« De nos jours, l’Église est appelée à relancer avec force l’humanisme de la vie qui surgit de cette passion de Dieu pour la créature humaine », affirme le pape François dans cette lettre intitulée « La communauté humaine », en date du 6 janvier 2019, adressée au président de l’Académie pontificale pour la vie, Mgr Vincenzo Paglia, et qui marque les 25 ans de ce dicastère.
La Lettre « Humana communitas » et la prochaine assemblée générale ont été présentées à la presse internationale ce 15 janvier 2019, par Mgr Vincenzo Paglia, président de l’Académie pontificale pour la vie (PAV); Mgr Renzo Pegoraro, chancelier de la PAV; le p. Paolo Benanti, professeur de théologie morale et d’éthique des technologies à l’Université pontificale grégorienne, membre de la PAV; Mme Laura Palazzani, professeur de bio-droit et de philosophie du droit à l’Université LUMSA (Santissima Maria Libera Università Assunta, Rome), et de la PAV.
L’assemblée de l’Académie pontificale se tiendra du 25 au 27 février 2019, dans la Nouvelle salle du synode du Vatican, sur le thème : « Robot-éthique. Personnes, machines et santé ».
Dans sa lettre le pape rend hommage à l’initiative du prof. Jérôme Lejeune en vue de la fondation de la PAV.
Voici la traduction officielle en français de la lettre du pape François.
AB
Humana communitas
[La communauté humaine]
La communauté humaine est le rêve de Dieu même avant la création du monde (cf. Ep 1,3-14). C’est en elle que le Fils éternel engendré de Dieu a pris sa chair et son sang, son cœur et ses relations affectives. Dans le mystère de l’engendrement la grande famille de l’humanité peut se retrouver. En effet, l’initiation familiale à la fraternité entre les créatures humaines peut être considérée comme un véritable trésor caché, en vue du réaménagement communautaire des politiques sociales et des droits de l’homme, dont on ressent aujourd’hui une forte nécessité. C’est pour cela que nous devons être de plus en plus conscients de notre commune origine de la création et de l’amour de Dieu. La foi chrétienne confesse l’engendrement du Fils en tant que mystère ineffable de l’unité éternelle de «faire être» et d’«aimer» qui réside dans l’intimité de Dieu Un et Trine. L’annonce renouvelée de cette révélation négligée peut ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de la communauté et de la culture humaines, qui invoquent aujourd’hui – alors qu’elle «gémit et souffre les douleurs de l’enfantement» (cf. Rm 8,22) – une nouvelle naissance dans l’Esprit. Dans le Fils Unique se révèle la tendresse de Dieu et sa volonté de rédemption de chaque humanité qui se sent perdue, abandonnée, rejetée et condamnée sans rémission. Le mystère du Fils éternel, qui s’est fait un de nous, scelle une fois pour toute cette passion de Dieu. Le mystère de sa Croix – « pour nous et pour notre salut » – et de sa Résurrection – comme « le premier-né d’un grand nombre de frères » (Rm 8,29) – nous dit jusqu’à quel point cette passion de Dieu s’adresse à la rédemption et à l’accomplissement de la créature humaine.
Nous devons rendre évidente cette passion de Dieu pour la créature humaine et pour son monde. Elle a été faite par Dieu à son «image» – « homme et femme » il la créa (cf. Gn 1,27) – comme créature spirituelle et sensible, consciente et libre.
La relation entre l’homme et la femme constitue le lieu éminent dans lequel la création entière devient interlocutrice de Dieu et témoin de son amour.
Notre monde est la demeure terrestre de notre initiation à la vie, le lieu et le temps en lesquels nous pouvons déjà commencer à goûter la demeure céleste à laquelle nous sommes destinés (cf. 2 Co 5,1), où nous vivrons en plénitude la communion avec Dieu et avec tous.
La famille humaine est une communauté d’origine et de destination, dont la réussite est «cachée avec le Christ en Dieu» (Col 3,1-4).
