« Aujourd’hui, nous, serviteurs du Seigneur – évêques, prêtres, consacrés, laïcs convaincus – nous devons être proches du peuple de Dieu », a assuré le pape François aux évêques polonais
Lors de la rencontre avec les évêques polonais dans la cathédrale des Saints Stanislas et Venceslas de Cracovie le 27 juillet 2016, au cours de son voyage apostolique dans le pays, le pape a parlé de « la proximité » avec le peuple, qui est une réponse aux défis du monde déchristianisé.
« Sans proximité, il n’y a que la parole sans la chair », a affirmé le pape. « Quels sont les deux piliers de l’Évangile ? Les Béatitudes et puis Matthieu 25, le ‘protocole’ selon lequel nous serons tous jugés. Être concret. Proximité. Toucher. »
« En parlant de proximité aux évêques, a-t-il ajouté, je crois que je dois parler de la proximité la plus importante, celle à l’égard des prêtres ». « Que le prêtre sente qu’il a un père, a dit le pape. Si nous enlevons aux prêtres la paternité, nous ne pouvons pas leur demander d’être des pères. Et ainsi, le sens de la paternité de Dieu s’éloigne. »
Dialogue du pape François avec les évêques polonais (1)
Mgr Marek Jędraszewski (archevêque de Lodz)
Saint Père, il semble que les fidèles de l’Église catholique et, en général, tous les chrétiens en Europe de l’ouest se trouvent de plus en plus en minorité dans le cadre d’une culture contemporaine athée-libérale. En Pologne, nous assistons à une opposition profonde, à une lutte immense entre la foi en Dieu d’un côté et de l’autre une pensée et des styles de vie comme si Dieu n’existait pas. D’après vous, Saint Père, quel type d’actions pastorales l’Église catholique dans notre pays devrait-elle entreprendre afin que le peuple polonais reste fidèle à sa tradition chrétienne désormais plus que millénaire ? Merci.
Pape François
Excellence, vous êtes évêque de… ?
Mgr Marek Jędraszewski:
De Lodz, où a commencé le chemin de sainte Faustine ; parce que c’est là précisément qu’elle a entendu la voix du Christ pour aller à Varsovie et entrer au monastère, précisément à Lodz. L’histoire de sa vie a commencé dans ma ville.
Papa Francesco:
Vous êtes un privilégié !
C’est vrai, la déchristianisation, la sécularisation du monde moderne est forte. Elle est très forte. Mais certains disent : Oui, elle est forte mais on voit des phénomènes de religiosité, comme si le sens religieux se réveillait. Et cela aussi peut-être un danger. Je crois que nous, dans ce monde si sécularisé, nous avons aussi l’autre danger, de la spiritualisation gnostique : cette sécularisation nous donne la possibilité de faire grandir une vie spirituelle un peu gnostique. Souvenons-nous que cela a été la première hérésie de l’Église : l’apôtre Jean tape sur les gnostiques – et comment, avec quelle force ! –, où il y a une spiritualité subjective, sans le Christ. Le problème plus grave, pour moi, que cette sécularisation est la déchristianisation : enlever le Christ, enlever le Fils. Je prie, je sens… et rien de plus. C’est le gnosticisme. Il existe une autre hérésie qui est aussi à la mode, en ce moment, mais je la laisse de côté parce que votre question, Excellence, va dans cette direction. Il existe aussi un pélagianimse, mais cela, laissons-le de côté, pour en parler à un autre moment. Trouver Dieu sans le Christ : un Dieu sans le Christ, un peuple sans Église. Pourquoi ? Parce que l’Église est la Mère, celle qui te donne la vie, et le Christ est le Frère ainé, le Fils du Père, qui se réfère au Père, celui qui te révèle le nom du Père. Une Église orpheline : le gnosticisme d’aujourd’hui, parce qu’il est justement une déchristianisation, sans le Christ, nous conduit à une Église, ou mieux, à des chrétiens, à un peuple orphelin. Et nous devons faire sentir cela à notre peuple.
Qu’est-ce que je conseillerais ? Il me vient à l’esprit – mais je crois que c’est la pratique de l’Évangile, où se trouve justement l’enseignement du Seigneur – la proximité. Aujourd’hui, nous, serviteurs du Seigneur – évêques, prêtres, consacrés, laïcs convaincus – nous devons être proches du peuple de Dieu. Sans proximité, il n’y a que la parole sans la chair. Pensons – j’aime bien penser à cela – aux deux piliers de l’Évangile. Quels sont les deux piliers de l’Évangile ? Les Béatitudes et puis Matthieu 25, le « protocole » selon lequel nous serons tous jugés. Être concret. Proximité. Toucher. Les œuvres de miséricorde, corporelles et spirituelles. « Mais vous dites cela parce que c’est la mode de parler de miséricorde cette année… » Non, c’est l’Évangile ! L’Évangile, les œuvres de miséricorde. Il y a ce Samaritain hérétique ou mécréant qui est ému et qui fait ce qu’il doit faire, et il risque même son argent ! Toucher. Il y a Jésus qui était toujours parmi les gens ou avec son Père. Ou en prière, seul avec le Père, ou parmi les gens, là, avec ses disciples. Proximité. Toucher. C’est la vie de Jésus… Quand il a été ému, aux portes de la ville de Naïn (cf. Lc 7, 11-17), il a été ému, il est allé toucher le cercueil en disant : « Ne pleure pas… ». La proximité. Et la proximité consiste à toucher la chair souffrante du Christ. Et l’Église, la gloire de l’Égllise, ce sont les martyrs, certainement, mais ce sont tous ces hommes et femmes qui ont tout laissé et ont passé leur vie dans les hôpitaux, dans les écoles, avec les enfants, avec les malades… Je me souviens, en Centrafrique, une petite sœurs, elle avait 83-84 ans, maigre, bonne, comme une petite fille… Elle est venue me saluer : « Je ne suis pas d’ici, je suis de l’autre partie du fleuve, du Congo, mais chaque fois, une fois par semaine, je viens faire les courses ici parce que c’est plus pratique ». Elle m’a dit son âge : 83-84 ans. « – Cela fait 23 ans que je suis ici : je suis infirmière obstétricienne, j’ai fait naître deux à trois mille enfants… – Ah et vous venez seule ici ? – Oui, oui, nous prenons le canoé… » À 83 ans ! Elle faisait une petite heure en canoë et elle arrivait. Cette femme et beaucoup comme elle ont quitté leur pays – elle est italienne, de Brescia – ont quitté leur pays pour toucher la chair du Christ. Si nous allons dans ces pays de mission, en Amazonie, en Amérique latine, dans les cimetières nous trouvons les tombes de tous les hommes et les femmes religieux morts jeunes parce qu’ils n’avaient pas les anticorps contre les maladies de cette terre, et ils mouraient jeunes.
