Le 31 juillet 2016, « c’était bien une famille rendant visite à une famille en deuil »: l’archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun, a témoigné, ce dimanche 18 septembre 2016, lors de l’ouverture du rassemblement pour la paix d’Assise (Italie), trente ans après le premier rassemblement convoqué par saint Jean-Paul II le 27 octobre 1986, après avoir posé la photo du père Jacques Hamel, sur le pupitre d’où il parlait au théâtre d’Assise.
Mgr Lebrun a demandé « quatre grâces » puis il a ajouté sous les applaudissements son expérience d’une « même famille humaine »: « Je demande ces grâces non sans remercier déjà pour celles reçues depuis l’offrande de la vie du Père Jacques Hamel. Qu’il suffise de souligner la visite rendue par de nombreux musulmans à nos assemblées dominicales le dimanche 31 juillet. C’était bien une famille rendant visite à une famille en deuil, et cela est bon. Nous sommes de la même famille humaine, donc promis, je le crois très sincèrement, à la même famille divine. Par Jésus, mon Seigneur et mon Dieu. Merci. »
Il avait évoqué la possible béatification du père Hamel en tant que martyr en soulignant le sens d’une telle proclamation éventuelle: « Je demande la grâce que la reconnaissance du martyre ne soit pas une bannière levée pour combattre et condamner; mais la joie de rendre grâce pour le don d’un prêtre qui a donné sa vie comme le Christ. »
Le représentant de l’islam, Mohammed Sammak, du Liban, s’est adressé à Mgr Lebrun dans son intervention, en soulignant lui aussi cette humanité commune: « Nous considérons le père Jacques Hamel comme une victime non seulement pour votre Eglise mais pour l’humanité tout entière. »
Mgr Lebrun a accompagné un pèlerinage du diocèse de Rouen à Rome et Assise, auquel participent des membres de la famille du père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet dernier en l’église Saint-Etienne, à Saint-Etienne-du-Rouvray (France, Normandie), alors qu’il célébrait la messe.
Le pape François a célébré la messe avec le pèlerinage de Rouen, le 14 septembre en la fête de la Croix glorieuse à Sainte-Marthe, au Vatican. Il a ensuite salué les membres du pèlerinage personnellement et de nouveau lors de l’audience l’audience générale qui a suivi, place Saint-Pierre.
Le lendemain, 15 septembre, Mgr Lebrun a déposé le bréviaire du père Jacques en la basilique San Bartolomeo de Rome, sur l’Île Tibérine, sanctuaire des nouveaux martyrs, toujours en présence de représentants de la famille de celui que le pape François a appelé « martyr » et « bienheureux ».
Voici le texte de l’intervention de Mgr Lebrun. Au texte publié par Sant’Egidio nous avons ajouté quelques incises de Mgr Lebrun.
AB
Intervention à Assise dimanche 18 septembre 2016
Dominique Lebrun, archevêque de Rouen (France)
La Providence me conduit à Assise quelques semaines après l’assassinat du Père Jacques Hamel, à la fin de la messe, par deux jeunes hommes se réclamant d’une foi musulmane. Oui, l’esprit d’Assise est bien présent, et il porte du fruit un peu partout ! Mais voilà que le mystère du Mal semble nous submerger et venir troubler ce chemin.
Ici, je voudrais demander la grâce de continuer le chemin du dialogue, un dialogue qui soit plus fort et plus vrai, plus intérieur. Je demande quatre grâces, car j’ai soif, j’ai soif de paix :
- Je demande à Dieu, par l’intercession de st François et du père Jacques Hamel, la grâce du pardon. Pardonner les assassins ? Ce n’est pas si difficile de pardonner deux assassins, qui sont morts, mais ceux qui les commanditent, les encouragent, les approuvent, cela est plus rude. Que la Parole de Jésus s’accomplisse : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
- Lorsque des responsables de DAECH sont tués par des bombardements, quelle est ma pensée : ils ont ce qu’ils méritent ? Ouf, en voilà quelques-uns d’éliminés ? Ou bien que va-t-il se passer pour eux en paraissant devant Dieu ? Suis-je capable de prier pour leur salut, de les aimer ? Je demande la grâce de les aimer comme des frères, c’est-à-dire de désirer les retrouver dans le Royaume des Cieux. Que la Parole de Jésus nous stimule et vienne purifier nos coeurs : « Moi, je vous dis : aimez vos ennemis » (Mt 5;44).
- Le Père Jacques appartient à la lignée des martyrs. Il est bienheureux, dit le Pape François. Il n’est pas encore béatifié. Alors je reçois des lettres qui le demandent. Certains, bien informés, m’incitent à demander la dispense de 5 ans, en usage dans l’Eglise catholique. Je demande la grâce que la reconnaissance du martyre du père Hamel ne soit pas une bannière levée pour combattre et condamner; mais la joie de rendre grâce pour le don d’un prêtre qui a donné sa vie comme le Christ. Que la Parole de Jésus m’habite : « Dieu a envoyé son Fils unique… non pas pour juger le monde, mais pour que par Lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 17).
- Enfin, je demande la grâce d’un dialogue en vérité avec mes amis musulmans. Des questions se posent sur notre possible cohabitation, à Saint-Etienne du Rouvray, dans la banlieue de Rouen, dans nos périphéries, dans d’autres pays aussi. Dans la vie sociale et familiale, tout est-il compatible entre nos religions. Parlons-en, dialoguons. J’aimerais aussi interroger avec un infini respect mes amis musulmans sur ce que leur foi appelle soumission à un Dieu qui est au-dessus de l’humanité. Ce que les musulmans perçoivent de Dieu n’est-il pas d’un tel absolu que toute réalité, même la vie humaine, n’aurait guère d’importance en comparaison? Je voudrais, en même temps, témoigner de ma foi en Dieu qui s’est fait homme en Jésus : Dieu est entré dans l’humanité, et ainsi dans ses limites. Quel beau mystère qui élève l’homme à la dignité divine et qui, en même temps, se mêle à son histoire chaotique.
Je demande ces grâces, pour dire aussi que mon cœur a besoin d’être encore purifié. Je demande ces grâces non sans remercier déjà pour celles reçues depuis l’offrande de la vie du Père Jacques Hamel. Qu’il suffise de souligner la visite rendue par de nombreux musulmans à nos assemblées dominicales le dimanche 31 juillet. C’était bien une famille rendant visite à une famille en deuil, et cela est bon. Nous sommes de la même famille humaine, donc promis, je le crois très sincèrement, à la même famille divine. Par Jésus, mon Seigneur et mon Dieu. Merci.
© Mgr Dominique Lebrun