Le pape François a annoncé le synode sur l’Amazonie, le 15 octobre 2017, avec comme objectif principal de « trouver de nouvelles voies pour l’évangélisation de cette portion du Peuple de Dieu, en particulier les indigènes, souvent oubliés et privés de la perspective d’un avenir serein, notamment à cause de la crise touchant la forêt amazonienne, poumon d’une importance capitale pour notre planète », rappelle soeur Nathalie Becquart, Xavière, consultrice pour le Secrétariat général du synode des évêques, publie, le 15 juillet 2019, sur le site « Mission universelle catholique » une présentation de l’Instrument de travail du synode pour l’Amazonie. Un synode qui « nous concerne tous » : « La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Église», titre sœur Nathalie Becquart.
Il se tiendra à Rome du 6 au 27 octobre 2019, avec pour thème : « Des nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». Ce document – « Instrumenttum laboris » (IL) – constitue une étape dans un « processus de discernement » : ce n’est pas un point d’arrivée.
La préparation d’un synode
Sœur Nathalie Becquart rappelle que l’original de l’Instrument de travail est écrit en espagnol[1] et que cette assemblée spéciale pour la Panamazonie implique spécifiquement les diocèses des 9 pays mais « nous concerne tous » : « les sujets abordés – l’inculturation, l’écologie intégrale, les migrations, l’évangélisation urbaine, les nouveaux ministères… – touchent aussi des questions à dimension universelle ».
Elle rappelle le choix du pape François [2] , attentif aux « périphéries géographiques et existentielles » et « au défi majeur de l’écologie intégrale », qui comprend l’humanité et pas seulement la « maison commune » : « source importante d’oxygène », « réserves de biodiversité » et « eaux douces » mais aussi « populations diverses » qui sont « menacés par des dangers de tous ordres ». Le synode se mettra donc « à l’écoute de ces populations avec le désir qu’elles soient davantage sujets et protagonistes en s’engageant davantage à leurs côtés de manière prophétique ».
Elle rappelle la démarche de préparation d’un synode : un va-et-vient de consultations et de questions-réponses entre Rome et les Eglises locales jusqu’à la composition de ce document de base du travail « fruit d’une large enquête » : « Il donne à entendre la clameur de ces peuples et la clameur d’une terre de plus en plus menacée. Il rend aussi compte des questions, chantiers et suggestions proposées pour que L’Église en ces lieux prenne davantage un visage amazonien et prophétique afin de relever les principaux défis sociaux et écologiques de ce territoire. »
Les trois sections du document
Elle rappelle la composition du document en trois parties paragraphe 4 « L’Instrumentum Laboris comporte trois parties : la première, regarder-écouter, s’intitule « La voix de l’Amazonie » et elle a pour finalité de présenter la réalité du territoire et de ses populations. Dans la deuxième partie, « Écologie intégrale » : la clameur de la terre et des pauvres, est abordée la problématique écologique et pastorale et, dans la troisième partie, « Église prophétique en Amazoni »e : défis et espérances, les questions ecclésiologiques et pastorales ». ce sont en somme – « les trois conversions auxquelles nous invite le Pape François : la conversion pastorale, à laquelle il nous appelle dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium (regarder-écouter) ; la conversion écologique décrite par l’Encyclique Laudato si’, qui donne le cap (juger-agir) ; et la conversion à la synodalité ecclésiale grâce à la Constitution Apostolique Episcopalis Communio, qui structure cette « marche ensemble » (juger-agir). Tout cela en un processus dynamique d’écoute et de discernement des nouveaux chemins par lesquels l’Église en Amazonie annoncera l’Évangile de Jésus-Christ dans les prochaines années. » (IL[3] §5)
Au service d’une écologie humaine intégrale
La première partie « essaie de lire les signes des temps en posant sur la réalité amazonienne (territoire et peuple où Dieu travaille) un regard de foi » : « Elle met en lumière les « semences du Verbe » qui traversent ces cultures mais aussi les multiples menaces et drames qui mettent en danger cette région » c’est pourquoi « l’Église pousse un cri d’alarme », explique l’auteur. Elle rappelle la parabole entendue dimanche dernier : « L’Église se sent donc appelée à prendre le visage du « Samaritain » pour défendre la vie de ces populations et combattre l’exploitation de ce territoire de plus en plus blessé, et ce par une démarche d’écologie intégrale. Car en Amazonie territoire et peuples sont profondément liés (la nature fait un tout avec l’homme)[4]. C’est pourquoi la conception de la vie chez ces populations structurée autour de la recherche du « bien vivre »[5] rejoint l’approche de l’écologie intégrale.
Un synode qui « nous concerne tous »
La deuxième partie continue ce « processus de discernement » : il s’agit de « regarder ce qui fait obstacle à la vie » et de « prendre la mesure de l’urgence d’une conversion écologique intégrale (cf. ch. IX) qui implique de « désapprendre, d’apprendre et de réapprendre (§102) » afin de restaurer des relations ajustées de respect et réciprocité entre l’homme et la nature[6], entre les êtres humains, entre l’homme et Dieu ».
