Il faut un dialogue « à tous les niveaux », a exhorté le pape, dans lequel « toutes les voix et les visions sont nécessaires, mais surtout les voix moins écoutées, celles des périphéries ». Pour dialoguer sur le développement, a-t-il affirmé, « il convient de se souvenir de ce qui nous est commun en tant qu’êtres humains : notre origine, notre appartenance et notre destination »
Le pape François a en effet adressé une Lettre au cardinal Turkson et aux participants à la Conférence internationale « De Populorum Progressio à Laudato si’ », organisée par le Dicastère pour le service du développement humain intégral, au Vatican, dans la Nouvelle Salle du Synode, les 23-24 novembre 2017.
Le pape a encouragé les syndicats et les mouvements de travailleurs qui « doivent, par vocation, être experts en solidarité » afin de contribuer au développement solidaire. Il les a mis en garde contre trois « tentations » : l’ « individualisme collectiviste » de celui qui ne cherche que les intérêts de ceux qu’il défend, « le cancer social de la corruption » et l’oubli de leur rôle « d’éduquer les consciences à la solidarité, au respect et au soin ».
Voici notre traduction de la seconde partie de la lettre du pape François. La première partie a été publiée par ZENIT samedi 25 novembre 2017.
HG
Deuxième partie de la lettre du pape François
C’est pourquoi, et comme je l’ai affirmé dans l’encyclique Laudato si’, nous avons besoin d’un dialogue sincère et profond pour redéfinir l’idée du travail et la route du développement (31). Mais nous ne pouvons pas être ingénus et penser que le dialogue se produira naturellement et sans conflits. Il faut des personnes qui travaillent sans cesse pour donner vie à des processus de dialogue à tous les niveaux : au niveau de l’entreprise, du syndicat, du mouvement ; au niveau du quartier, de la ville, régional, national et mondial. Dans ce dialogue sur le développement, toutes les voix et les visions sont nécessaires, mais surtout les voix moins écoutées, celles des périphéries. Je connais l’effort de tant de personnes pour faire émerger ces voix dans les sièges où se prennent des décisions sur le travail. Je vous demande d’assumer ce noble engagement.
L’expérience nous dit que, pour qu’un dialogue soit fructueux, il est nécessaire de partir de ce que nous avons en commun. Pour dialoguer sur le développement, il convient de se souvenir de ce qui nous est commun en tant qu’êtres humains : notre origine, notre appartenance et notre destination (32). Sur cette base, nous pourrons renouveler la solidarité universelle de tous les peuples (33), en incluant la solidarité avec les peuples de demain. En outre, nous pourrons trouver la manière de sortir d’une économie de marché et financière qui ne donne pas au travail la valeur qui lui revient, et l’orienter vers une autre dans laquelle l’activité humaine est le centre (34).
Les syndicats et les mouvements de travailleurs doivent, par vocation, être experts en solidarité. Mais pour contribuer au développement solidaire, je vous prie de vous garder de trois tentations. La première, celle de l’individualisme collectiviste, c’est-à-dire protéger seulement les intérêts de ceux que vous représentez, ignorant le reste des pauvres, marginaux et exclus du système. Il faut investir dans une solidarité qui aille au-delà des murailles de vos associations, qui protège les droits des travailleurs, mais surtout de ceux sont les droits ne sont même pas reconnus. Syndicat est un beau terme, qui dérive du grec dikein (faire justice) et syn (ensemble » (35). S’il vous plaît, faites justice ensemble, mais en solidarité avec tous les marginaux.
Ma seconde demande est de vous garder du cancer social de la corruption (36). De même qu’en certaines occasions « la politique est responsable de son propre discrédit à cause de la corruption » (37), ainsi la même chose se produit avec les syndicats. La corruption de ceux qui se disent « syndicalistes », qui se mettent d’accord avec les entrepreneurs et ne s’intéressent pas aux travailleurs, laissant des milliers de collègues sans travail, est terrible ; c’est une plaie qui mine les relations et détruit beaucoup de vies et de familles. Ne permettez pas que les intérêts illicites ruinent votre mission, si nécessaire dans le temps où nous vivons. Le monde et toute la création aspirent avec espérance à être libérés de la corruption (cf. Rm 8, 18-22). Soyez des facteurs de solidarité et d’espérance pour tous. Ne vous laissez pas corrompre !
La troisième demande est de ne pas oublier le rôle, que vous avez, d’éduquer les consciences à la solidarité, au respect et au soin. La conscience de la crise du travail et de l’écologie exige de se traduire en de nouveaux styles de vie et de politiques publiques. Pour donner vie à de tels styles de vie et à de telles lois, nous avons besoin que les institutions comme les vôtres cultivent les vertus sociales qui favorisent l’épanouissement d’une nouvelle solidarité mondiale qui nous permette de fuir l’individualisme et le consumérisme, et qui nous motivent à remettre en discussion les mythes d’un progrès matériel indéfini et d’un marché sans règles justes (38).
J’espère que ce Congrès produira une synergie en mesure de proposer des lignes concrètes d’action à partir du point de vue des travailleurs, des voies qui nous conduisent à un développement humain, intégral, durable et solidaire.
Je vous remercie à nouveau, Monsieur le Cardinal, ainsi que les personnes qui ont participé et offert leur contribution, et j’envoie ma bénédiction à chacun.
[30] Cf. Discours à la Confédération italienne des Syndicats des Travailleurs (CISL).
[31] Cf. nn. 3 e 14.
[32] Cf. Lett. enc. Laudato si’, 202.
[33] Cf. ibid., 14, 58, 159, 172, 227.
[34] Cf. Discours à la Confédération italienne des Syndicats des Travailleurs (CISL).
[35] Cf. ibid.
[36] Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, 60.
[37] Lett. enc. Laudato si’, 197.
[38] Ibid., 209-215.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat