« Réforme, non pas révolution », c’est le titre du numéro de janvier 2019 du mensuel « Femmes, Eglise, monde » («donne chiesa mondo») de L’Osservatore Romano, publié ce 2 janvier. Les rédacteurs, qui ne mâchent pas leurs mots, y font des suggestions concrètes en terme de participation des femmes au sein de l’Eglise, proposant notamment leur présence au sein du « Conseil des cardinaux », constitué par le pape pour l’assister dans la réforme de la Curie romaine.
« Une révolution n’est pas nécessaire pour donner aux femmes la place qu’elles méritent dans l’Église, écrit Lucetta Scaraffia dans l’éditorial. Il n’est pas indispensable de leur concéder le sacerdoce ni même le diaconat… Il suffit, en fait, d’un peu de courage et de la capacité prophétique de regarder l’avenir avec un regard positif, en acceptant les changements qui sont souvent inscrits dans l’ordre des choses. »
Dans ce numéro d’une quarantaine de pages, explique-t-elle, « nous essayons de proposer des changements qui pourraient être réalisés dès maintenant, sans toucher aux dogmes ni au code de droit canonique » : mais, note-t-elle, il faut « vaincre les résistances de ceux qui, sans raison ni soutien juridique, cherchent à exclure (les femmes) des rôles plus importants ».
L’historienne italienne dénonce un obstacle à la parité : le manque de formation des religieuses par rapport à celle qui est réservée aux religieux et aux prêtres. Alors qu’au début du vingtième siècle elles comptaient parmi les premières femmes à être diplômées dans les universités d’État, « de l’avant-garde, les religieuses se sont retrouvées à la traîne ».
Lucetta Scaraffia conseille notamment que les femmes – et en particulier les religieuses – soient « invitées à participer à de nombreux organismes, y compris le Conseil des cardinaux institué par François un mois exactement après son élection », ou encore « à parler dans les congrégations qui précèdent le conclave ».
Pour éviter « une sélection qui risque de récompenser non pas les plus compétentes mais les plus obéissantes », elle estime qu’il est préférable que la présence féminine dans l’Église « soit exprimée librement par les associations », au lieu de « faire choisir des figures féminines par la hiérarchie ».
Des ombres grises et obéissantes
Dans un article plus loin, Lucetta Scaraffia poursuit son analyse : « Si l’on veut vraiment donner un coup au cléricalisme, il faut commencer par là, par les religieuses, et non pas tant en tant que personnes individuelles… mais surtout dans la forme collective des associations déjà existantes… parce qu’insérer la présence de quelques femmes ici ou là dans les dicastères, en général isolées et choisies parmi les plus obéissantes, ne change rien… Si l’on pense que, même dans la congrégation pour les religieux – bien que les femmes constituent presque les deux tiers du nombre entier des religieux – il n’y a qu’une seule sous-secrétaire, évidemment écrasée, quel que soit le mal qu’elle se donne pour faire entendre sa voix, par tous les dirigeants prêtres, l’on comprend que les religieuses ne soient jamais écoutées dans leur réalité globale. »
Evoquant « ces religieuses qui – si on les observe du Saint-Siège ou des institutions centrales des Églises locales – semblent seulement des ombres grises et obéissantes, heureuses de leur rôle modeste et oublié », elle déplore que « dans les moments décisionnels de la vie de l’Église, les femmes – mais surtout les religieuses – ne sont pas prévues, ne sont pas écoutées, et que l’on procède comme si elles n’existaient pas ».
Sans prendre de gants, Lucetta Scaraffia fustige « un préjugé très enraciné » : « qu’écouter les religieuses n’a aucun intérêt, que les religieuses ne pensent absolument rien, puisqu’elles sont privées de culture et dédiées à des travaux serviles… J’ai même entendu un dirigeant du Vatican appeler les sœurs des ‘têtes en coton’, pour souligner leur pauvreté intellectuelle… les nombreuses sœurs qui travaillent sans cesse pour des tâches de service de différentes sortes au Vatican doivent garder un comportement soumis, accepter que leur travail intellectuel, s’il est bon, soit attribué au supérieur de service, doivent en substance disparaître en tant que personnalités individuelles ».
Et de poursuivre : « Ce sont elles qui préfèrent qu’il en soit ainsi, me dit-on souvent », mais « le sacrifice des femmes n’est utilisé que pour renforcer le pouvoir de ceux qui l’ont déjà ».
Le mensuel du journal du Vatican réclame pour les religieuses un « parcours d’études solide et cohérent », soulignant que « faire étudier une sœur n’est pas du temps perdu ». « Ce ne sont pas les macro-révolutions, mais les micro-processus, pressentis, voulus et poursuivis, qui changent l’histoire, peut-on y lire. Les macro-révolutions génèrent violence et dureté. Les micro-processus réalisent le changement dans le concret des situations vécues… Dans les processus historiques, les femmes ont offert un apport particulier, sans révolutions, en gérant le quotidien avec une ténacité ingénieuse et critique. »
« Ainsi, pour les femmes consacrées, les tournants effectués sont le fruit de micro-processus, d’intuitions, de décisions, d’actions audacieuses, parfois silencieuses : de l’intelligence au centre du cœur où l’on se décide pour l’humain et pour Dieu. Avec légèreté. »
Avec une traduction d’Hélène Ginabat