Le vrai Big Bang : la conception de l'homme

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Réflexion de Carlo Casini (II/II)

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« Le vrai bing bang, c’est la conception » de l’homme : « c’est à partir de là que notre corps a commencé à se déployer,  et cela à une vitesse et de manière particulièrement  impressionnante, qui est unique dans tout l’univers », déclare le président de la Commission pour les Affaires constitutionnelles au Parlement européen, Carlo Casini.

Voici la deuxième partie de notre traduction de sa réflexion (cf. Zenit du 5 février 2013 pour la deuxième partie).

Conception, création à l’œuvre

Chaque être humain a eu lui aussi un début. Il y a un certain nombre d’années, ni celui qui écrit ni celui qui lit ce texte n’existait. Puis, tout à coup nous sommes apparus, sortis du néant. Pour chacun de nous la création a eu lieu à cet instant. Et s’il est vrai que l’homme est l’issue finale de l’univers, alors chacun de nos débuts n’est pas seulement une création à l’œuvre (le passage du néant à la vie se fait non pas il y a 13 milliards 800 millions d’années, mais aujourd’hui): c’est aussi la plus vraie des créations. Le vrai bing bang, c’est la conception. C’est à partir de là que notre corps a commencé à se déployer,  et cela à une vitesse et de manière particulièrement  impressionnante, qui est unique dans tout l’univers. Il suffit de penser aux cent milles milliards de cellules que produit le corps adulte d’un homme et d’une femme qui proviennent toutes de la première cellule. D’un point de vue numérique aussi, l’homme l’emporte sur les étoiles : une galaxie peut avoir des centaines ou des milliers de milliards d’étoiles. Cela est beaucoup, mais néanmoins beaucoup moins que le nombre de cellules qui composent un corps humain. Ce qui frappe aussi c’est le finalisme qui détermine la collaboration de chaque cellule avec tout le reste du corps, et la vitesse de la construction, spécialement dans la phase qui précède l’accouchement.

La comparaison que nous avons proposée entre l’univers et l’homme amène à certains corollaires. Il y a une certaine analogie entre le début du cosmos, tel que celui imaginé aujourd’hui par la plupart des scientifiques, et le début de chaque vie humaine.

Un point

Un point qui sort tout à coup du néant. Un point doté d’une énorme force d’expansion et d’organisation. Un point destiné à devenir quelque chose d’incommensurable: dans l’ordre de la matière inanimée pour ce qui est de l’univers, dans l’ordre de la pensée pour ce qui est de l’homme, capable d’embrasser avec son esprit l’univers tout entier. Si quelqu’un avait détruit ce point d’où le cosmos est parti, il n’y aurait pas d’univers. Il aurait détruit la Création.

Celui qui élimine l’embryon humain, même lorsque celui-ci a la taille d’un point, ne détruit pas seulement un homme, il commet quelque chose d’irréparable, car cet être humain est irremplaçable. Quel que soit ce qu’il aurait été, intelligent ou d’une envergure intellectuelle modeste, quelque chose a été enlevé à l’histoire du monde, laquelle, bien que n’étant qu’une partie de la trame, ne pourra plus être réparée. On peut juger que les dommages faits sont en fin de compte relativement modestes, mais qui peut dire ce qu’aurait été cet enfant-embryon une fois devenu adulte ? Dante, Beethoven, Leonard de Vinci, eux aussi ont été des embryons. Sans eux, nous serions tous différents. Qui peut dire combien, parmi les millions et millions d’embryons détruits par avortement ou à travers les différentes formes d’élimination préméditée d’enfants produits in vitro, auraient pu apporter une forte contribution au progrès de la civilisation, de la médecine, de la solidarité, de la science ?

La dignité de chaque être humain vivant

Le slogan que l’embryon humain n’est pas un homme en raison de sa petitesse offense la raison, ou s’appuie sur une vision brutalement matérialiste selon laquelle seule la matière existe et l’homme n’est autre qu’une matière organisée de manière particulièrement parfaite, mais toujours et seulement matière, qui peut donc être utilisée et détruite dans les limites où cela est jugé convenant et sans risques pour celui qui le fait. Le XIXème siècle, qui a connu un progrès technique et civil considérable dans tous les domaines, a vu passer des doctrines, au succès éphémère, qui n’ont pas su répondre à la demande de sens concernant la vie de chaque individu, parce que leur seul horizon était la matière. Le communisme réel, par exemple, n’a pas seulement érigé des musées de l’athéisme, il a aussi enseigné dans les écoles le matérialisme théorique. Pour éviter l’insurmontable angoisse de Giacomo Leopardi (le non-sens de l’existence) ou le sombre repliement de chacun dans l’isolement de son propre « moi » prêt à se transformer en loup pour les autres, ces doctrines, sans jamais perdre de vue cet horizon de la matière, ont proposé aux peuples l’idée d’un sujet collectif –  tantôt la classe, la race, la Nation, l’espèce – comme le vrai sujet porteur de valeur. Cela a promu l’idée selon laquelle la vie de chaque individu ne vaudrait rien du tout. L’issue dramatiquement néfaste de ces doctrines est sous les yeux de tous.

