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Du harcèlement à un examen de conscience pour tous, par Mgr Forte

« Qui se tait devant le mal est aussi coupable que celui qui l’accomplit »

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« Du harcèlement à un examen de conscience pour tous » : sous ce titre, le quotidien italien « Il Sole 24 Ore » du dimanche 13 mai 2018, a publié une réflexion de Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto, que nous publions en français avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Dans ce texte, il souligne que celui « qui se tait devant le mal est aussi coupable que celui qui l’accomplit… Le spectateur passif, qui participe à l’événement sans y prendre part par inertie ou par peur, finit par être coresponsable de la fragilité collective face au mal qui est fait ».
« La sonnette d’alarme nous concerne tous et devient une interrogation inquiétante et un cuisant stimulant à un examen de conscience tant sur les ressources éthiques et spirituelles, personnelles et collectives, que sur la fragilité de chacun par rapport à son propre engagement, au sens ultime de la vie et à la responsabilité envers le bien commun », conclut Mgr Forte.
Voici notre traduction intégrale de la réflexion du théologien italien.
Du harcèlement à un examen de conscience pour tous
La chronique récente nous a habitués au retour d’un mot que nous ne voudrions jamais devoir utiliser : le harcèlement. Ce terme désigne les comportements verbaux, physiques et psychologiques de vexation, réitérés dans le temps, qu’un individu, ou un groupe d’individus, met en œuvre aux dépens de personnes plus faibles : le harcèlement est signe et produit d’une triple forme de fragilité : la première est celle de la victime et renvoie à des caractéristiques personnelles, sociales ou culturelles, pour lesquelles l’auteur de l’acte de domination se sent plus fort que sa cible, libre d’agir pour son plaisir et son intérêt aux dépens des autres. De l’offense à la menace, de l’exclusion du groupe à la calomnie, de la présentation négative et caricaturale de la victime à l’appropriation indue d’objets qui lui appartiennent, jusqu’à la violence physique et la contrainte exercée sur l’autre pour qu’il accomplisse des actes qui vont contre sa volonté, les expressions du harcèlement sont nombreuses et variées. Tous ces comportements supposent chez le coupable la conviction que la victime n’est pas capable de se défendre ou de réagir d’une manière qui corresponde au mal qu’il lui fait. A la base des actes de harcèlement il y a donc la perception d’une asymétrie de la relation, qui crée chez celui qui le commet une fausse perception d’impunité, de présomption de force et de despotisme, dans le choix des moments et des moyens pour agir avec domination sur celui qui est ou semble plus faible. Naturellement la fragilité de la victime peut être totalement inconsciente au départ, liée à des facteurs psychologiques ou d’éducation ou à une moindre vigueur physique et une plus lente capacité de réaction. Toute cela porte souvent la victime de harcèlement à avoir honte de ce qu’elle subit et par conséquent à ne pas en parler, spécialement avec ceux qui pourraient intervenir pour le protéger, comme les parents, les professeurs ou les éducateurs. Mais l’intériorisation de la violence subie est le facteur qui, à la longue, peut produire le maximum de dégâts chez la victime, car elle affaiblit son amour-propre et peut la pousser, au fil du temps, à des réactions incontrôlées, nuisibles à lui-même et aux autres. Aux formes de domination, s’ajoutent ensuite ce que l’on appelle aujourd’hui le « cyber-harcèlement » ou « harcèlement électronique », qui consiste à envoyer des messages agressifs à la victime à travers sms, photos ou films d’actions montrant des moments où elle ne désire pas être reprise. Ces messages sont envoyés à d’autres et mis sur réseau pour nuire à sa réputation, la menacer ou lui créer isolement et embarras.
