Lors de l’audience générale du 26 octobre 2016, le pape François a raconté l’histoire vraie d’un chauffeur de taxi dont le coeur a changé grâce à un réfugié qui « sentait mauvais » : accueillir l’étranger peut demander des efforts, a fait observer le pape en substance, mais « à la fin, son histoire parfume notre âme et nous fait changer ».
Durant sa catéchèse hebdomadaire place Saint-Pierre, le pape a médité sur les œuvres de miséricorde corporelles « J’étais étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez habillé » (Mt 25,35-36). « Les diocèses, les paroisses, les instituts de vie consacrée, les associations et les mouvements, chaque chrétien, a-t-il encouragé : nous sommes tous appelés à accueillir des frères et sœurs qui fuient une guerre, la faim, la violence et des conditions de vie inhumaines ».
Evoquant les attitudes de fermeture et de « non accueil », « l’instinct de l’égoïsme », le pape François a assuré que « la fermeture n’est pas une solution, au contraire, elle finit par favoriser les trafics criminels. La solidarité est la seule voie possible ».
« Habiller ceux qui sont nus », a-t-il aussi expliqué, c’est « rendre sa dignité à celui qui l’a perdue ». Et de citer « ces femmes victimes de la traite jetées à la rue », les enfants utilisés « comme des marchandises » et « tant de formes de ‘nudité’ qui appellent chaque chrétien à être attentif, vigilant et prêt à agir ».
« Chers frères et sœurs, a exhorté le pape, ne tombons pas dans le piège du repli, ne nous enfermons pas sur nous-mêmes, indifférents aux besoins de nos frères et ne nous préoccupant que de nos intérêts. C’est en nous ouvrant aux autres que la vie devient féconde, que les sociétés retrouvent la paix et les personnes récupèrent leur pleine dignité ».
AK
Catéchèse du pape François
Chers frères et sœurs, bonjour!
Poursuivons notre réflexion sur les œuvres de miséricorde corporelles, que le Seigneur Jésus nous a confiées pour entretenir la flamme et le dynamisme de notre foi. Ces œuvres montrent en effet que les chrétiens ne se lassent pas, ne paressent pas, en attendant la rencontre finale avec le Seigneur, mais qu’ils vont chaque jour à sa rencontre, reconnaissant son visage dans celui de tant de personnes en détresse. Aujourd’hui, nous nous arrêtons sur cette parole de Jésus: « J’étais étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez habillé » (Mt 25,35-36). A notre époque, l’œuvre qui consiste à accueillir l’étranger est une réalité plus que jamais actuelle. La crise économique, les conflits armés et les changements climatiques poussent tant de personnes à émigrer. Toutefois, les migrations ne sont pas un phénomène nouveau. Elles font partie de l’histoire humaine. Penser que celles-ci sont propres à notre époque est un manque de mémoire histoire.
La Bible nous offre tant d’exemples concrets de migration. Il suffit de penser à Abraham. L’appel de Dieu le pousse à quitter son Pays pour aller ailleurs: « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. » (Gn 12,1). Et c’est également dans cet esprit que le peuple d’Israël a quitté l’Egypte, où il était esclave, et qu’il a marché quarante ans dans le désert jusqu’à la terre que Dieu lui avait promise. Elle-même, la Sainte Famille – Marie, Joseph et le petit Jésus – fut contrainte à l’émigration pour échapper à la menace d’Hérode: « Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte où il resta jusqu’à la mort d’Hérode » (Mt 2,14-15). L’humanité est une histoire de migrations : sous toutes les latitudes, il n’est pas de peuple qui n’ait connu le phénomène migratoire.
Au fil des siècles, nous avons assisté à de grandes manifestations de solidarité, même si les tensions sociales n’ont pas manqué. Aujourd’hui, le contexte de crise économique favorise hélas les attitudes de fermeture et de « non accueil ». Dans certaines régions du monde, on voit des murs et des barrières se dresser. On a parfois l’impression que le travail silencieux de tant d’hommes et de femmes qui font tout leur possible pour venir en aide aux réfugiés et aux migrants, est couvert par le bruit de tant d’autres qui encouragent haut et fort à suivre l’instinct de l’égoïsme. Mais la fermeture n’est pas une solution, au contraire, elle finit par favoriser les trafics criminels. La solidarité est la seule voie possible. Solidarité avec le migrant, solidarité avec l’étranger.