De nos jours, l’Église est appelée à relancer avec force l’humanisme de la vie qui surgit de cette passion de Dieu pour la créature humaine. L’engagement à comprendre, à promouvoir et à défendre la vie de tout être humain prend son élan de cet amour inconditionnel de Dieu. C’est la beauté et l’attrait de l’Évangile, qui ne réduit pas l’amour du prochain à l’application de critères de convenance économique et politique ni à « quelques accents doctrinaux ou moraux qui procèdent d’options idéologiques déterminées » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 39).
Une histoire passionnée et féconde
1. Cette passion a animé l’activité de l’Académie Pontificale pour la Vie depuis le moment de son institution, il y a vingt-cinq ans, de la part de Saint Jean-Paul II, sur proposition du Serviteur de Dieu et du grand scientifique Jérôme Lejeune. Mon prédécesseur, lucidement convaincu de la profondeur et de la rapidité des changements en acte dans le domaine biomédical, a jugé qu’il était opportun de soutenir un engagement plus structuré et organique sur ce front. L’Académie a ainsi pu développer des initiatives d’étude, de formation et d’information dans le but de rendre « manifeste que la science et la technique, mises au service de la personne humaine et de ses droits fondamentaux, contribuent au bien intégral de l’homme et à la mise en œuvre du projet divin de salut (cf. Gaudium et spes, n. 35) » (Jean-Paul II, Motu proprio Vitae mysterium, 11 Février 1994, n. 3).
L’élaboration du nouveau Statut a imprimé un nouvel élan aux activités de l’Académie (18 Octobre 2016). L’intention est celle de rendre la réflexion sur ces thèmes toujours plus attentive au contexte contemporain, dans lequel le rythme croissant de l’innovation technoscientifique et la mondialisation multiplient les interactions, d’une part, entre les cultures, les religions et les différents savoirs, et de l’autre, entre les nombreuses dimensions de la famille humaine et de la maison commune que cette dernière habite. « Il est donc urgent d’intensifier l’étude et la confrontation sur les effets de cette évolution de la société au sens technologique pour établir une synthèse anthropologique qui soit à la hauteur de ce défi historique. Le domaine de votre consultation qualifiée ne peut donc pas se limiter à la résolution des questions posées par des situations spécifiques de conflit éthique, social ou juridique. L’inspiration de conduites cohérentes avec la dignité de la personne humaine concerne la théorie et la pratique de la science et de la technique dans leur approche globale par rapport à la vie, à son sens et à sa valeur » (Discours à l’Assemblée générale de l’Académie Pontificale pour la Vie, 5 Octobre 2017).
Dégradation de l’humain et paradoxe du «progrès»
2. En cette période de l’histoire, la passion pour l’humain, pour l’humanité entière, rencontre de grandes difficultés. Les joies des relations familiales et de la cohabitation sociale apparaissent profondément minées. La méfiance réciproque entre les individus et les peuples se nourrit d’une recherche démesurée de leur propre intérêt ainsi que d’une compétition exaspérée qui, de plus, ne rejette pas la violence. La distance entre l’obsession envers notre propre bien-être et le bonheur partagé de l’humanité ne cesse de se creuser et nous conduit à considérer qu’un véritable schisme est désormais en cours entre l’individu et la communauté humaine. Dans l’Encyclique Laudato si’, j’ai mis en lumière l’état d’urgence dans lequel se trouve notre rapport avec l’histoire de la terre et des peuples. Il s’agit d’une alarme provoquée par le peu d’attention accordée à la question, pourtant si importante et si décisive, de l’unité de la famille humaine et de son avenir. L’érosion de cette sensibilité, qui provient des puissances mondaines de la division et de la guerre, augmente de façon globale, avec une vitesse qui est bien supérieure à celle de la production des biens. Il s’agit d’une véritable culture – ou plutôt, il vaudrait mieux dire d’une anti-culture – de l’indifférence envers la communauté : hostile aux hommes et aux femmes, et alliée à la tyrannie de l’argent.
