« Le dialogue avec les musulmans doit continuer parce que l’alternative serait la violence », déclare le cardinal français Jean-Louis Tairan dans les colonnes de L’Osservatore Romano en italien du 21 décembre 2016, au lendemain de l’attentat de Berlin. Il ajoute: « Continuer de croire au dialogue qui est essentiel pour toute l’humanité » .
Interrogé par Gianluca Biccini, le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux affirme la nécessité d’ « un dialogue de l’espérance, pour répéter que les religions ne sont pas le problème mais qu’elles font partie de la solution de ce qui est en train de se passer dans le monde ». Il évoque la réaction française à l’assassinat du père Hamel.
Continuer de croire au dialogue
Pour le cardinal Tauran, face la situation mondiale actuelle « une attention particulière au monde musulman s’impose » : « Nous avons tous été bouleversés par ce qui s’est passé en Allemagne, en Égypte et avant encore en France, dans ma patrie. Mais dans cette circonstance, par exemple, nous avons pu aussi apprécier – en particulier après l’homicide du vieux prêtre Jacques Hamel – comme un réveil de l’identité religieuse de la majorité des Français ainsi que la solidarité exprimée par les musulmans d’outre-Alpes. Avec une grande souffrance, nous continuons à assister à des actes de brutalité insensée qui frappent des personnes innocentes dans leur vie quotidienne. Devant ces actes, le drame des migrations, la crise internationale, surtout devant la situation de conflit en Syrie, la tentation du défaitisme est grande. Mais c’est justement maintenant qu’il faut continuer de croire au dialogue qui est essentiel pour toute l’humanité. »
Il invite les non-spécialistes aussi à s’engager dans le dialogue : « Tout le monde doit approfondir la connaissance de sa propre religion et comprendre que le dialogue n’est pas réservé aux « spécialistes ». Nous devons tous renoncer à des attitudes de soupçon ou de polémique quant à nos motivations. En pratiquant, dans la liberté et le respect du droit, tout ce que la majorité des religions ont en commun – prière, jeûne, aumône, pèlerinage – nous montrerons que les croyants sont un facteur de paix pour les sociétés humaines. Dans le monde précaire d’aujourd’hui, le dialogue entre les religions n’est pas un signe de faiblesse. Il trouve sa raison d’être dans le dialogue de Dieu avec l’humanité. »
Le refus de la violence et du terrorisme
Il rappelle la rencontre particulièrement importante cette année au Vatican entre le pape François et le grand imam de Al-Azhar, du Caire : « Le 23 mai, le cheikh Ahmed Mohamed el-Tayeb s’est rendu au Vatican avec une délégation de haut niveau, dont faisaient partie, entre autres, les professeurs Abbas Shouman, sous-secrétaire de la prestigieuse institution académique musulmane sunnite, et Mahmoud Hamdi Zakzouk, directeur du centre pour le dialogue de Al-Azhar. Le grand imam a été accueilli par moi-même et par l’évêque secrétaire de notre dicastère Miguel Ángel Ayuso Guixot et nous l’avons accompagné à la rencontre avec le pape. Au cours de l’entretien, a été réaffirmée la nécessité d’un engagement commun des responsables et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, avec le refus de la violence et du terrorisme et il a été question de la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions au Moyen-Orient. »
Le cardinal Tauran revient aussi sur le fait que le pape recommande de ne pas « identifier l’islam et la violence » , mais « pas seulement », dit-il : « A une question spécifique pendant le vol de retour de son voyage en Pologne, le 31 juillet dernier, il a aussi assuré que les musulmans cherchent la paix, la rencontre. Et le cheikh el-Tayeb lui-même, dans une interview aux médias du Vatican aussitôt après l’audience pontificale, a souligné que l’islam n’a rien à faire avec le terrorisme parce celui qui tue en a mal compris les textes fondamentaux soit intentionnellement soit par négligence et qu’un effort conjoint des grandes religions est fondamental pour donner à l’humanité une nouvelle orientation vers la miséricorde et la paix en ce temps de grande crise. »
Reprise officielle du dialogue
Il rappelle le geste de saint Jean-Paul II : « Ainsi, si Jean-Paul II a été le premier pape à rendre visite au grand imam de Al-Azhar lors de son voyage en Égypte pendant le jubilé de l’an 2000, le cheikh el-Tayeb a été le premier à rendre visite au pape au Vatican, et toujours à l’occasion d’un jubilé, celui de l’année sainte de la miséricorde, une quinzaine d’années plus tard. »
Et puis le cardinal français explique que cette rencontre si importante a été soigneusement préparée et aussi « suivie »: « En février, Mgr Ayuso s’était rendu au Caire où, accompagné à Al-Azhar par le nonce apostolique en Égypte l’archevêque Bruno Musarò, il avait personnellement remis à Shouman une lettre de ma part, dans laquelle j’exprimais ma disponibilité à recevoir le grand imam et à l’accompagné à une audience avec le pape. Après la rencontre avec le pape François au Vatican, Mgr Ayuso s’est rendu deux autres fois – en juillet et en octobre – dans la capitale égyptienne pour préparer le rendez-vous qui marquera la reprise officielle du dialogue entre le Conseil pontifical et l’université du Caire, prévue à Rome en 2017, probablement fin avril. »
