Visite du pape au camp de réfugiés de Moria (Lesbos, Grèce) © L'Osservatore Romano

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OSCE: message du pape François à la conférence sur la traite des êtres humains (traduction intégrale)

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Pour une mobilisation de l’Europe contre trafic des enfants

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Le pape François a envoyé un message, lundi 3 avril 2017, à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) dont la « 17ème Conférence de l’Alliance contre la traite des personnes » se tient à Vienne, comme nous l’annoncions le jour-même: le pape appelle à la mobilisation de l’Europe contre le trafic des personnes, notamment des enfants.
Le message a été lu par le p. Michael Czerny, SJ, sous-secrétaire de la Section migrants et réfugiés du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral.
Le Saint-Père a appelé le problème « une forme d’esclavage, un crime contre l’humanité, une grave violation des droits humains et un fléau atroce » et il a affirmé que, dans certains cas, « l’évidence fait douter du réel engagement de certains acteurs importants »
17ème Conférence de l’Alliance contre la traite des personnes
« La traite des enfants et les intérêts supérieurs de l’enfant »
Vienne, 3 avril 2017.
La traite des enfants : quelques problèmes urgents
Michael Czerny S.J., sous-secrétaire de la Section migrants et réfugiés du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral.
MESSAGE
C’est pour moi un honneur de commencer ce thème majeur avec les chaleureuses salutations du pape François à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe et à toutes les personnes impliquées dans cette importante conférence :
Se réunir pour une 17ème Conférence à Vienne est, pour l’Alliance contre la traite des personnes, un signe encourageant de la détermination de l’OSCE à éradiquer ce qui doit être parmi les dynamiques les plus honteuses qui marque le visage de l’humanité moderne.
La plupart des croyants de toute foi et des personnes de toutes les tendances sont choqués, voire scandalisés, lorsqu’ils découvrent que la traite se produit dans tous les pays et qu’elle représente une entreprise très prospère sur la planète. C’est une forme d’esclavage, un crime contre l’humanité, une grave violation des droits de l’homme, un fléau atroce, qui doit être d’autant plus condamné qu’il s’attaque à des enfants.
Je suis donc très heureux de vos délibérations sur « La traite des enfants et les intérêts supérieurs de l’enfant ». Faisons donc tout notre possible pour sensibiliser le public et mieux coordonner les efforts gouvernementaux, juridiques, d’exécution et sociaux pour sauver des millions d’enfants, ainsi que des adultes.
De façon aussi urgente, faisons encore plus pour les empêcher d’être victimes de la traite et de l’esclavage.
Je prie sincèrement pour le succès et les fruits du travail de cette Conférence et j’invoque sur tous les participants, les organisateurs et le personnel la Bénédiction du Tout-Puissant, que je vous demande également de transmettre à tous ceux qui s’emploient à aider les victimes de la traite des êtres humains et à mettre fin à ce terrible crime dans les pays de l’OSCE.
Ces paroles du pape François s’adressent à toutes les personnes, croyantes ou non, qui considèrent la vie humaine comme précieuse et qui veulent que tout le monde s’épanouisse. Permettez-moi de vous remercier de m’accueillir à cette conférence et de donner au Saint-Siège l’occasion de proposer des termes de référence fondamentaux au début de nos deux jours de délibérations.
INTRODUCTION
La 17ème Conférence vise à renforcer la cohérence et la synergie des réponses aux défis posés par la traite des enfants dans la région de l’OSCE, en recherchant uniquement les intérêts de l’enfant.
En précisant le mandat de la Section des migrants et des réfugiés dans le nouveau Dicastère du Saint-Siège pour la promotion du développement humain intégral, le Pape François a demandé qu’une attention particulière soit accordée aux victimes de la traite des êtres humains et, parmi elles, aux enfants. Le scénario de migration complexe d’aujourd’hui est tristement caractérisé par « […] de nouvelles formes d’esclavage imposées par des organisations criminelles, qui achètent et vendent des hommes, des femmes et des enfants ». En conséquence, le pape François a consacré son Message pour la Journée mondiale des migrants et des réfugiés de 2017 aux « enfants migrants, aux personnes vulnérables et aux sans-voix ». Il a estimé […] « être obligé d’attirer l’attention sur la réalité des enfants migrants, en particulier ceux qui sont seuls » parce que « […] chez les migrants, les enfants constituent le groupe le plus vulnérable ».
En 2014, lors de son pèlerinage en Terre Sainte à l’occasion du 50ème anniversaire de la rencontre entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras à Jérusalem, le pape François a exprimé sa vive inquiétude pour la situation du « grand nombre d’enfants [qui] continuent de vivre dans des situations inhumaines, en marge de la société, dans les périphéries des grandes villes et à la campagne. Trop d’enfants continuent d’être exploités, maltraités, asservis, victimes de la violence et du trafic illicite. Encore trop d’enfants vivent en exil, en tant que réfugiés, parfois perdus en mer, en particulier dans les eaux de la Méditerranée. Aujourd’hui, en reconnaissant cela, nous éprouvons de la honte devant Dieu ».
Cet appel puissant s’ajoute à ceux adressés par les papes précédents aux organisations intergouvernementales et internationales, à la société civile et aux citoyens partout dans le monde. Mais la tragédie de la traite persiste et empire en effet. Nous ne pouvons que conclure, tristement et même le cœur contrit, que tous ces efforts se sont révélés insuffisants à ce jour.
Dans certaines situations, l’évidence fait douter de l’engagement réel de certains acteurs importants. Cela a poussé le pape Benoît XVI en 2010 à affirmer: « Bien que la Convention sur les droits de l’enfant indique clairement que l’intérêt supérieur du mineur sera toujours sauvegardé (voir article 3, 1), […] malheureusement ce n’est pas toujours le cas dans la pratique. Bien qu’il y ait une sensibilisation accrue du public à la nécessité d’une action immédiate et incisive pour protéger les mineurs, néanmoins, beaucoup sont livrés à eux-mêmes et, de diverses façons, risquent d’être exploités ».
MÉTHODE
Notre 17ème Conférence entend favoriser l’approche bien connue des trois piliers ou P : prévenir, protéger et poursuivre. À ces dimensions de l’action efficace contre la traite, nous ajoutons partenariat. Appliquons ces quatre perspectives afin de voir et de comprendre le phénomène de la traite des enfants et de juger les causes immédiates et plus larges, afin de prendre des mesures contre ce fléau continu.