3. Mais cette urgence révèle un paradoxe : comment se fait-il que, juste au moment de l’histoire du monde où les ressources économiques et technologiques disponibles nous permettraient de prendre suffisamment soin de notre maison commune ainsi que de la famille humaine, en honorant la tâche que Dieu lui-même nous a remise, c’est au contraire justement d’elles, de ces mêmes ressources économiques et technologiques que viennent nos divisions les plus agressives et nos pires cauchemars ? Les peuples perçoivent de façon perspicace et douloureuse, bien que souvent confusément, la détresse spirituelle – nous pourrions même dire le nihilisme – qui subordonne la vie à un monde et à une société soumis à ce paradoxe.La tendance à anesthésier cette gêne profonde, à travers un élan aveugle vers la jouissance matérielle, produit la mélancolie d’une vie qui ne trouve pas de destination à la hauteur de sa qualité spirituelle. Nous devons le reconnaître : les hommes et les femmes de notre temps sont souvent démoralisés et désorientés, sans vision aucune. Nous sommes tous un peu repliés sur nous-mêmes. Le système de l’argent et l’idéologie de la consommation sélectionnent nos besoins et manipulent nos rêves, sans égard aucun ni pour la beauté de la vie partagée ni pour l’habitabilité de la maison commune.
Une écoute responsable
4. Le peuple chrétien, en recueillant le cri des souffrances des peuples, doit réagir aux esprits négatifs qui fomentent la division, l’indifférence et l’hostilité. Il se doit de le faire, non seulement pour lui-même, mais pour tous. Et il doit le faire immédiatement, avant qu’il ne soit trop tard. La famille ecclésiale des disciples – et de tous les hôtes qui recherchent en elle les raisons de l’espérance (cf. 1P 3,15) – a été semée sur la terre comme « sacrement […] de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, n. 1). La réhabilitation de la créature de Dieu à l’heureuse espérance de sa destination doit devenir la passion dominante de notre annonce. Il est urgent que les personnes âgées croient davantage à leurs meilleurs « songes » ; et que les jeunes aient des «visions» capables de les pousser à s’engager courageusement dans l’histoire (cf. Jl 3,1). Une nouvelle perspective éthique universelle, attentive aux thèmes de la création et de la vie humaine : tel est l’objectif que nous devons atteindre au niveau culturel. Nous ne pouvons pas continuer sur le chemin de l’erreur poursuivie au cours d’innombrables décennies de déconstruction de l’humanisme, confondu avec n’importe quelle idéologie de volonté de puissance. Nous devons contrer une telle idéologie, qui se sert de l’appui convaincu du marché et de la technique, en faveur de l’humanisme. La différence de la vie humaine est un bien absolu, qui est digne d’être éthiquement défendu et qui est précieux pour le soin de la création toute entière. Le scandale réside dans le fait que l’humanisme se contredit au lieu de prendre son inspiration de l’acte d’amour de Dieu. L’Église doit tout d’abord retrouver la beauté de cette inspiration et apporter sa contribution, avec un enthousiasme renouvelé.
Une tâche difficile pour l’Église
5. Nous sommes conscients d’avoir rencontré des difficultés en ouvrant à nouveau cet horizon humaniste, même en sein de l’Église. Ainsi, nous sommes donc les premiers à nous interroger sincèrement : les communautés ecclésiales ont-elles aujourd’hui une vision et donnent-elles un témoignage à la hauteur de cette urgence de l’époque présente ? Sont-elles sérieusement concentrées sur la passion et sur la joie de transmettre l’amour de Dieu envers la présence de ses enfants sur la Terre ?Ou bien se perdent-elles encore trop dans leurs propres problèmes et en de timides ajustements qui ne dépassent pas la logique du compromis mondain ? Nous devons sérieusement nous demander si nous avons suffisamment agi pour offrir notre contribution spécifique en tant que chrétiens à une vision de l’humain capable de soutenir l’unité de la famille des peuples dans les conditions politiques et culturelles d’aujourd’hui. Ou si, au contraire, nous en avons perdu de vue la centralité, en plaçant les ambitions de notre hégémonie spirituelle sur le gouvernement de la cité séculaire, repliée sur elle-même et sur ses biens, au-dessus du soin de la communauté locale, ouverte à l’hospitalité évangélique pour les pauvres et les désespérés.