Dans la tentative de tourner la page des camps de concentration et des goulags, des discriminations et des violences, les peuples du monde ont écrit la Déclaration universelle des droits de l’homme (10/12/1948). Juste au moment où la mémoire de la tragédie était encore une blessure quotidienne et alors qu’un nouveau conflit atomique se dessinait à l’horizon, les Etats – tout en accumulant têtes atomiques et missiles, dans la crainte les uns des autres –  faisaient reposer tous leurs espoirs civils – de liberté de justice et de paix – sur un acte de l’esprit humain: la reconnaissance de « la dignité inhérente à chaque être humain ». Dans la Déclaration de 1948, ni les innombrables Actes et Traités internationaux successifs concernant les droits de l’homme, ni les Constitutions de chaque Etat qui ont lié leur identité même à la promotion d’une même dignité humaine pour tous, n’expliquent d’où vient cette dignité. On dirait qu’elle a été tirée des décombres des villes, du sang des victimes et des horreurs de la guerre. Selon un procédé d’induction des faits, elle est démontrée par son contraire. Chaque souffrance, chaque oppression était accompagnée d’un mépris pour cette dignité égale pour tous. Donc – et c’est la conclusion – si nous voulons gagner des espaces de liberté, de justice et de paix, nous devons reconnaître que chaque être vivant a droit à la même dignité. L’affirmation « Res sacra homo » n’est pas uniquement religieuse. C’est aussi la plus criée des invocations « laïques », dans le sens d’une rationalité qui, à la lumière des vicissitudes du temps passé, interprète l’histoire et s’exprime dans les consensus des plus grandes organisations civiles, non pas (ou pas seulement) dans les églises.

A propos de doctrine des droits de l’homme, on a parlé de « religion civile » fondée sur le « principe de vénération » pour chaque être humain. Ce n’est pas un hasard si l’acte constitutif de l’Onu et la déclaration universelle n’hésitent pas, tous deux, à proclamer leur « foi dans les droits de l’homme ». Il est évident que ces considérations touchent et préparent la dimension religieuse dans l’épreuve de l’existence humaine. Mais, c’est délibérément que  je ne veux pas franchir le seuil de cet espace où la dignité humaine n’est pas seulement induite par l’histoire, mais déduite dans une logique imparable par la contemplation du mystère d’un Dieu créateur qui se
fait homme. Il suffit tout simplement d’observer que malgré les nombreuses trahisons d’ordre pratique, la culture moderne reconnaît que la dignité humaine doit être mise au centre de toutes les structures porteuses de notre vie civile: liberté (faculté de faire ce que chacun désire pour lui-même au prix même de marcher sur les pieds de l’autre ou faculté d’aimer l’autre ?), démocratie (force du nombre ou expression organisatrice du principe de parité concernant la dignité de chaque homme?), droit (commande du plus fort ou guide vers une juste action ?), laïcité (affirmation du doute systématique et invincible ou possibilité de travailler en commun, indépendamment de la vision religieuse, pour construire un monde davantage conforme à la digité humaine, valeur commune et fondatrice du pluralisme ?).

Dans ce contexte, la question de la vie humaine est bien loin d’apparaître comme une simple idée fixe du « catholique ». Je dirais plus : la question « homme ou chose ? » ouvre une brèche pour un dialogue constructif entre croyants et non croyants, et non un mur d’incommunicabilité. Ainsi l’enquête sur le sens de la vie humaine éclaire aussi les premières lueurs de la vie même. L’homme de foi religieuse sait que le sens de la vie humaine, même quand celle-ci apparaît absolument primitive et humble, est toujours celui d’être une parole d’amour de Dieu. Le non croyant parie de la même façon sur le sens positif de toute vie. Cela signifie qu’il a l’intuition d’une transcendance de l’homme par rapport au reste de la nature; il s’agit de toujours considérer l’homme comme un but à atteindre et jamais comme un moyen; de rejeter l’hypothèse d’une entité intermédiaire entre l’homme et les choses, entre les sujets et les objets; de reconnaître l’homme aussi dans les formes les plus emblématiquement petites du « vivre » humain, qui sont celles qu’il traverse au début, à la fin, et en marge de sa vie. 

En reconnaissant « l’un de nous » en chaque enfant conçu naturellement ou in vitro, on accumule des ressources intellectuelles et morales qui peuvent renouveler la société toute entière, dans une logique de solidarité, d’égalité et de justice sociale.

Enfin, accepter la grandeur mystérieuse de chaque homme ne peut que se refléter sur la reconnaissance de sa grandeur, y compris au moment de son origine. Et la stupeur de celui qui reconnaît l’homme dans celui qui lui paraît le plus insignifiant des hommes ne peut qu’aider à interpréter, avec de nouveaux yeux, la société toute entière, et à agir avec davantage d’entrain pour que l’avenir soit plus ouvert à la dignité humaine de tous et de chacun.

Traduction d’Océane Le Gall

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Carlo Casini

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