« Une armée dont les seules armes sont la solidarité, l’espoir et l’esprit communautaire, revitalisant tout à une époque où personne ne peut se sauver seul »: le pape salue en ces termes, pour Pâques, ce 12 avril 2020, l’esprit solidaire des Mouvements et organisations populaires, qui se trouvent dans les « tranchées les plus dangereuses » face à la pandémie. » Votre résilience m’aide, me met au défi et m’apprend beaucoup », confie le pape François. Il demande de replacer l’humain au centre des systèmes, et « d’envisager un salaire de base universel ».
Non au pilotage automatique
« Mediterranea Saving Humans« , une plate-forme qui vient en aide aux migrants naufragés de Méditerranée publie le message, en anglais, que le pape adresse aux Mouvements populaires » pour Pâques, ce 12 avril 2020. Le pape y rappelle la rencontre mondiale de Bolivie, à Santa Cruz de la Sierra, le 5 novembre 2016.
Le pape espère qu’une grande réforme mondiale jaillira de cette épreuve: « J’espère que cette période de danger nous libérera du pilotage automatique, ébranlera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique qui mettra fin à l’idolâtrie de l’argent et placera la vie et la dignité humaines au centre ».
Il souhaite que les mouvements populaire y participent: « Vous êtes les bâtisseurs indispensables de ce changement qui ne peut plus être repoussé. »
Des tranchées dangereuses
« En ces jours de grande anxiété et de difficultés, écrit notamment le pape, beaucoup ont utilisé des métaphores guerrières pour faire référence à la pandémie que nous vivons. Si la lutte contre le Covid-19 est une guerre, alors vous êtes vraiment une armée invisible, combattant dans les tranchées les plus dangereuses; une armée dont les seules armes sont la solidarité, l’espoir et l’esprit communautaire, revitalisant tout à une époque où personne ne peut se sauver seul. Comme je vous l’ai dit lors de nos rencontres, vous êtes pour moi des poètes sociaux car, à partir des périphéries oubliées où vous vivez, vous créez des solutions admirables aux problèmes les plus pressants qui touchent les marginalisés. »
Le pape évoque spécialement les difficultés rencontrées du fait du confinement: « Comme il est difficile de rester à la maison pour ceux qui vivent dans de minuscules habitations délabrées ou pour les sans-abri! »
Voici notre traduction rapide de travail de la lettre du pape François.
AB
Lettre du pape François
Chers amis,
Je me remémore souvent de nos précédentes rencontres: deux au Vatican et une à Santa Cruz de la Sierra (Bolivie, ndlr), et je dois vous dire que ce « souvenir » me réchauffe le cœur. Cela me rapproche de vous et m’aide à revivre tant de dialogues que nous avons eu à cette époque. Je pense à tous les beaux projets qui ont émergé de ces conversations et qui ont pris forme et sont devenus réalité. Maintenant, au milieu de cette pandémie, je pense à vous d’une manière spéciale et je tiens à vous exprimer ma proximité.
En ces jours de grande anxiété et de difficultés, beaucoup ont utilisé des métaphores guerrières pour faire référence à la pandémie que nous vivons. Si la lutte contre le Covid-19 est une guerre, alors vous êtes vraiment une armée invisible, combattant dans les tranchées les plus dangereuses; une armée dont les seules armes sont la solidarité, l’espoir et l’esprit communautaire, revitalisant tout à une époque où personne ne peut se sauver seul. Comme je vous l’ai dit lors de nos rencontres, vous êtes pour moi des poètes sociaux car, à partir des périphéries oubliées où vous vivez, vous créez des solutions admirables aux problèmes les plus pressants qui touchent les marginalisés.
Je sais que vous ne recevez presque jamais la reconnaissance que vous méritez, car vous êtes vraiment invisible pour le système. Les solutions de marché n’atteignent pas les périphéries et la protection de l’État y est à peine visible. Vous n’avez pas non plus les moyens de vous substituer à son fonctionnement. On vous regarde avec suspicion lorsque, par le biais d’un organisme communautaire, vous essayez d’aller au-delà de la philanthropie ou lorsque, au lieu de démissionner et d’espérer attraper des miettes qui tombent de la table du pouvoir économique, vous revendiquez vos droits. Vous ressentez souvent de la colère et de l’impuissance à la vue d’inégalités persistantes et lorsque toute excuse suffit à maintenir ces privilèges. Cependant, vous ne vous résignez pas à vous plaindre: vous retroussez vos manches et continuez à travailler pour vos familles, vos communautés et le bien commun. Votre résilience m’aide, me met au défi et m’apprend beaucoup.