Tout cet ensemble d’actions et réactions révèle l’autre dimension de fragilité qui entre en jeu dans le harcèlement : celle du coupable. Qui met en œuvre des actes de harcèlement est souvent une personne psychologiquement immature, qui cherche l’autosatisfaction et une affirmation de soi dans des comportements qui dépassent les bornes, où le degré de violence s’élève, inversement, selon les ressources morales et spirituelles du protagoniste. Définir le harcèlement un acte de lâcheté est vrai seulement en partie : souvent, les motivations de tel comportement sont l’insécurité, la peur, le sentiment d’être en inadéquation face aux défis de la vie, outre l’incapacité à percevoir une bonne et honnête action comme l’expression d’une force intérieure, positive pour soi et pour les autres, infiniment plus riche que la violence exprimée dans l’acte de domination sur le plus faible. La fragilité de ceux qui commettent un acte de harcèlement doit être considérée avec attention, car elle manifeste souvent de véritables pathologies, surtout psychologiques, en particulier dans le domaine de l’affectif et des émotions, qui doivent être soignées plus que punies, et qui demandent en tout cas un processus de rééducation attentif. L’aide plus grande que l’on peut offrir à ceux qui se comportent en harceleurs est de leur faire prendre conscience de leurs propres faiblesses, en les aidant à percevoir la gravité de leurs actes, et l’urgence de trouver des voies pour les surmonter et progresser. Ce n’est qu’en portant l’auteur de harcèlements à une prise de conscience adéquate de sa propre fragilité que l’on pourra l’aider à s’en sortir. Cette aide exige une interaction entre acteurs et agences d’éducation et doit impliquer la famille, l’école, le monde des associations et tout le contexte social.
C’est là qu’il faut considérer une troisième, décisive fragilité : celle du contexte dans lequel ont lieu les comportements de harcèlement. Il n’est pas rare que les agences d’éducation se montrent impuissantes face aux phénomènes de harcèlement : ceux qui auraient autorité et la responsabilité pour intervenir, souvent ne le font pas, préférant sous-évaluer la gravité du phénomène par crainte ou pour un prétendu malentendu de tolérance vis-à-vis du coupable. Ainsi, les parents qui préfèrent prendre le parti de ceux qui se salissent d’actes de harcèlement par simple parti pris en faveur des enfants ou des professeurs qui ne veulent pas avoir ou créer de problèmes à quiconque, ou des éducateurs incapables d’intervenir avec l’autorité nécessaire, contribuent à déterminer la fragilité de l’environnement social dans lequel le harcèlement peut émerger et prospérer. Cette troisième forme de fragilité est peut-être la plus dangereuse, parce qu’elle crée davantage d’obstacles pour surmonter le phénomène et soigner de manière opportune. Il n’est pas rare que l’harceleur perçoive l’attitude de déresponsabilisation et de résignation chez ceux qui devraient et pourraient l’éduquer comme un élément en sa faveur, se sentant avantagé voire stimulé à justifier son « délire de toute puissance ». Ainsi, de la part de la victime, la perception de l’impunité du couple due à un climat de résignation et de désengagement peut aggraver énormément son propre sentiment de fragilité et d’échec face aux difficultés des relations et en général de la vie. Qui se tait devant le mal est aussi coupable que celui qui l’accomplit : l’harceleur tyrannique interprète le silence des autres comme une complicité implicite et s’en nourrit pour agir avec violence. Le spectateur passif, qui participe à l’événement sans y prendre part par inertie ou par peur, finit par être coresponsable de la fragilité collective face au mal qui est fait. L’incapacité de la foule à réagir aux actes de violence en public dénonce un déclin de la sensibilité émotive et de la capacité réactive, qui finit par favoriser ou du moins permettre le harcèlement. Personne, en somme, ne peut se soustraire au devoir de veiller sur cette fragilité collective et d’agir tant au niveau de la prévention et de l’éducation, qu’au moment possible de danger, pour que la loi de la force n’ait pas à prévaloir sur le devoir du respect de al dignité de toute personne. La sonnette d’alarme nous concerne tous et devient une interrogation inquiétante et cuisant stimulant à un examen de conscience tant sur les ressources éthiques et spirituelles, personnelles et collectives, que sur la fragilité de chacun par rapport à son propre engagement, au sens ultime de la vie et à la responsabilité envers le bien commun.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Bruno Forte

Arcivescovo di Chieti-Vasto

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