« La compassion fait des miracles », explique Mgr Follo et c’est même la promesse de la résurrection: « La mort est un sommeil dont la compassion du Christ nous réveille ».
Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose ce commentaire théologique et spirituel des lectures de la messe de ce dimanche 5 juin 2016 (10ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C). Et il propose comme lecture patristique un sermon de saint Augustin.
Lectures de la messe de ce dimanche : 1er Livre des Rois 17, 17-24; psaume 29; épître de saint Paul aux Galates 1, 11-19; évangile de Luc 7, 11-17
La compassion fait des miracles
1°) La mort est un sommeil dont la compassion du Christ nous réveille.
« Notre ami Lazare s’est endormi, mais je vais le réveiller. » (Jn 11, 11) – ainsi Jésus parle-t-il à ses disciples, en exprimant avec la métaphore du sommeil le point de vue de Dieu sur la mort physique.
Dieu la voit justement comme un sommeil dont on peut se réveiller. Le Fils de Dieu a démontré un pouvoir absolu à l’égard de la mort.
Cela se voit dans l’Évangile de Marc (5, 35-43) qui raconte la résurrection d’une jeune fille de 12 ans. Le Messie dit d’elle : « Elle n’est pas morte mais elle dort » (Mc 5, 39) et ceux qui étaient présents se moquèrent de lui pour cette phrase humainement absurde. Avec la troisième résurrection, celle du fils de la veuve de Naim, proposée par l’Évangile d’aujourd’hui (Lc 7, 11-17), le Christ nous enseigne non seulement que la mort du corps est un sommeil mais aussi que Dieu peut nous réveiller de ce sommeil à n’importe quel moment, ce qui est humainement impensable.
Dans chacun de ces trois « cas », on voit que la Seigneurie de Jésus sur la mort ne lui interdit pas d’éprouver une compassion sincère pour la douleur du détachement physique. « Le cœur du Rédempteur est divin et humain : en Lui Dieu et l’Homme se sont parfaitement rencontrés, sans séparation et sans confusion. » (Benoît XVI) Il est l’incarnation du Dieu qui est amour, la miséricorde du Dieu qui est Vie. « Mais la miséricorde de Jésus n’est pas seulement un sentiment, c’est une force qui donne la vie, qui ressuscite l’homme ! L’Évangile d’aujourd’hui nous le dit aussi, à travers l’épisode de la veuve de Naim. » (Pape François) Pour cela le Pape François enseigne que « la compassion est l’amour de Dieu pour l’homme, sa miséricorde, c’est à dire l’attitude de Dieu devant notre misère humaine, notre indigence, notre souffrance, notre angoisse. Le terme biblique de compassion rappelle les entrailles maternelles : la mère en effet éprouve une réaction bien à elle face à la douleur de ses enfants. » Et le fruit de cette compassion miséricordieuse est la Vie. Pour cela Jésus dit à la mère qui est veuve : « Ne pleure pas ! » et puis il appela le jeune homme mort et le réveilla comme d’un sommeil. (Cf. Lc 7, 13-15)
Ce qui me frappe le plus dans l’Évangile de ce dimanche, ce n’est pas tant le miracle de la résurrection d’un mort que le geste de profonde humanité que Jésus accomplit en se rapprochant avec une vraie et sincère compassion de cette veuve qui pleure son fils mort. Jésus est extraordinaire dans cette compassion (com – pâtir c’est à dire souffrir avec, éprouver la même douleur) qui le pousse à faire ce qui est en son pouvoir.
Nous n’avons pas ce pouvoir de ressusciter les morts, seulement Dieu peut le faire, mais nous pouvons avoir la même capacité de Jésus de compatir et de ne pas rester aveugle devant la pauvreté et la souffrance que nous rencontrons sur notre route. Il suffit d’accomplir avec compassion les œuvres de miséricorde à travers de petits gestes ordinaires. Par ces œuvres, nous pouvons rendre « miraculeuse » notre humanité, en la rendant «icône » (image) du Christ, vrai Dieu et vrai homme.
Si nous n’agissons pas à l’image du Christ, nous ne saurons jamais aimer. Jésus, le Seigneur de la vie, n’est pas seulement à admirer mais aussi à imiter.