Construire une fraternité universelle
6. Le temps est venu de stimuler une nouvelle vision pour un humanisme fraternel et solidaire des individus et des peuples. Nous savons que la foi et l’amour nécessaires pour cette alliance puisent leur élan du mystère de la rédemption de l’histoire en Jésus-Christ, caché en Dieu, même avant la création du monde (cf. Ep 1,7-10 ; 3,9-11 ; Col 1,13-14). Et nous savons également que la conscience et les sentiments de la créature humaine ne sont nullement imperméables ni insensibles à la foi et aux œuvres de cette fraternité universelle, semée par l’Évangile du Royaume de Dieu. Nous devons donc la remettre au premier plan. Parce que se sentir contraints à vivre ensemble est une chose, apprécier la richesse et la beauté des semences de vie commune qui doivent être recherchées et cultivées ensemble, en est une autre. Se résigner à concevoir la vie comme une lutte contre des antagonistes sans fin est une chose, mais reconnaître la famille humaine, comme signe de la vitalité de Dieu le Père et comme promesse d’une destination commune au rachat de tout l’amour qui la garde d’ores et déjà en vie, en est une autre.
7. Tous les chemins de l’Église mènent à l’homme, comme l’a solennellement proclamé le saint Pape Jean-Paul II dans son Encyclique inaugurale (Redemptor hominis,1979). Auparavant, saint Paul VI avait rappelé, lui aussi, dans l’encyclique programmatique et selon la leçon du Concile, que la familiarité de l’Église s’étend par cercles concentriques à chaque homme : même à celui qui se considère étranger à la foi et à l’adoration de Dieu (cf. Enc. Ecclesiam suam, 1964). L’Église reçoit et garde les signes de la bénédiction et de la miséricorde qui sont destinés par Dieu à chaque être humain qui vient dans ce monde.
Reconnaître les signes de l’espérance
8. Dans cette mission, les signes de l’œuvre de Dieu dans le temps actuel nous servent d’encouragement. Ils doivent être reconnus, en évitant que l’horizon soit obscurci par les aspects négatifs.
C’est dans cette optique que Saint Jean-Paul II enregistrait les gestes d’accueil et de défense de la vie humaine, la diffusion d’une sensibilité contraire à la guerre et à la peine de mort, ainsi qu’une attention croissante à la qualité de la vie et à l’écologie. Il indiquait également parmi les signes d’espérance, la diffusion de la bioéthique comme « la réflexion et le dialogue — entre croyants et non-croyants, de même qu’entre croyants de religions différentes — sur les problèmes éthiques fondamentaux qui concernent la vie de l’homme » (Enc. Evangelium vitae, 25 Mars 1995, n. 27). La communauté scientifique de l’Académie Pontificale pour la Vie a montré, au cours de ses vingt-cinq années d’histoire, qu’elle s’inscrit précisément dans cette même perspective, en offrant son propre apport qualifié et de haut niveau. En sont ainsi témoins l’engagement envers la promotion et la protection de la vie humaine tout au long de son déroulement, la dénonciation de l’avortement et de la suppression du malade comme maux très graves qui contredisent l’Esprit de la vie, et nous font sombrer dans l’anti-culture de la mort. Il faut certainement continuer sur cette même voie, en prêtant attention aux autres provocations que la conjoncture contemporaine offre pour la maturation de la foi, afin de pouvoir la comprendre de façon plus profonde et également de la communiquer de façon plus adéquate aux hommes d’aujourd’hui.
