La "Passion" de Mel Gibson dénonce l’oppression et la violence

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Un bibliste confie ses impressions – positives – après la projection du film

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CITE DU VATICAN, Jeudi 22 janvier 2004 (ZENIT.org) – Un bibliste, engagé dans le dialogue avec le judaïsme, a vu la « Passion » du Christ selon Mel Gibson dans son intégralité, et confie ses impressions – positives – à Zenit. « Si Gibson voulait permettre aux gens de faire l’expérience d’une conversion du cœur au message non-violent de la Croix, c’est réussi », déclare, entre autres, le P. Thomas Rosica (cf. www.seletlumieretv.org). En bibliste – parlant hébreu moderne! -, il lave de film de tout soupçon d’anti-sémitisme. Il cite l’actrice Maia Morgenstern, qui joue le rôle de Marie, et pour qui le film « dénonce l’oppression et la violence ». Quitte à faire voir cette violence historique: le film s’adresse à un public d’adultes.

Zenit: Père Rosica, vous êtes président-directeur général de la première télévision nationale catholique canadienne et de la Fondation catholique « Sel et Lumière média ». Juste avant Noël vous avez été invité à la projection intégrale du film de Mel Gibson « The Passion ». En tant que bibliste, vous avez représenté la conférence épiscopale du Canada pendant près de vingt ans à la commission nationale canadienne pour les relations avec le judaïsme. Vous avez vécu, étudié, et enseigné en Terre Sainte, à l’Ecole biblique et archéologique française et à l’Université hébraïque de Jérusalem. Vous étiez, plus récemment, le directeur national de la Journée mondiale de la jeunesse de Toronto en 2002 dont le cœur a été une magnifique méditation du Chemin de Croix dans les rues de cette ville moderne. C’est donc de l’intérieur que vous avez pu assister à la projection du film: que pensez-vous de la réalisation de Mel Gibson?

P. Rosica: J’ai tout d’abord été « émerveillé ». J’avais suivi de près le débat qui avait lieu à propos du film pendant l’année et j’étais donc très intéressé, mais je ne pensais pas recevoir une invitation aussi personnelle. L’un de mes principaux collaborateurs à « Sel et Lumière » et moi avons été invités par la compagnie de production du son du film pour une projection privée. J’ai été très surpris d’apprendre que la bande sonore du film était produite par une compagnie basée à quelques pâtés de maisons des quartiers généraux de notre télévision « Sel et Lumière », au centre de Toronto. J’ai rarement quitté un théâtre ou une salle de cinéma avec un aussi fort désir de prier et de rester en silence. C’est ce que j’ai ressenti ce matin-là en revenant dans nos bureaux. « The Passion » est une présentation profondément émouvante des dernières heures de la vie de Jésus. Ce n’est certainement pas un film pour les enfants. Mais je recommande à tous ceux qui sont engagés dans un ministère pastoral, aux professeurs et étudiants biblistes, et aux chrétiens adultes de voir le film. Si Gibson se proposait de permettre aux gens de s’approcher du Christ grâce à ce film, il a atteint son objectif. Si Gibson voulait permettre aux gens de faire l’expérience d’une conversion du cœur au message non-violent de la Croix, là aussi, c’est réussi.

Zenit: Qu’est ce qui vous frappe le plus dans ce film?

