« Les pauvres sont (…) plus enclins à être artisans de paix. Faites la paix ! Créez la paix ! Donnez des exemples de paix ! ». C’est l’exhortation du pape François devant quelque 4000 personnes en situation précaire ou marginalisées, venues en pèlerinage à Rome à l’occasion du Jubilé de la miséricorde, le 11 octobre 2016. « La plus grande pauvreté, a aussi assuré le pape, c’est la guerre ».
Après deux témoignages d’anciens de la rue lors de la rencontre dans la salle Paul VI, le pape a pris la parole en espagnol. Il a souligné la « dignité » des plus pauvres qui ont « la capacité de trouver la beauté jusque dans les choses les plus tristes et les plus douloureuses ». « Pauvres oui, misérables non ! …. Pauvres oui, dominés non ! Exploités non ! », a-t-il lancé.
Voici notre traduction intégrale du discours du pape François.
AK
Discours du pape François
Merci à Christian et Robert. Merci à vous tous. D’être venus ici, nous rencontrer, de me rencontrer, de prier pour moi. Comme l’a dit le Cardinal [Barbarin], vos mains sur ma tête me donnent la force de poursuivre ma mission, dans la prière de l’imposition des mains. Merci beaucoup. J’ai pris note de quelques paroles des deux témoignages ; et après les avoir données, il y aura ensuite des gestes.
Robert a dit qu’en tant qu’êtres humains nous ne sommes pas différents des grands de ce monde. Nous avons nos passions et nos rêves que nous cherchons à poursuivre pas à pas. La passion et le rêve : deux mots qui peuvent aider. La passion qui parfois nous fait souffrir, nous tend des pièges, internes et externes ; la passion de la maladie… Les mille passions. Mais aussi se passionner soi même pour aller de l’avant – la bonne passion – et cette passion nous amène à rêver.
Selon moi, un homme ou une femme sont pauvres, mais d’une pauvreté différente de la vôtre, quand cet homme ou cette femme perdent la capacité de rêver, perdent la capacité de développer une passion. Ne vous arrêtez pas de rêver ! Le rêve d’un pauvre, d’un de ceux qui n’ont pas de toit, quel sera t-il ? Je ne sais pas, mais rêvez. Vous rêviez de pouvoir un jour venir à Rome, et le rêve s’est réalisé. Rêvez qu’on peut changer le monde, et ceci est une graine qui naît dans votre cœur.
Un de ceux qui ont parlé au début – Etienne Villemain – se rappelait d’une de mes paroles que j’utilise souvent : la pauvreté est au cœur de l’Évangile. Seul celui qui sent qu’il lui manque quelque chose, regarde vers le haut et rêve ; celui qui a tout ne peut pas rêver ! Les gens, les simples, suivaient Jésus parce qu’ils rêvaient qu’Il les guériraient, leur ferait du bien et ils le suivaient et Lui les libérait. Des hommes et des femmes avec des passions et des rêves. Ceci est la première chose que je voulais vous dire. Enseignez à nous tous, qui avons un toit, de la nourriture et des médicaments, enseignez-nous à ne pas être satisfaits. Avec vos rêves, enseignez-nous à rêver, enseignez-nous à rêver à partir de l’Évangile, là où vous êtes, au cœur de l’Évangile.
Une deuxième parole, qui n’a pas été dite, mais qui était dans l’état d’esprit de ceux qui ont parlé et dans le vôtre, qui est venue dans mon cœur, quand Robert a dit dans sa langue : [en français] « Et la vie devient si belle ! » Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la vie devient belle pour nous, que nous réussissons à la trouver belle même dans les pires situations dans lesquelles vous vivez. Ceci signifie dignité : c’est le mot qui m’est venu. La capacité de trouver la beauté jusque dans les choses les plus tristes et les plus douloureuses, seul un homme ou une femme qui a la dignité peut l’avoir. Pauvres oui, misérables non ! Cette dignité qu’eut Jésus, qui est né pauvre, qui a vécu pauvre ; la même dignité qu’a la Parole de l’Évangile ; la même dignité qu’a un homme ou une femme qui vit de son travail. Pauvres oui, dominés non ! Exploités non !
Je sais que bien des fois vous avez rencontré des personnes qui voulaient exploiter votre pauvreté, qui voulaient l’utiliser ; mais je sais aussi que ce sentiment de voir que la vie est belle, ce sentiment, cette dignité vous a empêché de devenir esclaves. Pauvre oui, esclaves non ! La pauvreté est au cœur de l’Évangile, pour être vécue. L’esclavage n’est pas là dans l’Évangile pour être vécu, mais pour être libéré !
