Les Editions franciscaines viennent de publier un livre rendant hommage à plusieurs franciscains résistants dont certains, comme le Frère Corentin Cloarec, ont été assassiné par la Gestapo. Bertrand Warusfel, Professeur à l’Université de Lille 2 et avocat, a assuré la direction du livre qu’ils présente ici aux lecteurs de ZENIT.
ZENIT – On critique souvent l’Eglise pour son silence pendant la Seconde Guerre Mondiale. L’Eglise s’est-elle tue ?
Bertrand Warusfel – La réponse n’est pas tout à fait la même suivant que l’on regarde la haute hiérarchie catholique ou l’ensemble du peuple chrétien. Le Vatican et de nombreux évêques des pays occupés ont choisi la prudence dans la parole, même si cela n’a pas empêché des actes courageux, au risque d’être accusé de passivité, voire de complaisance. Mais du côté des laïcs engagés comme de nombreux prêtres et religieux, l’engagement pour condamner le nazisme et sauver tous ceux qui subissaient son joug a été très fort. Le père Corentin Cloarec, franciscain, était l’une de ces figures de la résistance chrétienne.
Pourquoi et comment ce travail historique ?
Il y a eu la constatation que personne ne savait plus qui était le père Cloarec ni pourquoi ni comment il avait été assassiné en 1944, mais aussi que ses frères franciscains ne connaissaient pas bien d’où il venait et quel avait été le parcours de ce religieux mort pour la France. Comme le 70ème anniversaire de sa mort tombait en 2014, j’ai convaincu l’archiviste du couvent de la rue Marie-Rose et son provincial de constituer un petit groupe de recherches pour retrouver les traces du père Corentin et raconter son histoire sans se limiter au seul moment de sa mort tragique le 28 juin 1944.
Nous avons pu tenir une conférence sur les lieux de sa mort le 28 juin 2014 et publier un ouvrage présentant non seulement tout ce que nous avons appris sur lui, mais aussi la liste et une courte biographie d’autres frères mineurs ayant participé à des activités de résistance.
Que sait-on de ce Breton avant ses faits de résistance ?
Comme pour beaucoup de jeunes de sa génération, la Grande guerre a coupé sa jeunesse en deux. Avant 1914, c’est un fils de petits propriétaires terriens du Léon dans le nord-Finistère. Né en 1894 dans une famille assez modeste mais qui avait connu une relative prospérité dans les générations précédentes, il embrasse la carrière sacerdotale au sortir du grand collège catholique de Saint-Pol de Léon et entre au grand séminaire de Quimper.
Mobilisé à 20 ans, il fait la guerre en première ligne dans un de ces régiments bretons qui connu énormément de pertes et, après avoir été blessé en 1915, il est fait prisonnier à Verdun en 1916 et envoyé dans un camp de prisonniers.
Mais cette captivité va lui permettre de poursuivre ses études puisque les Allemands ont organisé dans son camp, près de Münster, un séminaire pour les prisonniers. Et il va y rencontrer plusieurs franciscains. Tant et si bien qu’à son retour de captivité et aussitôt terminées ses deux années de théologie à Quimper, il entre chez les frères mineurs où il est ordonné en 1925.
Ensuite, il assumera des affectations dans différents couvents franciscains (Mons-en-Baroeul, Fontenay-sous-Bois, Saint-Brieuc et finalement Paris) où il démontrera des qualités d’organisateur et se spécialisera dans les activités de prédication et d’accompagnement des laïcs du Tiers-Ordre.
En 1944, il était vicaire (responsable en second) du couvent de Paris, membre du Conseil provincial et responsable du Tiers-Ordre pour toute l’Ile-de-France.
Concrètement, quelle a été son action ?
Nous savons qu’il a aidé de nombreuses personnes pourchassées par les Allemands, et en particulier des aviateurs alliés tombés en territoire occupé, à se cacher et à fuir (vers l’Espagne le plus souvent). Nous avons également la preuve qu’il a été l’un des membres actifs du groupe de résistance fondé par le journaliste Aymé-Guerrin et qui a rejoint le mouvement Ceux de la Libération (CDLL).