P. Rosica: Le film est réalisé avec un art cinématographique consommé, une excellente interprétation, et avec fidélité aux Ecritures, une grande attention à la signification théologique de la Passion et de la mort du Christ, une sensibilité artistique et religieuse extraordinaire. Le jeu puissant entre l’ombre et la lumière, sur le visage torturé de Pilate, est beaucoup plus révélateur qu’aucune des paroles prononcées. On dirait que le Caravage lui-même a été le directeur artistique et des éclairages du film. Chaque scène est richement créée de façon à inviter le spectateur à entrer de plus en plus profondément dans le mystère. J’estime vraiment que ce film est vraiment un chef d’œuvre de l’art religieux et parmi les plus puissants. Au fur et à mesure, ceux qui n’étaient que des figurants sont entraînés au cœur de l’histoire.
Parmi les détails extraordinaires, j’ai relevé l’utilisation magistrale que Gibson fait des « flashback ». En tant que professeur des récits de la Passion, j’ai toujours été frappé par les scènes poignantes du procès, et du rôle de saint Pierre dans le récit des Evangiles. Dans ce film, les retours incessants sur le Christ et Pierre produisent un effet spécial. La caméra saisit le visage du Christ de profil tandis que Pierre regarde au-dessus de nous. La souffrance du Christ en croix est ponctuée par des retours sur le lavement des pieds aux apôtres comme service d’amour. Et il y a tellement de manières subtiles de faire en un instant d’un figurant un protagoniste du film.
L’un de mes grands mentors et professeur était le défunt P. Raymond Brown, qui m’a enseigné « La mort du Messie » à l’Institut biblique pontifical de Rome. Brown a démontré qu’à côté des différences dans les récits de la Passion, ils concordent cependant sur l’essentiel. Il est important de se rappeler que le film de Mel Gibson n’est pas un documentaire mais le travail de l’imagination créatrice. Il intègre des éléments des quatre récits de la passion selon Matthieu, Marc, Luc et Jean, mais il reste fidèle à la structure fondamentale commune aux quatre récits.
Gibson n’a rien fait pour enlever quelque chose à la brutalité de l’histoire de la Passion. En effet, il n’a aucunement l’intention de représenter une Passion à l’eau de rose du piétisme ou d’une fausse spiritualité. Le spectateur doit regarder les faits et les événements bruts et témoigner de la souffrance d’un homme juste. Plus les scènes sont brutales plus puissantes se font les retours sur l’enseignement de Jésus au Mont des Béatitudes, Jésus s’identifiant au Bon Pasteur, Jésus offrant sa vie dans le pain et le vin de la Dernière Cène.
Une scène m’a particulièrement ému. Au moment où Jésus tombe pendant le Chemin de Croix, on a un retour sur une chute de Jésus enfant dans une rue de Jérusalem et sur sa Mère qui court le relever. Le jeu entre Jésus et Marie dans ce film est bouleversant et atteint son sommet dans la scène de la Pietà. La Mère du Seigneur invite chacun à partager sa douleur et à tenir son enfant. C’est ce que nous avons essayé de faire dans notre Chemin de Croix au cœur de la ville lors de la Journée mondiale de la jeunesse 2002 à Toronto. Cette scène a été un moment incroyablement fort pour nous aussi. En effet, ceux qui nous décourageaient de faire cette présentation publique des Stations de la Croix au cours de la JMJ 2002 ne venaient pas d’en dehors de l’Eglise. Mais après cette magnifique présentation dans la « University Avenue » de Toronto en juillet 2002, nous avons reçu des milliers de lettres et de messages de personnes d’autres credo qui disaient simplement: « Si seulement nous pouvions faire quelque chose comme cela pour nos jeunes, et leur enseigner le coeur de notre foi ».

Zenit: A quoi attribuez-vous l’émoi et l’opposition suscités par le film de Gibson?

A l’ignorance, une obsession d’être « politiquement correct », une pauvre compréhension des vraies relations interreligieuses, et un refus de se confronter aux faits bruts et à la nature ambiguë du procès et de l’exécution de Jésus. Je dois aussi admettre que les Chrétiens et les Juifs qui n’ont pas une connaissance adulte des Ecritures et promeuvent un faux irénisme et l’ignorance de l’histoire, n’aident pas à construire des ponts ni à réparer les ravages réels de l’antisémitisme qui est encore vivant dans le monde. Le vieil adage selon lequel « ceux qui savent pas parlent et ceux qui savent ne parlent pas » peut certainement s’appliquer à toute l’encre qui a coulé à propos de ce film. J’ai entendu des débats houleux entre des personnes qui n’ont
aucune idée de ce dont il s’agit dans ce film. Ce serait dommage qu’aucun grand distributeur de film ne saisisse cette occasion de promouvoir ce grand film au nom du politiquement correct en raison d’un sens erroné de ce qu’est l’antisémitisme et l’anti-judaïsme.

Zenit: En tant que profondément engagé dans le dialogue entre Juifs et Chrétiens pendant de nombreuses années, pensez-vous que le film soit antisémite ou anti-juif?

P. Rosica : Non. Il n’est pas du tout antisémite ni anti-juif. Le film n’exagère ni ne diminue le rôle des autorités juives et des procédures légales dans la condamnation de Jésus. Sans aucun doute, la figure de Caïphe, le grand prêtre juif est celle d’un méchant. Mais il est très important de réaliser que Caïphe, dans les Ecritures, représente le régime de l’époque et non pas les Juifs.
Le film devrait servir de tremplin pour approfondir notre connaissance des Ecritures, notre amour de Jésus Christ, notre compréhension de la réconciliation historique entre Chrétiens et Juifs, spécialement depuis Vatican II, et sous le pontificat du pape Jean-Paul II, dans une analyse des vraies causes de l’antisémitisme, et de sa réapparition dans le monde d’aujourd’hui.
C’est très dommage que de nombreuses voix, de l’intérieur de l’Eglise, sans parler des autres, ont déjà condamné le film avant de l’avoir vu, sous prétexte qu’il serait antisémite ou anti-juif. Si le film fait quelque chose c’est forcer même le spectateur le plus éloigné et le plus blasé à approfondir son intelligence de l’histoire de la passion et de la mort de Jésus.
Des Juifs et des Romains de l’époque ont été impliqués dans la condamnation, le procès et l’exécution de Jésus. C’est un fait historique. Qui chercherait à réécrire l’histoire ou réécrire les récits évangéliques des souffrances et de la mort de Jésus serait infidèle à l’histoire et malhonnête de vouloir appliquer les leçons du passé aux situations présentes. Est-ce que ce n’est pas finalement là la vraie question posée par le film: jusqu’à quel point un bon nombre d’autorités politiques et religieuses ont-elles, au cours de l’histoire, persécuté des individus ayant des idées révolutionnaires? Les récits évangéliques de la Passion rapportent comment les péchés de toutes les personnes du temps de Jésus ont conspiré pour arriver à la passion et à la mort du Christ, et ils suggèrent ainsi cette vérité fondamentale que nous sommes tous à blâmer. Leurs péchés et nos péchés ont conduit Jésus sur la Croix, et il accepte de les porter tous. Nous devons tirer les leçons de ce qui est arrivé à Jésus et nous interroger nous-mêmes non seulement sur l’identité de ceux qui ont fait son procès, l’ont condamné, et mis à mort, il y a longtemps, mais aussi sur CE qui a tué Jésus… et sur le fait que le cercle vicieux de la violence, de la brutalité, et de la haine continue à le crucifier aujourd’hui dans ses frères et sœurs de la famille humaine.
J’ai lu quelque part que l’actrice juive Maia Morgenstern, qui interprète magistralement le rôle de Marie, estime que « The Passion » combat l’oppression et la violence. « Le film traite, dit-elle, de ce que c’est que de laisser les gens dire ouvertement de ce qu’ils pensent et croient. Il dénonce la folie de la violence et de la cruauté, qui, si on ne la contrôle pas, peut se répandre comme une maladie ».