L’engagement des chrétiens dans ce domaine est urgent, aujourd’hui comme autrefois. Ne serait-ce qu’au siècle dernier, nous avons le magnifique exemple de sainte Françoise Cabrini qui, avec ses compagnes, consacra toute sa vie aux migrants allant aux Etats-Unis d’Amérique. Aujourd’hui encore nous avons besoin de ces témoignages pour que la miséricorde puisse toucher tous ceux qui sont dans le besoin. Cet engagement implique tout le monde, personne n’est exclu. Les diocèses, les paroisses, les instituts de vie consacrée, les associations et les mouvements, chaque chrétien. Nous sommes tous appelés à accueillir des frères et sœurs qui fuient une guerre, la faim, la violence et des conditions de vie inhumaines. Tous ensemble nous formons une grande force de soutien pour tous ceux qui ont perdu leur patrie, leur famille, leur travail et la dignité. Il y a quelques jours, il s’est passé un petit épisode en ville. Un réfugié était en train de chercher son chemin, une femme le vit et s’approcha. Elle lui dit : « Vous cherchez quelque chose? ». Il était pieds nus, ce réfugié. Et il a dit: « Je voudrais aller à Saint-Pierre pour passer la Porte Sainte ». Et la femme pensa: « Mais il n’a pas de chaussures, comment fera-t-il pour marcher? ». Et elle appelle un taxi. Mais ce migrant, ce réfugié, sentait mauvais et le chauffeur de taxi fut à deux doigts de ne pas le faire monter, puis il a fini par le prendre dans son taxi. Et la femme, à ses côtés, lui posa des questions sur sa vie de réfugié et de migrant, durant le trajet: dix minutes pour arriver jusqu’ici. Cet homme raconta son histoire, ses souffrances, la guerre, la faim, pourquoi il avait fui son Pays pour migrer ici. Quand ils sont arrivés, la femme a ouvert son sac pour payer le chauffeur. Mais le chauffeur, qui au début ne voulait pas faire monter ce migrant à cause de sa mauvaise odeur, a dit à la femme: « Non madame c’est moi qui devrais vous payer car vous m’avez fait écouter une histoire qui a changé mon cœur ». Cette femme savait ce qu’était la douleur d’un migrant, parce qu’elle avait du sang arménien et connaissait la souffrance de son peuple. Quand nous faisons une chose de ce genre, au début nous refusons parce que ça nous dérange un peu, « mais … il sent mauvais … ». Mais à la fin, son histoire parfume notre âme et nous fait changer. Pensez à cette histoire et pensons à ce que nous pouvons faire pour les réfugiés.
Et l’autre chose c’est « habiller ceux qui sont nus: qu’est-ce que cela signifie si ce n’est rendre sa dignité à celui qui l’a perdue ? Certes, en donnant des vêtements à qui n’en a pas ; mais pensons aussi à ces femmes victimes de la traite jetées à la rue, ou à toutes les autres façons d’utiliser le corps humain, voire même des enfants, comme des marchandises. Comme ne pas avoir de travail, un toit, un juste salaire, sont une forme de nudité, ou être discriminés en raison de sa race, de sa foi. Tant de formes de « nudité » qui appellent chaque chrétien à être attentif, vigilant et prêt à agir.
Chers frères et sœurs, ne tombons pas dans le piège du repli, ne nous enfermons pas sur nous-mêmes, indifférents aux besoins de nos frères et ne nous préoccupant que de nos intérêts. C’est en nous ouvrant aux autres que la vie devient féconde, que les sociétés retrouvent la paix et les personnes récupèrent leur pleine dignité. Et n’oubliez pas cette femme, n’oubliez pas ce migrant qui sentait mauvais et n’oubliez pas ce chauffeur de taxi que ce migrant a touché, jusqu’à changer son coeur.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall