« On sème la peur et ensuite on prend des décisions », déplore le pape François à propos des politiques européennes. Il invite à apprendre les leçons de l’histoire et l’Europe à avoir de la gratitude pour les pays qui ont accueilli sa polulation à différentes époques. Il cite l’exemple d’accueil de la Suède. Il fait observer que « la peur, c’est le début des dictatures », lui qui a connu les dictatures… Il invite l’Europe à la gratitude, à la cohérence, à arrêter l’immigration « par la générosité ».
La question a été posée en ces termes par un journaliste allemand: « Vous combattez depuis de nombreuses années pour protéger, aider, les migrants, comme vous l’avez fait ces jours-ci au Maroc. La politique européenne va exactement dans la direction opposée. L’Europe devient comme un bastion contre les migrants. Cette politique respecte l’opinion des électeurs. La majorité de ces électeurs sont des chrétiens catholiques. Comment ressentez-vous cette triste situation ? »: voilà la réponse du pape François à cette question posée dans l’avion de Rabat (Maroc) à Rome, dimanche 31 mars 2019, à quelques semaines des élections du Parlement européen de mai prochain.
« Il est vrai, constate le pape, que beaucoup de gens de bonne volonté, pas seulement catholiques, mais des gens de bonne volonté, sont un peu stressés par la peur qui est le prêche habituel des populistes. La peur. On sème la peur et ensuite on prend des décisions. La peur c’est le début des dictatures. Retournons au siècle dernier, à la chute du régime de Weimar. Je le répète souvent : l’Allemagne avait besoin d’une issue, compromis et peur, et cela a donné Hitler, nous connaissons le résultat.
« Apprenons de l’histoire ! », s’exclame le pape qui invite l’Europe à la gratitude: « Ce n’est pas nouveau : semer la peur, donne une récolte de cruauté, de fermetures et de stérilité. Pensez à l’hiver démographique de l’Europe. Même nous qui habitons en Italie : en dessous de zéro ! Pensez au manque de mémoire historique : l’Europe s’est faite d’immigrations et c’est sa richesse. Pensons à la générosité de tant de pays qui aujourd’hui frappent à la porte de l’Europe. Avec des immigrés européens à partir de 84 [1884, ndr] et les deux-après guerres, immigrations de masse : Amérique du nord, Amérique centrale, Amérique du sud. Mon papa est allé là dans l’après-guerre. L’accueil… l’Europe pourrait aussi avoir un peu de gratitude. »
Il invite aussi l’Europe à la cohérence: « Il est vrai que pour être synthétique, je dirais deux choses. C’est vrai que le premier travail que nous devons faire c’est de chercher à ce que les personnes qui émigrent en raison de la guerre, ou de la faim, n’y soient pas contraints. Mais si l’Europe, tellement généreuse, vend des armes au Yémen pour tuer des enfants, comment l’Europe peut-elle faire pour être cohérente ? Je dis cela comme un exemple, car l’Europe vend des armes. »
Le pape suggère d’arrêter l’immigration par la générosité: « Il y a ensuite le problème de la faim, de la soif. Si l’Europe veut être l’Europe mère et non la grand-mère Europe, elle doit investir. Elle doit chercher intelligemment à aider à élever par l’éducation, par les investissements. Et cela ce n’est pas de moi. C’est la chancelière Merkel qui l’a dit. Une chose qu’elle promeut pas mal. Empêcher donc l’immigration, non par la force mais par la générosité, les investissements éducatifs et économiques. Et c’est très important. »
L’évêque de Rome suggère aussi que les pays ne soient pas isolés, mais solidaires les uns des autres pour affronter la crise migratoire ensemble, « humainement ». Comment agir, en second lieu : il est vrai qu’un pays ne peut pas recevoir tout le monde. Mais il y a toute l’Europe pour distribuer les migrants. Il y a toute l’Europe. Parce que l’accueil doit se faire avec un cœur ouvert. »
Le pape rappelle ses quatre lignes d’action – accueillir, accompagner, promouvoir, intégrer – développées au Maroc: « Ensuite, accompagner, promouvoir, intégrer. Si un pays ne peut pas intégrer, il doit penser aussitôt à parler avec les autres pays : toi, combien tu peux en intégrer ? Pour donner une vie digne aux gens. »
Il a rappelé la générosité de certains pays au moment des dictatures d’Amérique latine: « Un autre exemple que j’ai vécu dans ma propre chair au temps des dictatures, de l’Opération Condor à Buenos Aires, en Amérique latine : Argentine, Chili, Uruguay… C’est la Suède qui a accueilli avec une générosité impressionnante : ils apprenaient aussitôt la langue – aux frais de l’Etat -, ils trouvaient un travail, une maison. »
« Actuellement, a constaté le pape, on sent que la Suède est un peu en difficulté pour intégrer. Mais elle le dit. Elle demande de l’aide. Quand je suis allé à Lund, c’est le Premier ministre qui m’a accueilli, et lors de la cérémonie de départ, il y avait une ministre, une jeune ministre, de l’éducation je crois, sa couleur de peau était un peu brunette. Pourquoi ? Parce qu’elle était la fille d’une Suédoise et d’un immigré africain : c’est ainsi qu’un pays comme la Suède que je donne comme exemple, intègre. »
Le pape François a conclu en répétant que la peur ne résout rien, au contraire: « Mais pour cela, il faut de la générosité, il faut avancer. Avec la peur on n’avancera pas, avec les murs nous resterons enfermés dans ces murs. Mais je fais une homélie, excusez-moi. »
Centre rural de Témara (Maroc) © Vatican Media
Europe: le pape suggère d' "arrêter l'immigration par la générosité"
Conférence de presse dans l’avion de Rabat à Rome (7)