« Le profit ne peut pas être le seul objectif rationnel de l’activité commerciale », affirme Mgr Jurkovic.
Mgr Ivan Jurkovič, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’ONU et d’autres organisations internationales à Genève, et intervenu au Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme, sur le point 5 intitulé : « Responsabilité légale », le 25 octobre 2017 à Genève.
« Lorsque les droits de l’homme sont négligés, a déploré Mgr Jurkovic, une exclusion systémique des personnes vulnérables se produit.»
« Ce qu’il faut, a-t-il ajouté, ce sont des normes plus strictes et des lois plus strictes ainsi que des règlements plus rigoureux pour faire en sorte que ceux qui ne se comportent pas de manière conforme à ces normes soient tenus pour responsables. ».
Voici notre traduction du discours prononcé en anglais par Mgr Jurkovic.
HG
Intervention de Mgr Jurkovic
Monsieur le Président,
« Le XXIe siècle, tout en conservant des systèmes de gouvernance hérités du passé, voit s’affaiblir le pouvoir des États-nations, notamment parce que le secteur économique et financier, transnational, tend à l’emporter sur le politique » (1). Parfois, comme nous le verrons, ces entités économiques « exercent plus de pouvoir que les États eux-mêmes » (2).
La crise financière a démontré la difficulté de compter sur les entreprises pour s’autoréguler volontairement. La théorie économique a expliqué pourquoi nous ne pouvons pas compter sur la poursuite de l’intérêt personnel, et les expériences de ces dernières années ont renforcé cette conclusion. En particulier, les États faibles et pauvres subissent les conséquences d’une asymétrie du système international selon laquelle les droits des entreprises commerciales sont soutenus par des lois strictes et des mécanismes d’application forts, tandis que leurs obligations ne sont soutenues que par des lois non contraignantes, comme des lignes directrices facultatives. Par conséquent, « il y a de nombreuses personnes, en particulier des immigrés, qui, contraints de travailler “sous la table”, manquent des garanties juridiques et économiques les plus élémentaires » (3).
Une autre préoccupation concerne la capacité des sociétés internationales à échapper partiellement à la territorialité et à se créer une existence « intermédiaire » qui échappe à la législation nationale. Cela leur permet de naviguer dans les législations nationales, de profiter de l’arbitrage réglementaire et de choisir les juridictions qui peuvent offrir le meilleur rendement en termes de profit. Mais le profit ne peut pas être le seul objectif rationnel de l’activité commerciale. Lorsque les droits de l’homme sont négligés, une exclusion systémique des personnes vulnérables se produit. Ce qu’il faut, ce sont des normes plus strictes et des lois plus strictes ainsi que des règlements plus rigoureux pour faire en sorte que ceux qui ne se comportent pas de manière conforme à ces normes soient tenus pour responsables.
En réponse à ce défi, il est important de reconnaître qu’il existe de bonnes raisons pour lesquelles le droit international pourrait accorder une attention particulière aux sociétés transnationales et, en particulier, à leur responsabilité pour les violations des droits de l’homme. Un instrument juridique international a le potentiel de rendre les entreprises criminellement, civilement et administrativement responsables, tout en garantissant la protection des droits de l’homme, en donnant accès à un recours judiciaire et en ajoutant un outil important pour la reddition de comptes.
La protection des droits de l’homme est traditionnellement comprise comme relevant du droit public, y compris du droit constitutionnel, administratif et pénal. En ce sens, il pourrait être utile d’assigner à cette branche du droit interne un rôle prépondérant dans le respect des droits de l’homme vis-à-vis des abus éventuels des entreprises.
La responsabilité des institutions financières qui incitent, soutiennent ou financent des projets qui compromettent la jouissance des droits de l’homme est également d’une importance cruciale. L’instrument juridique international doit également prendre celles-ci en considération et y remédier. Les institutions financières doivent être tenues pour responsables lorsque les projets qu’elles promeuvent reproduisent les effets dévastateurs des violations des droits de l’homme commises par les entreprises.
L’article 19 de la Convention-cadre de l’OMS sur la lutte antitabac constitue un précédent utile qui invite les Parties à « envisager de prendre des mesures législatives ou de promouvoir leurs lois existantes pour faire face à la responsabilité pénale et civile, y compris une indemnisation appropriée ». Il demande une coopération internationale entre les tribunaux du pays d’accueil et ceux du pays d’origine, et un échange d’informations. Un traité obligeant les sociétés transnationales à rendre compte de leurs violations des droits de l’homme devrait inclure une disposition claire, telle que celle-ci, qui consacre cette obligation de l’État.
Le Saint-Siège est conscient qu’il n’existe pas de solutions faciles pour faire face aux défis multiples des entreprises et des droits de l’homme, ou pour fournir le remède efficace et la responsabilité que les victimes recherchent légitimement d’urgence. Nous avons besoin d’une application transfrontalière internationale, y compris de lois plus larges et renforcées, accordant des droits légaux étendus pour mener des actions qui peuvent tenir responsables les entreprises qui violent les droits de l’homme dans leur pays d’origine. Les lois non contraignantes – l’établissement de normes du genre de celles qui sont reflétées dans les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme – sont essentielles ; mais elles ne suffiront pas. Nous devons nous diriger vers un accord international contraignant entérinant ces normes.
Monsieur le Président,
La responsabilité légale des entreprises commerciales en droit interne comprend généralement la responsabilité pénale, civile et administrative. La responsabilité des entreprises est donc une combinaison d’éléments matériels et procéduraux de droit public et de droit privé. Cependant, la réalité montre que ceux qui sont victimes d’abus commerciaux, en particulier dans certaines juridictions, ont également tendance à utiliser le droit privé, qui doit être transformé pour mieux répondre à ces défis. La pratique au sein des juridictions est donc divergente, comme l’indique, entre autres, le rapport du HCDH sur l’amélioration de la responsabilité et l’accès à un recours. En ce sens, il pourrait être essentiel que les infractions soient définies avec suffisamment de clarté dans le traité et toujours à condition que la responsabilité pénale de l’entité juridique n’exclue pas la responsabilité pénale individuelle des dirigeants ou des chefs d’entreprise.
Les États parties à l’accord doivent adopter des mesures législatives et administratives efficaces, conformément à leurs systèmes et principes juridiques nationaux, afin d’établir la responsabilité juridique des entreprises commerciales pour les comportements commerciaux qui entraînent des violations des droits de l’homme au pays et à l’étranger. Cette responsabilité devrait, le cas échéant, être pénale, civile ou administrative.
Merci, Monsieur le Président.
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1 Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, n. 175.
2 Pape François, Lettre encyclique Laudato si’, n. 196.
3 Pape François, Discours aux participants au Congrès mondial des comptables. Rome, 14 novembre 2014.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Mgr Ivan Jurkovič © L'Osservatore Romano
ONU: Non! au profit comme seul objectif rationnel de l'activité commerciale, par Mgr Jurkovic
Du respect des droits humains