Le pape François invite tous les catholiques à participer à la lutte contre les abus dans l’Église : « Quand on voit quelque chose, parler immédiatement », enjoint-il : « C’est la première chose que puisse faire le peuple de Dieu. Il ne faut pas couvrir ces faits. »
Il répondait ainsi à une question sur les actions concrètes du « peuple de Dieu » dans la lutte contre les abus au cours de la conférence de presse dans l’avion Dublin-Rome le 26 août 2018, après deux jours de voyage en Irlande.
En même temps, le pape a appelé les médias à ne pas « créer un climat de culpabilité » avant que les faits ne soient confirmés. « Votre travail est très délicat, a-t-il dit aux journalistes : vous devez accompagner, vous devez dire les choses, mais toujours avec cette présomption légale d’innocence et non la présomption légale de culpabilité ! »
« Il y a une différence entre l’informateur qui informe sur un cas, mais qui ne prétend pas une condamnation à l’avance, et l’investigateur, qui fait le ‘Sherlock Holmes’, qui part avec la présomption de culpabilité », a aussi ajouté le pape.
Voici notre traduction des paroles du pape François.
MD
Conférence de presse dans l’avion Dublin-Rome (6)
Cécile Chambraud, « Le Monde » – Bonsoir, Saint-Père. J’espère que cela ne vous dérange pas si je pose ma question en espagnol, mais je vous prie de me répondre en italien pour tous mes collègues. Dans votre discours aux Autorités irlandaises, vous avez fait référence à votre récente Lettre au peuple de Dieu. Dans cette Lettre, vous appelez tous les catholiques à participer à la lutte contre les abus dans l’Église. Pouvez-vous nous expliquer ce que les catholiques peuvent faire concrètement, chacun à sa place, pour lutter contre les abus. Et à ce sujet, en France, un prêtre a lancé une pétition demandant la démission du cardinal Barbarin, accusé par des victimes. Cette initiative vous semble-t-elle appropriée ou non ?
Pape François : S’il y a des soupçons ou des preuves ou des demi-preuves, je ne vois pas de mal à ce que l’on fasse une enquête, pourvu qu’elle se fasse selon le principe juridique fondamental : « Nemo malus nisi probetu », personne n’est mauvais tant qu’on ne l’a pas prouvé. Et il y a bien souvent la tentation non seulement de faire une enquête, mais de publier que l’on a fait l’enquête et pourquoi la personne est coupable… et ainsi certains médias – pas les vôtres, je ne sais pas – commencent à créer un climat de culpabilité. Et je me permets de dire quelque chose qui s’est passé ces derniers temps, qui pourra aider en cela, parce que pour moi la manière dont on procède et importante, et aussi la manière dont les médias peuvent aider. Il y a trois ans, plus ou moins, a surgi à Grenade le problème des fameux prêtres pédophiles, un petit groupe de sept-huit-dix prêtres qui ont été accusés d’abus sur mineurs et aussi de faire des fêtes, des orgies, etc. C’est moi qui ai reçu l’accusation directement : une lettre écrite par un jeune de vingt-trois ans ; d’après lui, il avait été victime d’abus, il donnait des noms, tout. Un jeune qui travaillait dans un collège religieux de Grenade, très prestigieux ; la lettre, parfaite… Et il me demandait ce qu’il devait faire pour dénoncer cela. J’ai dit : « Va voir l’archevêque, l’archevêque sait ce que tu dois faire ». L’archevêque a fait tout ce qu’il devait faire, la chose est aussi arrivée au tribunal civil. Il y a eu les deux procès. Les médias du lien ont commencé à parler, à parler… Trois jours plus tard, tout était écrit dans la paroisse, « prêtres pédophiles », et des choses de ce genre, et ainsi s’est créée la conscience que ces prêtres étaient des criminels. Sept ont été interrogés, et on n’a rien trouvé ; l’enquête s’est poursuivie sur trois, deux d’entre eux sont restés en prison pendant cinq jours, et un, le p. Roman, qui était le curé, pendant sept jours. Pendant presque trois années encore, ils ont subi la haine, les giffles de tout le peuple : criminalisés, ils ne pouvaient pas sortir et ils ont souffert les humiliations faites par le jury pour prouver les accusations du jeune homme, que je n’ose pas répéter ici. Après plus de trois ans, le jury déclare les prêtres innocents, tous innocents, mais surtout les trois derniers : les autres étaient déjà hors de cause, et le dénonciateur coupable. Parce qu’ils avaient vu que ce jeune était bizarre, mais c’était quelqu’un de très intelligent et qui travaillait dans un collège catholique, qui avait beaucoup de prestige, qui donnait l’impression de dire la vérité. Il a été condamné à payer les dépenses et tous les frais, et eux innocents. Ces hommes ont été condamnés par les médias du lieu avant la justice. Et c’est pourquoi votre travail est très délicat : vous devez accompagner, vous devez dire les choses, mais toujours avec cette présomption légale d’innocence et non la présomption légale de culpabilité ! Et il y a une différence entre l’informateur qui informe sur un cas, mais qui ne prétend pas une condamnation à l’avance, et l’investigateur, qui fait le « Sherlock Holmes », qui part avec la présomption de culpabilité. Quand nous lisons la technique d’Hercule Poirot : pour lui, tout le monde était coupable. Mais ceci, c’est le métier de l’investigateur. Ce sont deux positions différentes. Mais ceux qui informent doivent toujours partir de la présomption d’innocence, en disant leurs impressions, leurs doutes… Mais sans condamner. Ce cas qui s’est produit à Grenade est pour moi un exemple qui nous fera du bien à tous, dans notre métier [respectif].
Greg Burke – Dans la première partie [de la question précédente], elle avait demandé ce que pouvait faire le peuple de Dieu sur cette question…
Pape François – Ah oui, oui. Quand on voit quelque chose, parler immédiatement. Je dirai autre chose, un peu terrible. Parfois, ce sont les parents qui couvrent un abus par un prêtre. Très souvent. On voit cela dans les jugements. [Ils disent :] « Mais non… » Ils ne croient pas, ou ils se convainquent que ce n’est pas vrai, et le garçon ou la fille reste comme cela. J’ai comme méthode de recevoir chaque semaine une ou deux personnes, mais ce n’est pas mathématique ; et j’ai reçu une personne, une femme, qui souffrait depuis 40 ans de ce fléau du silence, parce que ses parents ne l’avaient pas crue. Elle a été victime d’abus à huit ans. Parler, c’est important. C’est vrai que pour une mère, voir cela… ce serait mieux que ce ne soit pas vrai, alors elle pense que son fils a peut-être des fantasmes… [Mais il faut] parler. Et parler avec les bonnes personnes, parler avec celles qui peuvent initier un jugement, au moins l’investigation préalable. Parler avec le juge ou avec l’évêque, ou si le curé est capable, parler avec le curé. C’est la première chose que puisse faire le peuple de Dieu. Il ne faut pas couvrir ces faits. Une psychiatre m’a dit une fois – mais je ne veux pas que cela soit une offense pour les femmes – qu’en raison du sens de la maternité, les femmes sont plus enclines que les hommes à couvrir les choses de leur fils. Mais je ne sais pas si c’est vrai ou pas… Mais c’est cela : parler. Merci.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Conférence dans l'avion Malmö-Rome 2016 © L'Osservatore Romano
Abus sexuels : "Quand on voit quelque chose, parler immédiatement", demande le pape
Conférence de presse dans l’avion Dublin-Rome (6)