« Privés de communion eucharistique en cette période de confinement, les laïcs ont faim du Pain de Vie. Que faut-il en penser ? Comment répondre à leur attente ? »: Elisabeth de Baudoüin, laïque, mère de famille, et auteure de « Les saints nous conduisent à Jésus – entretien avec le Père François-Marie Léthel » (Salvator 2017) et « Thérèse et François » (Salvator 2019) répond.
Zenit – Beaucoup de laïcs se sont sentis appelés par Dieu à la communion quotidienne, depuis 10, 20, 50 ans… au milieu des obligations professionnelles, des engagements familiaux et sociaux. Prend-t-on actuellement suffisamment en compte le désir du Christ lui-même de venir à chacun, lorsqu’on ne répond que par des solutions télématiques ?
Elisabeth de Baudoüin – Malgré la bonne volonté et les efforts de part et d’autre, ces solutions ne comblent pas la faim. En particulier chez les « laïcs eucharistiques » : ceux pour qui participer à l’Eucharistie et communier chaque jour ou fréquemment est vital. La communion spirituelle, préconisée par l’Eglise en cette période de pandémie, peut être source de consolation. Des fidèles du monde entier en font actuellement l’expérience, à travers la participation virtuelle à la messe quotidienne du Pape, qui la propose au moment de l’action de grâce. Mais la communion spirituelle ne représentera jamais qu’un « mieux que rien » par rapport à la communion sacramentelle et on ne peut pas les mettre sur le même pied d’égalité. Pourquoi d’ailleurs le Christ aurait-il institué la seconde si la première suffisait ?
Aux laïcs qui ont l’habitude du contact avec le Corps de Jésus, ce contact manque. Ils le recherche en allant auprès du tabernacle, dans les églises ouvertes, mais cela ne suffit pas. Ils sont – en effet – comme Marie-Madeleine qui pleure devant le tombeau vide et dit aux anges : « On a enlevé le Seigneur mon Maitre et je ne sais pas où on l’a mis ». Cette réponse de l’apôtre des apôtres a retenti particulièrement douloureusement dans leur cœur au moment de Pâques. Sans ce contact « charnel », ils ont du mal à chanter Alléluia ! Les prêtres, qui n’en sont jamais privés, le mesurent-ils vraiment ? Pensent-ils en effet aussi à la souffrance de Jésus de ne pas pouvoir se donner dans ce « corps à corps » ?
« Donnez-leur vous-même à manger de peur qu’ils ne défaillent en chemin » : donner ou ne pas donner le Pain de Vie aux baptisés en temps de confinement? L’Eglise Mère n’a-t-elle pas la mission de nourrir le Peuple de Dieu ?
Les attitudes sont manifestement différentes selon les lieux. Certains prêtres cherchent à répondre à cette faim des fidèles, avec toutes les précautions nécessaires. D’autres s’y refusent. Une amie m’a confiée que ces jours derniers, elle s’est retrouvée devant le tabernacle avec son curé, qui sait qu’elle communie habituellement tous les jours. Elle lui a demandé s’il pouvait lui donner le Corps du Christ et il a dit non. Elle s’est alors sentie comme une petite fille à qui sa maman a refusé un bonbon. Comment justifier un tel refus ? Par le fait qu’il ne faut pas séparer la communion au Corps et au Sang du Christ de la célébration liturgique ? Mais dans de telles circonstances, cela ne tient pas ! Par ailleurs, pourquoi refuser le Pain de Vie aux fidèles quand les boulangers, avec toutes les précautions qui s’imposent, continuent à servir le pain de table à leurs clients ? Il ne faut pas être plus royaliste que le roi !
En d’autres circonstances – camps nazis, goulag, prisons communistes en Asie – les prêtres et les évêques ont déployés des trésors d’ingéniosité pour faire parvenir des miettes d’Eucharistie à leurs codétenus. Quelles solutions pourrait-on inventer en ce temps de danger sanitaire – mortel – pour faire parvenir son Viatique au Peuple de Dieu dénutri mais sans mettre qui que ce soit en danger ?
Le frère Jean-Ariel Bauza-Salinas, op, a très bien répondu à cette question sur Zenit et fait des propositions concrètes en ce sens. Le théologien François-Marie Léthel, ocd, également. A ma place de simple laïque, j’ose ajouter ceci : cette pandémie devrait être l’occasion d’un « bond en avant », dans la confiance des prêtres envers les fidèles laïcs et leur capacité à prendre soin de Jésus Hostie. Leur fidélité à la messe et la communion quotidiennes ou fréquentes relève bien souvent de l’héroïsme et suppose un grand amour de Jésus réellement présent dans le pain et le vin consacrés. L’Eucharistie leur est déjà confié à travers différents ministères : distribuer la communion ou l’apporter aux malades. A présent, il faut aller plus loin !
On marche vers le Congrès eucharistique international de Budapest (13-20 septembre): au lieu d’une « décroissance » du culte eucharistique, la pandémie ne peut-elle pas devenir une occasion de croissance du culte eucharistique dans les familles, dans tout le Peuple de Dieu, reconnu comme adulte et responsable dans son amour de Jésus vivant dans le Pain du Ciel ?
Oui, la crise que nous traversons devrait permettre à Jésus Hostie d’entrer dans les maisons, spécialement ces petites « églises domestiques » que sont les familles où Jésus est aimé. Il n’y pas de risque que Jésus dans son Saint-Sacrement soit maltraité dans ces familles-là ! Combien y serait-il au contraire « dorloté », en particulier par les enfants qu’il aime tant ! En ce temps de confinement, la communion pourrait même y être organisée, selon des modalités à mettre en place. N’ayons pas peur d’être audacieux et de faire preuve de créativité ! Pardon à mes frères et amis prêtres, mais si le monopole de la célébration des Saints Mystères leur est définitivement acquis, prendre soin du Corps de Jésus ne leur est pas exclusivement réservé. L’Evangile, auquel il faut toujours se référer, comme nous le rappelle si souvent le pape François, particulièrement en période de crise, nous donne de magnifiques exemples en ce sens : Marie Madeleine avec son parfum de prix répandu sur les pieds de Jésus qu’elle sèche avec ses cheveux, Véronique qui essuie son visage ensanglanté sur le chemin qui monte au calvaire, Joseph d’Arimathie qui demande à Pilate son corps crucifié, le descend de la Croix et l’enveloppe dans un linceul (et on peut imaginer avec quel amour il s’y est employé), les saintes femmes qui regardent dans le tombeau pour voir comment ce corps a été placé et s’en retournent pour préparer des aromates et des parfums … sans parler de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné… Ces exemples pourraient nous inspirer pour explorer de nouvelles voies. L’audace et la créativité font grandir l’Eglise.