Si nous pensions comme certains que conserver un cœur pur, digne de Dieu, signifie ne pas le mêler, ne pas le contaminer avec des affections humaines, alors la conséquence logique serait de se rendre insensible à la douleur des autres. Nous serions alors seulement capables d’une charité officielle, aride, sans âme mais non de la vraie charité du Christ, qui est affection et chaleur humaine.
2°) Des paroles qui surprennent.
Jésus surprenait quand il allait manger avec les pécheurs, quand il s’entretenait avec les enfants, quand il parlait avec les femmes et avec ceux qui étaient considérés comme loin de Dieu. Jésus surprend encore dans ce « com-pâtir » avec cette pauvre veuve qui a aussi perdu son fils. Il étonne aussi et surtout parce qu’il ose dire à cette femme : « Ne pleure pas. » Les pleurs de cette femme étaient provoqués par la douleur de la perte de son fils et à ce moment-là, pour elle, la douleur s’opposait à l’espérance. Pourtant le Christ, avant de ressusciter son fils, lui dit : « Ne pleure pas. » De mémoire d’homme, dans l’histoire de l’humanité, jamais personne n’a manifesté son émotion, sa tendresse compatissante en s’adressant à une personne seule parce que veuve et abandonnée par la mort de son fils unique en lui disant cette parole de consolation : « Femme, ne pleure pas. » Paroles qui non seulement sèchent les larmes mais qui les arrêtent aussi parce que prononcées par Celui qui est la Vie et qui donne la vie.
Trois paroles prononcées par Celui seul qui pouvait les prononcer en vérité. Par Celui seul qui pouvait vraiment rendre l’espérance à la douleur apparemment sans espérance, à la douleur de celui qui n’attend plus rien de bon de la vie. En outre, il ne faut pas oublier que la compassion du Christ est gratuite, non seulement parce que la mère veuve ne lui a rien demandé, mais aussi elle ne lui a rien demandé parce qu’aucune personne humaine ne peut mériter un tel miracle.
Grâce à cette intervention gratuite du Messie, le cortège funèbre se jette ainsi dans le cortège joyeux qui accompagne le Christ : les deux cortèges se fondent en une seule procession, en un fleuve d’eau de vie. L’affluent qui était destiné à mourir dans un marécage, conflue en un fleuve d’eau vive qui conduit à l’embouchure de la Vie.
Pour donner la vie, le Christ vainc la mort afin que tous ceux qui s’aiment restent proches et s’aiment dans son amour compatissant.
Il est la Vie revêtue de Miséricorde.
Il est la Vie qui se donne à nous sans réserve pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance.
Il est la Vie qu’aucune tombe ne peut retenir en elle. Il est la Vie qui annonce la Vérité qui libère, même de la mort. Il est la Vie qui ouvre devant nous des horizons infinis.
Il nous répète aujourd’hui ce qu’il a dit au jeune homme mort : « Lève-toi. »
« Lève-toi », la parole qui aujourd’hui arrive à notre cœur est celle-la même que Dieu a utilisée pour la création de l’homme et que Dieu a souvent répété par la suite dans la Bible non seulement pour soigner mais surtout pour appeler à Lui, pour que nous puissions vivre en communion avec Lui, parce que la vie qu’il donne est vocation de communion avec Lui et avec Ses frères et sœurs en humanité.
Aux vierges consacrées dans le monde, Jésus virginal dit : « Lève-toi ma bien-aimé, ma belle, et viens vite ! O ma colombe, au creux d’un rocher, au plus caché d’une falaise, fais-moi voir ton visage, fais-moi entendre ta voix ; car ta voix est douce et ton visage charmant. » Et la Vierge consacrée peut répondre toujours avec le Cantique des Cantiques : « Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui ; pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort : ses traits sont des traits de feu, une flamme divine ! Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour ne recueillerait que mépris. » (Ct 2, 8-18.14.16a ; 8, 6-7a)
Au Christ époux qui les appelle en les invitant à se lever, les vierges consacrées se lèvent dans la foi, se pressent dans l’offrande, ouvrent leur cœur dans une adhésion complète et un abandon total.
L’amoureuse initiative du Christ réclame une réponse libre des personnes appelées. Une réponse positive qui présuppose toujours un consentement et une adhésion au projet que Dieu a pour chacune d’elles (mais cela vaut aussi pour chacun de nous). La réponse des vierges consacrées dans le monde témoigne que l’initiative d’amour du Seigneur doit être accueillie dans une attitude nuptiale et exclusive et c’est aussi un hommage reconnaissant à Dieu et une totale collaboration au plan de salut qu’Il poursuit dans l’histoire. (cf CEC n.2062.)