L’avenir de l’Académie
9. Nous devons, avant tout, habiter la langue et les histoires des hommes et des femmes de notre temps, en insérant l’annonce évangélique au sein de l’expérience concrète, comme nous l’a indiqué le Concile Vatican II avec son autorité. Afin de saisir la signification de la vie humaine, nous pouvons nous rapporter à l’expérience qui peut se reconnaître dans la dynamique de la génération. L’on évitera ainsi de réduire la vie soit à une notion seulement biologique, soit à un universel abstrait des relations et de l’histoire. L’appartenance originaire à la chair précède et rend possible toute autre ultérieure conscience et réflexion, en écartant la prétention du sujet d’être l’origine de soi-même.Nous pouvons seulement devenir conscients d’être en vie une fois que nous l’avons déjà reçue, et cela avant toute intention et décision de notre part. Vivre signifie nécessairement être des enfants, accueillis et soignés, même si c’est parfois de façon inadéquate. « Il semble alors raisonnable de jeter un pont entre ces soins que l’on a reçus depuis le début de la vie et qui ont permis à celle-ci de se déployer tout au long de son déroulement, et les soins à offrir de manière responsable aux autres. […] Ce lien précieux défend une dignité, humaine et théologale, qui ne cesse de vivre, pas même avec la perte de la santé, du rôle social et du contrôle sur son propre corps » (Lettre du Cardinal Secrétaire d’État à l’occasion du Congrès sur les soins palliatifs, 28 Février 2018).
10. Nous savons bien que le seuil du respect fondamental de la vie humaine est aujourd’hui violé de façon brutale, non seulement par des comportements individuels, mais aussi par les effets des choix et des aménagements structuraux. L’organisation du profit et le rythme de développement des technologies offrent d’inédites possibilités de conditionner la recherche biomédicale, l’orientation éducative, la sélection des besoins et la qualité humaine des relations.La possibilité de diriger le développement économique et le progrès scientifique vers l’alliance de l’homme et de la femme, pour le soin de l’humanité qui nous est commune et pour la dignité de la personne humaine, puise certainement dans un amour envers la création que la foi nous aide à approfondir et à éclairer. La perspective de la bioéthique globale, avec son ample vision et l’attention à l’impact de l’environnement sur la vie ainsi que sur la santé, constitue une opportunité considérable pour approfondir la nouvelle alliance de l’Évangile et de la création.
11. La commune appartenance à l’unique genre humain impose une approche globale et elle nous demande à tous d’affronter les questions qui se posent dans le dialogue entre les différentes cultures et sociétés qui sont, dans le monde d’aujourd’hui, de plus en plus étroitement en contact. Que l’Académie pour la Vie puisse être le lieu courageux de cette rencontre et de ce dialogue au service du bien de tous.
N’ayez pas peur d’élaborer des argumentations et des langages qui soient utiles en vue d’un dialogue interculturel et interreligieux, voire interdisciplinaire. Participez à la réflexion sur les droits humains qui constituent une question centrale dans la recherche de critères universellement partageables.Il en va de la compréhension et de la pratique d’une justice qui montre le rôle incontournable de la responsabilité dans le discours concernant les droits humains et leur étroite corrélation avec les devoirs, à partir de la solidarité avec ceux qui sont les plus blessés et les plus souffrants. Le Pape Benoît XVI a beaucoup insisté sur l’importance de « susciter une nouvelle réflexion sur le fait queles droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires. Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une grave contradiction. Tandis que, d’un côté, sont revendiqués de soi-disant droits, de nature arbitraire et voluptuaire, avec la prétention de les voir reconnus et promus par les structures publiques, d’un autre côté, des droits élémentaires et fondamentaux d’une grande partie de l’humanité sont ignorés et violés », parmi lesquels le Pape émérite mentionne « le manque de nourriture, d’eau potable, d’instruction primaire ou de soins sanitaires élémentaires » (Enc. Caritas in veritate, n. 43).