Les œuvres de miséricorde : toucher, enseigner, consoler, « perdre son temps ». Perdre son temps. J’ai beaucoup aimé, une fois, un monsieur qui est allé se confesser et il était dans une situation telle qu’il ne pouvait pas recevoir l’absolution. Il y est allé avec un peu de peur parce qu’il avait été renvoyé plusieurs fois : « Non, non, va-t-en ! » Le prêtre l’a écouté, lui a expliqué la situation et lui a dit : « Mais toi, prie. Dieu t’aime. Je te donnerai la bénédiction, mais reviens, tu me le promets ? » Et ce prêtre « perdait son temps » pour attirer cet homme aux sacrements. Cela s’appelle la proximité. Et en parlant de proximité aux évêques, je crois que je dois parler de la proximité la plus importante, celle à l’égard des prêtres. L’évêque doit être disponible pour ses prêtres. Quand j’étais en Argentine, j’ai entendu de prêtres – très, très souvent, quand j’allais donner les Exercices, j’aimais donner les Exercices – je disais : « Parles-en avec ton évêque. – Mais non, je l’ai appelé, la secrétaire me dit : Non, il est très, très occupé mais il te recevra dans trois mois ». Mais ce prêtre se sent orphelin, sans père, sans la proximité, et il commence à perdre le moral. Un évêque qui voit, sur la liste des appels, le soir à son retour, l’appel d’un prêtre, doit le rappeler aussitôt le soir même ou le lendemain. « Oui, je suis occupé, mais c’est urgent ? – Non, non, mais mettons-nous d’accord… » Que le prêtre sente qu’il a un père. Si nous enlevons aux prêtres la paternité, nous ne pouvons pas leur demander d’être des pères. Et ainsi, le sens de la paternité de Dieu s’éloigne. L’œuvre du Fils est de toucher les misères humaines, spirituelles et corporelles. La proximité. L’œuvre du Père : être père, évêque-père.
Ensuite, les jeunes. Parce qu’il faut parler des jeunes ces jours-ci. Les jeunes sont « ennuyeux » ! Parce qu’on entend toujours les mêmes choses, ou alors « moi, je pense comme ceci » ou encore « l’Église devrait… » et il faut de la patience avec les jeunes. J’ai connu, dans ma jeunesse, quelques prêtres : c’était une époque où l’on fréquentait davantage le confessionnal que maintenant, ils passaient des heures à écouter ou ils les recevaient dans le bureau paroissial à écouter les mêmes choses… mais avec patience. Et puis, emmener les jeunes à la campagne, à la montagne… Mais pensez à saint Jean-Paul II, que faisait-il avec les étudiants ? Oui, il faisait l’école, mais ensuite il allait à la montagne avec eux ! La proximité. Il les écoutait. Il était avec les jeunes…
Et une dernière chose que je voudrais souligner, parce que je crois que le Seigneur me le demande : les grands-parents. Vous, qui avez souffert du communisme, de l’athéisme, vous le savez : ce sont les grands-pères, ce sont les grands-mères qui ont sauvé et transmis la foi. Les grands-parents ont la mémoire d’un peuple, ils ont la mémoire de la foi, la mémoire de l’Église. Ne rejetez pas les grands-parents ! Dans cette culture du déchet, qui est justement déchristianisée, on rejette ce qui ne sert pas, ce qui ne va pas. Non ! Les grands-parents sont la mémoire d’un peuple, ils sont la mémoire de la foi. Et mettre en lien les jeunes avec les grands-parents : cela aussi est de la proximité. Être proches et créer de la proximité. Je répondrais ainsi à cette question. Il n’y a pas de recettes, mais nous devons descendre sur le terrain. Si nous attendons un appel ou qu’on frappe à la porte… Non ! Nous devons sortir pour chercher, comme le pasteur qui va chercher les égarés. Je ne sais pas. C’est ce qui me vient. Simplement.
Traduction de Zenit, Constance Roques
Rencontre avec les évêques de Pologne, cathédrale de Cracovie © L'Osservatore Romano
"Nous devons être proches du peuple de Dieu"
Dialogue avec les évêques polonais (1)