  1. PREVENTION

En 2015, le pape François a déclaré que l’esclavage moderne est « […] enraciné dans une notion de la personne humaine qui permet qu’elle soit traitée comme un objet. Chaque fois que le péché corrompt le cœur humain et nous éloigne de notre Créateur et de nos voisins, la personne n’est plus considérée comme un être de même dignité que des frères ou des sœurs partageant une humanité commune, mais plutôt comme un objet ».
Notre premier pas, donc, doit être une transformation culturelle qui rétablit la personne humaine au centre. Benoît XVI nous a rappelé que « précisément parce qu’elle est humaine, toute activité humaine, y compris l’activité économique, doit être structurée et gouvernée » (voir Lettre encyclique Caritas in Veritate, n. 36). Nous devons revenir à la centralité de l’être humain, à une vision plus éthique des activités et des relations humaines sans crainte de perdre quelque chose.
Lorsque les êtres humains sont traités comme des objets, les enfants peuvent être victimes de la traite selon une logique pécuniaire du marché de l’offre et de la demande. Du côté de « l’offre », dans les communautés d’origine, plusieurs facteurs augmentent la vulnérabilité des enfants victimes, à savoir la pauvreté endémique, la protection inadéquate de l’enfant, l’ignorance et les contraintes culturelles. Il convient de reconnaître que très peu de choses ont été faites pour aborder le « pourquoi » de nombreux jeunes qui sont trompés ou vendus pour la traite et l’esclavage.
Du côté de la « demande », dans les communautés de destination de ce commerce tragique, on ne peut que constater le paradoxe évident entre la condamnation unanime et absolue de la traite des enfants d’une part et, d’autre part, la demande croissante pour que les enfants soient asservis, exploités et maltraités. Ceci est peut-être la pire illustration de la façon dont le capitalisme moderne, à ses extrêmes amoraux, est capable de transformer absolument tout en marchandise, même de jeunes vies.
Dans son message de 2017, le pape François souligne fortement ces observations : « La force la plus puissante qui anime l’exploitation et l’abus des enfants est la demande. Si des actions plus rigoureuses et efficaces ne sont pas prises contre ceux qui profitent de tels abus, nous ne pourrons pas arrêter les multiples formes d’esclavage dont les enfants sont les victimes ».
La demande et l’offre, à leur tour, sont profondément enracinées dans les trois grands problèmes que sont les conflits et les guerres, les privations économiques et les catastrophes naturelles, ou ce que les victimes expérimentent comme l’extrême pauvreté, le sous-développement, l’exclusion, le chômage et le manque d’accès à l’éducation. L’OSCE, avec ses 57 Etats membres bien développés, a certainement une occasion unique de traiter ces causes profondes de la traite des êtres humains. Notre réponse, par conséquent, ne devrait pas être « Nous ne pouvons pas » ni « Nous ne voulons pas ».