Je pense à toutes les personnes, spécialement des femmes, qui multiplient les miches de pain dans les soupes populaires: deux oignons et un paquet de riz deviennent un délicieux ragoût pour des centaines d’enfants. Je pense aux malades, je pense aux personnes âgées. Ils n’apparaissent jamais dans les nouvelles, pas plus que les petits agriculteurs et leurs familles qui travaillent dur pour produire des aliments sains sans détruire la nature, sans thésauriser, sans exploiter les besoins des gens. Je veux que vous sachiez que notre Père céleste veille sur vous, voit votre valeur, vous apprécie et vous soutient dans votre engagement.
Comme il est difficile de rester à la maison pour ceux qui vivent dans de minuscules habitations délabrées ou pour les sans-abri! Comme c’est difficile pour les migrants, ceux qui sont privés de liberté et ceux en cure de réadaptation pour une dépendance. Vous êtes là, au coude à coude avec eux, les aidant à rendre les choses moins difficiles, moins douloureuses. Je vous félicite et vous remercie de tout mon cœur.
J’espère que les gouvernements vont comprendre que les paradigmes technocratiques (centrés sur l’État ou dictés par le marché) ne suffisent pas à faire face à cette crise ou aux autres grands problèmes qui affectent l’humanité. Aujourd’hui plus que jamais, les personnes, les communautés et les peuples doivent être placés au centre, unis pour guérir, soigner et pour partager.
Je sais que vous avez été exclus des bienfaits de la mondialisation. Vous ne jouissez pas des plaisirs superficiels qui anesthésient tant de consciences, mais vous souffrez toujours du mal qu’ils produisent. Les maux qui affligent chacun vous frappent deux fois plus durement. Beaucoup d’entre vous vivent au jour le jour, sans aucun type de garantie légale pour vous protéger. Vendeurs ambulants, chiffonniers, forains, petits agriculteurs, ouvriers du bâtiment, couturiers, différents types d’aidants: vous qui êtes informels, travaillant de façon autonome ou dans l’économie de base, vous n’avez pas de revenu stable pour vous aider à traverser cette période difficile … et les blocages deviennent insupportables. C’est peut-être le moment d’envisager un salaire de base universel qui reconnaîtrait et honorerait les tâches nobles et essentielles que vous accomplissez. Il assurerait et concrétiserait l’idéal, à la fois si humain et si chrétien, de « pas de travailleur sans droits ».
De plus, je vous exhorte à réfléchir sur «la vie après la pandémie», car alors que cette tempête passera, ses graves conséquences vont déjà de faire sentir. Vous n’êtes pas sans ressources. Vous avez la culture, la méthode et, surtout, la sagesse qui est pétrie avec le levain de ressentir la souffrance des autres comme la vôtre. Je veux que nous réfléchissions tous au projet de développement humain intégral auquel nous aspirons et qui est basé sur le rôle central et l’initiative du peuple dans toute sa diversité, ainsi que sur l’accès universel à ces trois T que vous défendez: Trabajo (travail), Techo (toit, logement) et Tierra (terre, nourriture).
J’espère que cette période de danger nous libérera du pilotage automatique, ébranlera nos consciences endormies et permettra une conversion humaniste et écologique qui mettra fin à l’idolâtrie de l’argent et placera la vie et la dignité humaines au centre. Notre civilisation – si compétitive, si individualiste, avec ses rythmes frénétiques de production et de consommation, ses luxes extravagants, ses profits disproportionnés pour quelques-uns – doit rétrograder, faire le point et se renouveler.
Vous êtes les bâtisseurs indispensables de ce changement qui ne peut plus être repoussé. De plus, lorsque vous témoignez que le changement est possible, votre voix fait autorité. Vous avez connu des crises et des difficultés … que vous parvenez à transformer – avec modestie, dignité, engagement, dur labeur et solidarité – en une promesse de vie pour vos familles et vos communautés.
Restez ferme dans votre lutte et prenez soin les uns des autres en tant que frères et sœurs. Je prie pour vous, je prie avec vous. Je veux demander à Dieu notre Père de vous bénir, de vous remplir de son amour et de vous défendre sur ce chemin, en vous donnant la force qui nous tient debout et qui ne déçoit jamais: l’espérance. S’il vous plaît, priez pour moi, car j’en ai aussi besoin.
Fraternellement,
François
Copyright – Traduction de Zenit, Anita Bourdin