Zenit: P. Rosica, à la fin de la projection, en décembre, au Vatican, le pape Jean-Paul II a, dit-on, exprimé son sentiment en disant: « C’était comme cela ». Quels ont été vos sentiments en quittant la salle de projection de « The Passion », à la veille de Noël? Pensez-vous que cela ait une signification particulière de voir ainsi la « Passion » hors saison?

P. Rosica: J’i d’abord pensé que c’était une pure coïncidence. Mais ce n’est pas un hasard. Noël, c’est Pâques en hiver. Pâques, c’est la célébration de notre foi adulte, et Noël est un prélude, l’entrée dans le mystère incroyable de notre salut et de la rédemption. Il y a quelques années, j’ai lu « Le mystère de Noël » de sainte Thérèse Bénédicte de la Croix – Edith Stein – . Certaines de ses paroles m’ont fortement touché et je les ai écrites et conservées pour chaque Noël. Lorsque je suis revenu dans mon bureau après la projection de la Passion de Gibson, j’ai voulu relire ces paroles. Cette année, des chemins se séparent devant la crèche de façon plus significative, et les réflexions d’Edith Stein ont pris un sens plus profond à la suite de ce que j’avais vu: « L’étoile de Bethléem, écrit-elle, est une étoile brillant dans une nuit profonde aujourd’hui encore… (Edith Stein écrit en pleine persécution nazie contre la communauté juive, ndlr). Ceux qui s’agenouillent autour de la crèche sont les figures de lumière: les tendres enfants innocents, les bergers pleins de foi, les humbles rois, Etienne, les disciples enthousiastes, Jean, l’apôtre de l’amour, tous ceux qui ont répondu à l’appelle du Seigneur. Ils sont combattu par la nuit d’une obstination et d’un aveuglement incompréhensibles: les scribes, qui, en effet, savaient quand et où le Sauveur du monde devait naître mais n’en ont pas tiré la conclusion : « Allons à Bethléem ». Le roi Hérode, qui voulait tuer le Roi de Vie. Des chemins se séparent devant l’Enfant de la crèche … L’étoile de Bethléem brille dans la nuit du péché. L’ombre de la Croix tombe sur la lumière qui rayonne de la crèche. La lumière disparaît dans les ténèbres du Vendredi Saint, mais elle se lève d’autant plus brillante dans le soleil de la grâce au matin de la Résurrection. Le chemin du Fils de Dieu incarné conduit par la Croix et par la Passion à la gloire de la résurrection. Dans Sa présence, le chemin de chacun de nous, et celui de toute l’humanité, nous conduit à travers la souffrance et la mort à ce même terme glorieux ».
(Traduction d’après l’édition en anglais « The Writings of Edith Stein », Westminster Press, 1956, pp. 21-31)
A la fin d’un film si provocant, et à la veille de la naissance du Prince de la Paix, je suis resté avec certaines questions. Dans la « Passion » de Gibson, le « grand prêtre » est Jésus, l’Enfant de Bethléem qui devient l’ »Ecce Homo » de Jérusalem, qui n’est pas loin de nous et de notre condition, mais sympathise avec nous et souffre avec nous, parce qu’il a fait l’expérience de notre faiblesse et de nos peines, et même de nos tentations, et je dois me demander: Suis-je un prêtre à son image? Est-ce que je vis pour les autres et est-ce que je me dépense pour les autres? Le monde est-il moins violent, moins hostile et moins brutal, et un peu plus patient, doux et juste, grâce à moi? Est-ce que je suis du côté de la vérité? Ou ai-je peur de manifester ma foi en Jésus et ma fidélité à l’Evangile? « The Passion » me pousse à réfléchir sur ce qu’il en coûte d’être disciple.

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ZENIT Staff

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