de prendre soin, l’efficacité des traitements et la qualité des relations.
Dans ses soins, la « proximité responsable » est fondamentale, signifie aussi « soins de la communication ». Le devoir de dire la vérité ne saurait être séparé du « partage » de la vérité transmise ; il ne s’agit pas seulement de transférer une information, mais de garantir la disponibilité à prendre soin de l’autre. La vérité authentique est l’ennemie du mensonge, mais pas de l’espérance. Le devoir de dire la vérité n’équivaut pas au droit de traumatiser les patients à travers une communication froide et précipitée ; elle équivaut plutôt au devoir d’amener le patient à connaître ses propres conditions pour pouvoir participer, avec le médecin et avec ses proches, aux processus décisionnels qui le concernent, surtout dans les phases terminales de sa vie.
En suivant l’invitation du pape François, l’attention maternelle va au-delà du langage sec des choses à faire, mais puise au vocabulaire de la confidence et de la tendresse. Ce dernier registre s’enracine dans la conscience des limites, une sagesse qui prévient les acharnements cliniques comme les demandes d’euthanasie, des choix dictés par l’angoisse de la finitude humaine.
La relation de soin implique réciprocité, une relation où tout le monde se sent reconnu. Il y a le risque que le malade soit traité hâtivement et sans une compétence adéquate, mais il y a aussi risque que le caregiver devienne un « moi transparent » qui voit les besoins des autres, sans que soient reconnus les siens.
Nous sommes dans une phase historique où il est urgent d’organiser la santé sur le territoire, vu le nombre croissant de la population âgée avec des pathologies chroniques et dégénératives. Les soins que le caregiver prête aux autres doivent être compatibles avec ceux qu’il réserve à lui-même, de manière à éviter les situations de burnout. Par contre les coupes financières à la santé, la culture du rejet, sont causes de déshumanisation, entraînent des rythmes de travail non respectueux, une gestion continue de situations d’urgence.
L’Église au cours des siècles « a fortement ressenti le service envers les malades et les souffrants comme partie intégrale de sa mission, et non seulement elle a encouragé parmi les chrétiens la floraison des diverses œuvres de miséricorde, mais elle a également fait surgir de nombreuses institutions religieuses dans la finalité spécifique de promouvoir, organiser, perfectionner et élargir l’assistance aux malades » (Dolentium hominum, n.1).
L’engagement continue aujourd’hui, dans les pays plus riches comme dans les pays plus pauvres. Dans les premiers la santé est assimilée à la qualité de la vie et au bien-être. C’est une notion vaste et complexe qui, dans une culture hédoniste et utilitariste, risque d’être conditionnée par de hauts standards compétitifs, une conception qui peut discriminer tous ceux qui ne peuvent être autonomes, efficients et coopératifs. Ici l’Église rappelle la dignité et l’indisponibilité de toute vie humaine, même quand celle-ci est particulièrement vulnérable.
Dans les pays plus pauvres, la santé est tout simplement « absence de maladie », mais reste souvent un idéal difficile à atteindre, étant donné la pauvreté et la carence d’organisation sanitaire. Ici l’Église s’engage à éradiquer les maladies qui minent la vie dès l’enfance, à améliorer les conditions hygiéniques et sociales qui causent les pandémies. Partout l’Église ne cesse de soigner, même quand la guérison n’est pas possible, afin que « la personne du malade soit respectée dans sa dignité et toujours gardée au centre du processus de soin » ».
Un regard sur l’histoire de la charité de l’Église en faveur des malades aide à projeter l’avenir. L’engagement de l’Église s’est exprimé en faveur d’une humanisation de la santé, reconnaissant en chaque être humain une personne et non une chose.
La pastorale de la santé a pour mission de promouvoir une civilisation chrétienne des soins. C’est une vaste mission qui signifie influer sur ce qui conditionne la santé : la culture, les systèmes sanitaires, les facteurs environnementaux, les politiques économiques, celles du travail, de la famille. L’anthropologie sous-entendue n’est pas celle de l’autosuffisance, mais celle de la fragilité, du double lien — actif et passif — entre aider et être aidés.
Le terme « soin » devrait de plus en plus entrer dans le vocabulaire de la politique, en adoptant des mesures capables de garantir à des prix accessibles la fourniture de médicaments essentiels pour la survie des personnes indigentes, sans négliger la recherche et le développement de traitements qui, bien que non importants économiquement pour le marché, sont déterminants pour sauver des vies humaines.
Nous sommes appelés à une conscience critique et orientée, face au nombre toujours plus élevé des inégalités et discriminations sociales, et face aux risques environnementaux. Le bien en santé est un bien relationnel et ne peut être séparé du bien commun.
Il faut être conscient de la difficulté que le monde moderne éprouve à trouver un équilibre entre l’autonomie individuelle et la responsabilité publique justement parce que la notion de bien commun est devenue étrangère. En faisant prévaloir la rationalité instrumentale et la logique de l’éphémère, on voit partir en fumée les limites entre les choses et les personnes et tout devient utilisable et exploitable. Il est urgent de remettre la personne au centre.
Pour ces raisons la pastorale de la santé s’inscrit dans un plus large service : le développement humain intégral. Et elle a besoin de compétences qui se forment à travers une étude rigoureuse et la recherche. L’étude aide à ne pas perdre de vue les racines spirituelles et ecclésiales de l’action, permet de ne pas être des activistes, mais plutôt des personnes qui agissent en faveur de ceux qui souffrent, aussi bien intérieurement qu’inclusivement, sans prétention, protagonisme et résignation, sachant reconnaître le visage de Jésus dans les clairs obscurs de la vie.
Traduction de Zenit. Océane Le Gall
Rencontre avec les enfants malades de l'hôpital Bambino Gesu © L'Osservatore Romano
Soigner avec une "sensibilité maternelle", par le card. Turkson
Réflexion pour la XXVI Journée mondiale du malade