« Cette partie entre donc dans le détail de situations amazoniennes très concrètes pour proposer des suggestions pratiques qui seront discutées au synode » : oui, il fallait le rappeler, l’ « Instrument de travail » ne fait ue proposer des éléments à la discussion des évêques du monde, à partir de la « photographie » de la situation. Et même la discussion du synode ne boucle pas la boucle : c’est le pape qui noue ensuite la gerbe avec une « exhortation apostolique post-synodale ».
Sœur Nathalie Becquart fait aussi observer ces points sur lesquels le synode pour l’Amazonie « nous concerne tous » : « se jouent aussi en Amazonie des phénomènes plus globaux tels que les migrations[7]abordées au chapitre III, l’urbanisation (ch. IV), la transformation de la famille (ch. V), la corruption (ch.VI), la santé (ch. VI), l’éducation (ch. VII). Les analyses et suggestions proposées pourront ainsi venir éclairer et faire écho à ce qui se passe dans d’autres régions du monde. »
Pour une nouvelle évangélisation, avec les jeunes
« La troisième partie intitulée « Église prophétique en Amazonie : défis et espérance » aborde les questions pastorales et ecclésiologiques dans une perspective clairement posée, celle de l’inculturation et de l’interculturalité », explique sr Nathalie Becquart qui ajoute : « En soulignant que « l’Évangélisation est un banc d’essai pour l’Église et pour la société » (IL§106), ce synode se situe finalement tout à fait dans la même ligne que le précédent sur « les jeunes, la foi et le discernement vocationnel ». En effet, on retrouve ici la question clé de l’évangélisation dans les cultures. »
Elle précise la démarche : « De même que le synode d’octobre 2018 avait cherché à mettre en lumière ce qui permet une évangélisation inculturée dans le monde des jeunes – ce qui demande d’apprendre leurs codes et langages et de prendre en compte les mutations anthropologiques, sociales et culturelles qui les affectent – de même la mission de l’Église en Amazonie requiert une démarche d’inculturation créative, courageuse et audacieuse afin de faire advenir « une Église au visage amazonien et missionnaire » (ch. I). Aussi les défis propres aux réalités et populations amazoniennes touchent-ils en fait des chantiers importants de l’Église universelle. Car il s’agit ni plus ni moins d’aider l’Église d’Amazonie à sortir d’une « tradition faite de colonialisme mono-culturel, de cléricalisme et de domination » pour « discerner et assumer sans crainte les diverses expressions culturelles des peuples » (IL§110). »
Elle fait valoir que « l’un des enjeux majeurs de ce synode centré sur une région particulière est en fait l’enjeu beaucoup plus global de l’inculturation et de la décentralisation de l’Église, chantier central du pontificat de François ».
En somme : « L’Église, appelée à devenir Église en sortie, tournée vers les périphéries, doit prendre le visage d’une communion polyédrique riche en expressions diverses. Les pistes dessinées ici sont celles de L’Église synodale : une Église de l’écoute, une Église en dialogue, une Église missionnaire, une Église accueillante, une Église participative, une Église créative, une Église harmonieuse, une Église inculturée (notamment en proposant une plus grande inculturation de la liturgie chez les peuples autochtones), une Église engagée auprès des plus pauvres qui lutte contre les injustices. »
Des suggestions pour la discussion au synode
Sœur Nathalie affronte le passage le plus couvert par les media, au ch. IV sur « l’organisation des communautés ». C’est là qu’est « évoquée dans la liste des suggestions proposées la possibilité de « procéder à l’ordination sacerdotale de personnes aînées, préférablement autochtones, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille constituée et stable, dans le but de garantir la possibilité d’offrir les Sacrements qui accompagnent et soutiennent la vie chrétienne. » (IL§129.a). Et un peu plus loin, l’invitation à « Identifier le type de ministère officiel qui peut être conféré à aux femmes, en tenant compte du rôle central qu’elles jouent aujourd’hui dans l’Église amazonienne. » (IL§129.b), ce qui pourrait continuer à ouvrir le débat sur le diaconat féminin ».
Mais sœur Nathalie invite à ne pas réduire le document à ces suggestions : « Cette partie sur les nouveaux ministères insiste aussi plus généralement sur le rôle des laïcs (leur formation, participation et coresponsabilité), le rôle des femmes (avec la demande que les femmes soient écoutées, consultées et participent aux prises de décisions), le rôle de la vie consacrée[8] (en proposant de promouvoir une vie consacrée alternative et prophétique, inter-congrégationnelle, interinstitutionnelle) et le rôle des jeunes (avec qui il est urgent de dialoguer) (§129.e) ».
Elle souligne aussi que le ch. V concerne « l’évangélisation dans les villes » : il « invite à repenser les structures ecclésiales et à travailler davantage en synergie pastorale.