  1. PROTECTION

Le deuxième pilier est « protéger ». Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de protéger les enfants contre des réseaux criminels bien organisés et sans scrupules.
Les situations de grande vulnérabilité se sont considérablement multipliées ces dernières années, en partie à cause des déplacements massifs forcés qui ont affecté certaines régions du monde. En 2007, en référence aux enfants non accompagnés, le pape Benoît XVI a souligné que « […] ces garçons et ces filles finissent souvent dans la rue abandonnées à eux-mêmes et sont la proie d’exploiteurs sans scrupules qui les transforment souvent en objet de violence physique, morale et sexuelle ». En 2016, le pape François a ajouté que « […] la ligne de démarcation entre migration et trafic peut parfois être très subtile ».
Il existe de nombreuses initiatives remarquables, entreprises tant par les États que par des organisations de la société civile, afin d’assurer une meilleure protection des enfants victimes de la traite. Conformément au titre de cette conférence, permettez-moi de souligner l’objectif ultime : l’intérêt supérieur de l’enfant, dans lequel la dimension familiale occupe une place de la plus haute importance. La protection des enfants nécessite la protection des familles ; par conséquent, les politiques et les programmes doivent fournir aux familles les outils essentiels pour protéger et nourrir leurs enfants dans des situations de vulnérabilité. Parmi ces éléments essentiels – tous à la portée des États membres de l’OSCE – il faut nommer les logements décents, les soins de santé, la possibilité de travailler, l’éducation …
À cet égard, un cadre juridique international approprié a été établi par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants.

  1. POURSUITE

En ce qui concerne les « poursuites », la complexité du scénario mondial de la traite des êtres humains rend la poursuite des trafiquants très difficile. L’action néfaste des organisations criminelles internationales, motivées par l’attrait de bénéfices somptueux, commence par des ruses et des enlèvements dissimulés dans les communautés d’origine des victimes. L’action se poursuit alors dans les pays de transit et les pays de destination, grâce à la corruption qui assure l’invisibilité et l’impunité des trafiquants.
Cela est si grave que le pape François a déclaré : « Puisqu’il n’est pas possible de commettre un crime aussi complexe que le trafic d’êtres humains sans la complicité, par action ou omission, des États, il est évident que, lorsque les efforts pour prévenir et combattre ce phénomène sont insuffisants, nous sommes de nouveau confrontés à un crime contre l’humanité. De plus, si quelqu’un qui est nommé pour protéger les gens et garantir leur liberté, devient au contraire un complice de ceux qui font le commerce des êtres humains, alors, dans de tels cas, les États sont responsables devant leurs citoyens et devant la communauté internationale ».
Tout en reconnaissant les efforts de certains pays pour punir les responsables de ces crimes, il faut regretter qu’il y ait encore trop peu de cas où les « consommateurs » se sont retrouvés en prison. Bien qu’ils ne soient peut-être pas les cerveaux, ils sont certainement les vrais auteurs responsables de ces crimes odieux.

  1. PARTENARIAT

La mise en place de réseaux efficaces pour prévenir le commerce, protéger les victimes et poursuivre les trafiquants est une véritable clé du succès, comme l’a déclaré le pape François en 2016 : « Il est important de mettre en œuvre une coopération toujours plus efficace et incisive, non seulement sur l’échange d’informations, mais aussi sur le renforcement des réseaux capables d’assurer une intervention rapide et spécifique; et ceci, sans sous-estimer la force que les communautés ecclésiales révèlent surtout lorsqu’elles sont unies dans la prière et la communion fraternelle ».
Ici, le Saint-Père pointe vers le « partenariat » comme un ajout important aux 3 P conventionnels de prévention, de protection et de poursuite. Cette suggestion est née de l’expérience sur le terrain.
La formation de partenariats pour lutter contre le trafic doit être fondée sur la reconnaissance de la contribution que chaque partenaire peut offrir en fonction de ses aptitudes et de ses compétences, ainsi que du respect profond du principe de subsidiarité. N’oublions pas que les différents partenaires ont des attributs distincts. Beaucoup de victimes se tournent vers des organisations civiles et religieuses parce qu’elles ont appris à se méfier des institutions publiques ou ont peur d’être punies (rétribution). C’est pourquoi il est important que les institutions collaborent régulièrement avec ces organisations dans la formulation et la mise en œuvre de programmes efficaces et la fourniture des outils nécessaires. La rencontre, le réseautage, les médias sociaux et la spiritualité sont parmi les moyens utiles d’un partenariat.
CONCLUSION
A Bethléem, le pape François a exprimé cette vision : « Aujourd’hui aussi, les enfants sont un signe. Ils sont un signe d’espoir, un signe de vie, mais aussi un signe « diagnostique », un marqueur indiquant la santé des familles, de la société et du monde entier. Partout où les enfants sont acceptés, aimés, soignés et protégés, la famille est en bonne santé, la société est plus saine et le monde est plus humain ». Que ce soit notre ferme résolution pendant cette 17ème Conférence et dans les actions courageuses auxquelles elle mène par la suite.
Je vous remercie.
© Traduction de Zenit, Constance Roques
 

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Constance Roques

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