Enfin, nous pensons qu’il a très probablement été dès l’automne 1940 en contact étroit avec ceux que l’on appelle les « proto-résistants » et notamment avec le groupe formé autour de l’industriel Maurice Ripoche (décapité en 1944) et qui donna naissance au mouvement CDLL.
Mais du fait de son décès brutal et de la grande prudence qui lui interdisait de laisser tout écrit compromettant, de manière à préserver sa sécurité et celle de ses frères, nous ne disposons que de très peu d’éléments de première main. C’est essentiellement par le biais d’archives et de témoignages provenant de ceux qui ont combattu avec lui que nous avons reconstitué son parcours résistant. Beaucoup dort encore dans les fonds d’archives et nous espérons que des d’historiens tireront profit de nos premiers travaux pour les compléter et les mettre en perspective avec ce que l’on sait sur la croissance des réseaux résistants à Paris ainsi que sur les filières d’évasion auxquelles il a été lié.
Comment est-il mort ?
Suite à des arrestations opérées la veille, la Gestapo a envoyé deux jeunes Français sonner à la porte du couvent de la rue Marie-Rose (14ème arrondissement). Le père les a reçu sans appréhension et il est tombé dans un guet-apens. Il a été touché de plusieurs balles et malgré sa tentative pour se réfugier dans le réfectoire du couvent, il s’est écroulé mourant entre les bras de ses frères. Emmené néanmoins à la clinique toute proche, il y est mort peu de temps après. Cela a provoqué une très forte émotion et des milliers de personnes sont venues se recueillir, en pleine occupation, devant sa dépouille. Lors des journées de la Libération, le comité local décida de débaptiser la rue longeant le couvent et de lui donner le nom (qu’elle a toujours) de « rue du Père Corentin », et en 1946, le père reçut à titre posthume la médaille de la Résistance.
Peut-on parler d’un « martyr de la charité » ?
Je le pense, car pour le père Corentin, œuvrer pour son pays, pour ses frères humains et pour le règne de Dieu va ensemble. Ses actes de résistance sont d’abord le secours aux proscrits, aux captifs ou pourchassés et ne sont pas séparables de son engagement spirituel et caritatif. Un frère capucin dira d’ailleurs en apprenant sa mort qu’il était considéré comme un saint parmi les ouvriers du quartier.
Enfin, son attitude dans les minutes qui précèdent son décès est exemplaire : il a eu le temps de dire qu’il n’avait pas fait preuve de violence ou cherché à fuir mais qu’il pardonnait à ses assassins et qu’il faisait le sacrifice de sa vie, avant d’ajouter: « J’offre ma vie pour mes frères et pour mon pays ».
Le Père Corentin Cloarec est-il un cas unique chez les Franciscains ?
Non, de nombreux frères ont été d’actifs résistants, comme le père Lejal du couvent d’Epinal (qui participa à plusieurs réseaux), les pères Frédéric Bergougnoux de Toulouse et Guy Bougerol de Paris (puis en Afrique du Nord) ou encore le père Léon Bedrune de Brive, qui cacha des juifs et des aviateurs. Plusieurs y laissèrent leur vie, comme les pères Robert Desmoutiers de Roubaix ou Agnello Van den Bosch de Bruxelles (morts en déportation, comme plusieurs jeunes frères déportés pour avoir exercé en Allemagne un apostolat clandestin auprès des Français du STO). Enfin, leurs frères capucins furent aussi actifs, comme le père Augustin Meyer (mort en déportation) ou le père Marie-Benoît de Bourg d’Iré qui a été nommé Juste des Nations pour son action en faveur des Juifs.
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Le Père Corentin, Franciscain et résistant
Sous la direction de Be
rtrand Warusfel, Professeur à l’Université de Lille 2, avocat.
Avec Frère Luc Mathieu, franciscain ; Frère Jean-Louis Paumier, franciscain et Patrice de Larrard
250 pages – ISBN : 978-2-85020-338-1
18 euros
Les Editions Franciscaines