Lecture patristique
Saint Augustin d’Hippone (354 – 430)
Sermon 98, 1-3 (PL 38, 591-592)
Les miracles de notre Seigneur et Sauveur, Jésus Christ, font certainement impression sur tous les croyants qui les entendent raconter. Mais cette impression n’est pas la même pour tous. Les uns s’extasient devant ses miracles matériels, mais n’ont pas l’intelligence d’autres miracles plus grands encore. Les autres s’émerveillent bien davantage de voir s’accomplir aujourd’hui dans les âmes les miracles que le Christ a opérés dans les corps.
Que personne donc, s’il est chrétien, ne doute qu’aujourd’hui encore des morts ressuscitent. Tout homme, il est vrai, a des yeux qui lui permettent de voir un mort ressusciter, comme le fils de la veuve, dont parle l’évangile qui vient d’être lu. Quant à voir ressusciter des hommes morts spirituellement, tous n’en sont pas capables. Seuls le peuvent ceux qui sont déjà eux-mêmes ressuscites spirituellement. Ressusciter quelqu’un pour la vie éternelle est un miracle plus grand que de ressusciter quelqu’un qui est destiné à mourir une seconde fois.
La veuve, mère de ce jeune homme, s’est réjouie de sa résurrection. L’Église, notre mère, se réjouit de voir chaque jour des hommes ressusciter spirituellement. Lui, il était mort de la mort du corps; eux, de la mort de l’âme. Sa mort visible avait donné lieu à des lamentations publiques, puisque leur mort invisible n’a attiré ni l’attention ni les regards des hommes. Le seul à se soucier d’eux était celui qui les savait morts, et le seul qui les savait morts était celui qui pouvait leur rendre la vie.
Oui, vraiment, si le Seigneur n’était pas venu ressusciter les morts, l’Apôtre n’aurait pas pu dire: Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera (Ep 5,14).
Quand tu l’entends dire: Réveille-toi, ô toi qui dors, tu penses que quelqu’un est en train de dormir. Mais les mots suivants: Relève-toi d’entre les morts te font comprendre qu’il s’agit bien d’un mort. Des morts visibles aussi, on dit souvent qu’ils dorment. De toute évidence, ils dorment tous pour celui qui a le pouvoir de les réveiller.
Pour toi, un mort est réellement mort: tu as beau le secouer à ton gré, le pincer, mettre son corps en pièces, il ne se réveillera pas. Mais pour le Christ qui a dit au jeune homme: Lève-toi (Lc 7,17), celui-ci était en train de dormir, et il s’est levé aussitôt. Il est plus facile au Christ de faire lever un mort de sa tombe qu’à quiconque de réveiller un homme dans son lit.
En vérité, notre Seigneur Jésus Christ voulait que ses actions visibles soient également comprises dans leur sens spirituel. Or il n’opérait pas de miracles pour faire des miracles seulement, mais pour que ses oeuvres soient un sujet d’admiration pour ceux qui les voyaient, et une source de vérité pour ceux qui les comprenaient. Prenons un exemple. Celui qui voit dans un livre des lettres d’une belle écriture, mais ne sait pas lire, peut bien admirer la beauté des caractères et louer la dextérité du copiste: il ne sait pas ce que ces lettres signifient ni ce qu’elles représentent. Ainsi, il loue ce que voient ses yeux, mais son esprit ne saisit rien. Un autre, en revanche, loue l’habileté du scribe et comprend le sens des mots. Il voit, bien sûr, le texte que tous peuvent voir, mais en outre il peut le lire: ce qui est impossible au premier, qui ne l’a pas appris.
De même, parmi ceux qui ont vu les miracles du Christ, les uns n’ont pas compris ce qu’ils signifiaient, ni ce qu’ils enseignaient, d’une certaine manière, à ceux qui en avaient l’intelligence; ils n’ont fait qu’admirer de simples faits matériels. Les autres sont tombés en admiration devant ces prodiges et ont compris en outre ce qu’ils signifiaient. A l’école du Christ, nous devons leur ressembler.
Icône du Christ ressuscité, messe de Pâques, place St-Pierre, capture
La compassion fait des miracles, par Mgr Follo
« La mort est un sommeil dont la compassion du Christ nous réveille »