12. Un autre front sur lequel il faut réfléchir est celui des nouvelles technologies définies aujourd’hui comme «émergentes et convergentes». Ces dernières comprennent les technologies de l’information et de la communication, les biotechnologies, les nanotechnologies et la robotique. En se servant des résultats obtenus par la physique, la génétique et les neurosciences, comme également de la capacité de calcul des machines toujours plus puissantes, il est aujourd’hui possible d’intervenir très profondément dans la matière vivante.Le corps humain est également susceptible de telles interventions qui peuvent modifier non seulement ses fonctions et ses performances, mais également ses modes de relation, aussi bien sur le plan personnel que social, en l’exposant de plus en plus aux logiques du marché.Il faut donc d’abord comprendre les transformations historiques, qui s’annoncent sur ces nouvelles frontières, afin de déterminer comment les orienter au service de la personne humaine, en respectant et en promouvant sa dignité intrinsèque. Il s’agit d’une tâche très exigeante, étant données la complexité et l’incertitude concernant les possibles développements, ce qui requiert un discernement encore bien plus attentif par rapport à celui qui est habituellement souhaitable. Un discernement que nous pouvons définir comme « le travail sincère de la conscience, dans son propre engagement de connaître le bien possible sur la base duquel se décider de façon responsable dans l’exercice correcte de la raison pratique » (SYNODE DES ÉVÊQUES SUR LES JEUNES, Document final, 27 Octobre 2018, n. 109). Un parcours de recherche et d’évaluation qui a donc lieu à travers les dynamiques de la conscience morale et qui, pour le croyant, se déroule à l’intérieur et à la lumière de la relation avec le Seigneur Jésus, en assumant son intentionnalité dans l’action ainsi que dans ses critères de choix (cf. Ph 2, 5).
13. La médecine et l’économie, la technologie et la politique, qui sont élaborées au centre même de la ville moderne de l’homme, doivent également et surtout rester exposées au jugement qui est prononcé par les périphéries de la terre.De fait, les nombreuses et extraordinaires ressources, mises à la disposition de la créature humaine par la recherche scientifique et technologique, risquent d’obscurcir la joie du partage fraternel, ainsi que la beauté des entreprises communes, alors que c’est grâce à leur service qu’elles obtiennent, en réalité, leur authentique signification.
Nous devons reconnaître que la fraternité reste la promesse manquée de la modernité.
Le souffle universel de la fraternité qui grandit dans la confiance réciproque – à l’intérieur de la citoyenneté moderne, comme entre les peuples et les nations – apparaît fortement affaibli.La force de la fraternité, que l’adoration de Dieu en esprit et en vérité engendre parmi les êtres humains, est la nouvelle frontière du christianisme. Chaque détail de la vie du corps et de l’âme, dans lequel étincellent l’amour et le rachat de la nouvelle créature qui se forme en nous, surprend comme le véritable miracle d’une résurrection qui est déjà en œuvre (cf. Col 3,1-2). Que le Seigneur nous donne de multiplier ces miracles ! Que le témoignage de Saint François d’Assise, avec sa capacité de se reconnaître comme frère de toutes les créatures terrestres et célestes, puisse nous inspirer dans son actualité perpétuelle.
Que Seigneur vous accorde d’être prêts pour cette nouvelle phase de la mission, avec vos lampes chargées de l’huile de l’Esprit pour éclairer le chemin et guider vos pas. Comme ils sont beaux les pieds de ceux qui portent l’heureuse annonce de l’amour de Dieu pour la vie de chacun et de tous ceux qui habitent la terre (cf. Is52,7 ; Rm 10,15).
Vatican, 6 Janvier 2019
FRANÇOIS
[Texte original: Italien]
© Librairie éditrice du Vatican
Mgr Paglia, Académie pour la vie © Vatican Media
Les 25 ans de l'Académie pour la vie: Lettre du pape François (texte complet)
« Relancer avec force l’humanisme de la vie »