Le dialogue œcuménique et interreligieux fait l’objet du ch. VI, avec « la montée en puissance des églises évangéliques » dans la région, et le ch. VII concerne « la mission des moyens de communication » : « des éléments clés de l’évangélisation et de la sensibilisation à la conversion écologique ».
Le ch. VIII aborde « le rôle prophétique de l’Église et la promotion humaine intégrale » : « l’engagement pour les plus pauvres[9] et pour le respect des droits des peuples autochtones font partie intégrante de l’évangélisation ».
Accompagner le synode
Sœur Nathalie Becquart conclut que « ce synode sur l’Amazonie, s’il met le focus sur une région spécifique, stratégique pour l’avenir de la planète, nous concerne donc tous car il touche in fine à des enjeux globaux et vitaux pour la sauvegarde de notre Maison commune » : « Il concentre aussi des questions clés et des chantiers majeurs pour l’Église dans le monde d’aujourd’hui mondialisé et fragmenté en tension entre des forces de vie et des forces de mort. Nous sommes donc invités à prier spécialement pour ce synode, à approfondir et relayer ses réflexions et travaux, et nous mobiliser largement pour suivre et accompagner ce synode ».
NOTES
[1] On peut retrouver tous les documents et informations sur le site officiel du Vatican dédié à ce synode sur l’Amazonie
[2] Région qui comprend une partie du Brésil, ainsi que la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Venezuela, le Suriname, la Guyane et la Guyane française pour une superficie de 7,8 millions de kilomètres carrés où habitent 34 millions d’habitants, dont plus de trois millions sont des indigènes appartenant à plus de 390 groupes ethniques.
[3] IL abréviation pour Instrumentum Laboris dans la suite de l’article
[4] « la défense de la vie implique la défense du territoire, de ses ressources ou des biens naturels, mais aussi de la vie et de la culture des peuples, qui passe par le renforcement de leur organisation, la pleine exigibilité de leurs droits et la possibilité d’être écoutés. »
[5] Voir IL§12 « La recherche de la vie en abondance chez les peuples autochtones amazoniens se concrétise dans ce qu’ils appellent le “ bien vivre ”.[4] Il s’agit de vivre en « harmonie avec soi-même, avec la nature, avec les êtres humains et avec l’être suprême, car il existe une interrelation entre tous les éléments du cosmos, où personne n’exclut personne et dans lequel il est possible de forger entre tous un projet de vie en plénitude ». »
[6] « Un aspect fondamental de la racine du péché humain est de se détacher soi-même de la nature et de ne pas reconnaître qu’elle fait partie de soi et de l’exploiter sans limites, en rompant ainsi l’alliance originelle de l’être humain avec la création et avec Dieu (Gn 3, 5). (IL§99) ».
[7] « L’Amazonie figure parmi les régions à plus grande mobilité interne et internationale d’Amérique latine. Les causes en sont sociopolitiques, climatiques, ethniques (persécution) et économiques » (IL§64)
[8] « -Les peuples latino-américains et caribéens attendent beaucoup de la vie consacrée [… qui montre] le visage maternel de l’Église. Leur désir ardent d’écouter, d’accueillir et de servir, leur témoignage des valeurs alternatives du Royaume, montrent qu’une nouvelle société latino-américaine et caribéenne, fondée sur le Christ, est possible » (DAp. 224). Il est donc proposé de promouvoir une vie consacrée alternative et prophétique, inter-congrégationnelle, inter-institutionnelle, avec une disponibilité pour aller là où personne ne veut être et avec ceux avec qui personne ne veut être. -Soutenir l’insertion et l’itinérance des personnes consacrées, hommes et femmes, pour être avec les plus pauvres et les exclus, et leur plaidoyer politique pour transformer la réalité. -Proposer aux religieux et aux religieuses qui viennent du dehors d’être disponibles pour partager la vie locale avec leur cœur, leur tête et leurs mains afin de désapprendre les modèles, les recettes, les schémas et les structures préétablis, pour apprendre les langues, les cultures, les traditions de sagesse, les visions du monde et les mythologies autochtones. -Compte tenu des urgences pastorales et face à la tentation de l’activisme immédiat, il est recommandé de consacrer du temps à l’apprentissage de la langue et de la culture afin de pouvoir tisser des liens et développer une pastorale intégrale. -Il serait bon que la formation à la vie religieuse inclue des processus de formation axés sur l’interculturalité, l’inculturation et le dialogue entre les spiritualités et les visions amazoniennes du monde. -Il faudrait donner la priorité aux besoins des populations locales plutôt qu’à ceux des congrégations religieuses.
[9] « L’Esprit parle dans la voix des pauvres ; c’est pourquoi l’Église doit les écouter, ils sont un lieu théologique. En écoutant la douleur, le silence se fait nécessaire pour pouvoir entendre la voix de l’Esprit de Dieu » (IL§144)
Source: « Mission universelle catholique »
Rencontre avec les Indiens d'Amazonie au Pérou © Vatican Media
«La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Église», par sr Nathalie Becquart
Lecture de l’Instrument de travail du synode pour l’Amazonie