Pour ce qui est de l’activité de son dicastère en 2016, il ajoute : « Au début de l’année, a eu lieu la rencontre annuelle à Genève entre les officiels de notre dicastère et le personnel du Bureau pour le dialogue interreligieux et la coopération (IRDC) du Conseil œcuménique des Églises (COE) pendant la semaine de l’harmonie interreligieuse proclamée par les Nations Unies. Toujours en janvier, Mgr Ayuso est allé à Abou Dabi pour le premier Forum des penseurs arabes. Il était l’unique intervenant non musulman et il est intervenu dans la session consacrée au thème de l’extrémisme, avec une analyse des causes et des remèdes possibles. En février, accompagné de Mgr Khaled Akasheh, chef de service pour l’islam, j’ai participé personnellement à la douzième Conférence pour le dialogue interreligieux, qui s’est tenue à Doha, au Qatar. »
Notre maison commune
Le « ministre du dialogue interreligieux » évoque d’autre rencontres du pape lui-même avec d’autres délégations il y voit des « moments très importants où le pape a prononcé des paroles brèves improvisées » et « avec ses manières aimables, il a laissé à tous un bon souvenir » : « Les membres de l’Institut royal pour les études interreligieuses d’Amman, en Jordanie, que j’ai accompagnés au Vatican le 4 mars, me l’ont témoigné, de même que Haxhi Baba Edmond Brahimaj, chef de la communauté des Bektashis, reçu par le pape la semaine suivante. Il s’agit d’une confraternité musulmane de dérivation soufie, fondée au treizième siècle en Turquie et qui s’est répandue surtout en Albanie. La même chose s’est produite le 1er juin avec une délégation jaïniste, composée de 35 personnes, et enfin le 23 novembre avec les musulmans sunnites iraniens qui participait au colloque sur l’extrémisme et la violence au nom de la religion, qui a été organisé par notre Conseil pontifical avec l’Organisation pour la culture et les relations islamiques (ICRO) de Téhéran. En outre, du 7 au 8 septembre, notre dicastère a collaboré à l’organisation du symposium « Amérique en dialogue. Notre maison commune », promu par l’Organisation des États américains et par l’Institut du dialogue interreligieux (IDI) de Buenos Aires, dont les participants ont été reçus par le pape François. Et n’oublions pas, enfin, l’audience interreligieuse voulue par le pape le 3 novembre, avec la participation de beaucoup de nos amis et partenaires du dialogue, parmi lesquels le Centre international de dialogue à Vienne (Kaiciid) qui, à l’occasion, a même organisé un colloque sur la miséricorde à l’Université pontificale grégorienne. »
L’héritage de Jean-Paul II
Le dicastère romain regarde aussi vers l’Extrême Orient : « En mai, notre secrétaire est allé au Japon pour une consultation de haut niveau avec les responsables religieux du Moyen-Orient sur le thème de la citoyenneté, pour promouvoir une plus grande conscience dans les États à majorité musulmane. Pendant la mission à Tokyo, la collaboration entre l’Église catholique et l’organisation bouddhiste Rissho Kosei-kai (Rkk) s’est renforcée. En octobre, avec le sous-secrétaire Indunil Kodithuwakku, Mgr Ayuso s’est rendu d’abord à Singapour et ensuite à Taïwan à l’occasion de la première rencontre christiano-taoïste. »
Il évoque ses propres messages à différentes communautés religieuses : « Bouddhistes et chrétiens ensemble pour promouvoir l’éducation écologique, tel a été le thème de celui que nous avons envoyé pour la fête de Vesakh, pendant laquelle sont commémorés les principaux événements de la vie de Bouddha. En octobre, nous avons adressé un message aux hindous centré sur l’importance de la famille à l’occasion de la fête de Deepavali, qui signifie « file de lampes à huile » et qui est symboliquement fondée sur une ancienne mythologie représentant la victoire de la vérité sur le mensonge et de la lumière sur les ténèbres. Enfin, à l’occasion du mois du Ramadan, en juin, il y a eu les vœux traditionnels à la communauté musulmane. »
Et puis l’année a été marquée par le 30e anniversaire de la première rencontre des religions pour la paix à Assise, sous le pontificat de saint Jean-Paul II : « La rencontre d’Assise, en 1986, a projeté l’Église vers les religions non chrétiennes. En effet, malgré l’enseignement de Paul VI dans sa première encyclique Ecclesiam suam et du Concile Vatican II avec la déclaration Nostra aetate, celles-ci semblaient lointaines, sinon étrangères. Cela a été le symbole, la réalisation de la tâche de l’Église dans un monde marqué par le pluralisme religieux. Ce n’est donc pas par hasard que le pape François ait voulu en proposer de nouveau les contenus en se rendant à Assise pour une nouvelle journée de prière sur le thème : « Soif de paix. Religions et cultures en dialogue ». »
© Traduction de Zenit, Constance Roques
Cardinal Jean-Louis Tauran © L'Osservatore Romano
«Le dialogue avec les musulmans doit continuer», explique le card. Tauran
Le dialogue est « essentiel pour toute l’humanité »