Robert disait que pour chacun d’entre vous, la vie, parfois, très souvent, se fait difficile. Il a dit dans sa langue : [en français] « pour beaucoup d’autres, la vie a été beaucoup plus difficile que pour moi même ». Pour beaucoup d’autres nous voyons que la vie a été plus difficile que pour moi même ; nous trouvons toujours quelqu’un de plus pauvre que nous. Cela aussi donne la dignité : savoir être solidaires, savoir s’aider, savoir donner la main à qui est en train de souffrir plus que moi. La capacité d’être solidaire est un des fruits que nous donne la pauvreté. Quand il y a beaucoup de richesses, on oublie d’être solidaire, parce qu’on s’est habitué au fait qu’on ne manque de rien ! Quand la pauvreté te porte parfois à souffrir, elle te rend solidaire et te fait tendre la main à celui qui vit dans une situation plus difficile que la tienne. Merci pour cet exemple que vous donnez. Enseignez la solidarité au monde !
L’insistance du témoignage de Christian sur le mot « paix » m’a interpellé. Une phrase qui ici parlait de sa paix intérieure : [en français] « J’ai trouvé la paix du Christ que j’ai cherchée ». …. Ensuite il parle de la paix et de la joie qu’il a trouvées quand il a commencé à faire partie de la chorale de Nantes. Et à la fin,il m’a adressé un appel. Il m’a dit : [en français] « vous qui connaissez le problème de la paix dans le monde, je Vous demande de continuer votre action en faveur de la paix ». La plus grande pauvreté, c’est la guerre. Et la pauvreté qui détruit. Écouter cela de la bouche d’un homme qui a souffert de la pauvreté matérielle, pauvreté de santé, c’est un appel à travailler pour la paix. La paix qui pour nous chrétiens a commencé dans une étable d’une famille marginalisée ; la paix que Dieu veut pour chacun de ses enfants. Et vous, en partant de votre pauvreté, de votre situation, vous êtes, vous pouvez être constructeurs de paix. Les guerres se font entre riches, pour avoir plus, posséder plus de territoire, plus de pouvoir, plus d’argent… C’est très triste quand on arrive à se faire la guerre entre pauvres, parce que c’est une chose rare : les pauvres sont, par leur propre pauvreté, plus enclins à être artisans de paix. Faites la paix ! Créez la paix ! Donnez des exemples de paix ! Nous avons besoin de paix dans le monde. Nous avons besoin de la paix dans l’Église ; toutes les Églises ont besoin de paix ; toutes les religions ont besoin de croître dans la paix, parce que toutes les religions sont messagères de paix ; mais elles doivent cependant croître dans la paix. Aidez chacun dans sa propre religion. Cette paix qui vient de la souffrance, du cœur, cherchant cette harmonie qui te donne la dignité.
Je vous remercie d’être venus me voir. Je vous remercie pour les témoignages. Je vous demande de m’excuser si j’ai pu parfois offenser avec mes paroles ou pour ne pas avoir dit les choses que j’aurais dû dire. Je vous demande pardon au nom des chrétiens qui ne lisent pas les Évangiles en y trouvant la pauvreté au centre. Je vous demande pardon pour toutes les fois où nous chrétiens, devant une personne pauvre ou une situation de pauvreté, nous regardons de l’autre côté. Pardon. Votre pardon pour les hommes et les femmes d’Église qui ne veulent pas vous regarder ou n’ont pas voulu vous regarder, c’est de l’eau bénite pour nous ; c’est le grand nettoyage pour nous ; c’est nous aider à croire à nouveau que le cœur de l’Évangile c’est la pauvreté comme grand message, et que nous – les catholiques, les chrétiens, tous – nous devons former une Église pauvre pour les pauvres ; et que chaque homme et chaque femme, quelle que soit sa religion, doit voir en chaque pauvre le message de Dieu qui se fait proche et se fait pauvre pour nous accompagner dans la vie.
Que Dieu bénisse chacun d’entre vous. Je veux faire une prière pour vous, maintenant. Vous restez assis, comme vous l’êtes, et je ferai la prière.
Dieu, Père de nous tous, de chacun de tes fils, je te demande de nous donner la force, de nous donner la joie, de nous enseigner à regarder de l’avant, de nous enseigner à être solidaires parce que nous sommes frères et de nous aider à défendre notre dignité.
Tu es le Père de chacun d’entre nous. Bénis nous, o Père. Amen.
Traduction de Zenit, Hugues de Warren