C’est exceptionnel : le pape Benoît XVI a cité abondamment la réflexion du grand rabbin de France Gilles Bernheim sur la famille (« Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : ce que l’on oublie souvent de dire »), hier, 21 décembre 2012, dans son discours annuel devant la curie romaine, où il dresse un bilan de son activité à l’occasion des vœux de Noël (cf. Zenit du 21 décembre 2012).
Pour le directeur de L’Osservatore Romano cette citation révèle même ce qui constitue un « trait spécifique de Benoît XVI »: son « amitié à l’égard d’une tradition religieuse sans laquelle le christianisme ne serait pas compréhensible ».
Chaque année, ce discours est très attendu par la presse, de même que son discours du mois de janvier, devant le Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, à l’occasion des vœux de bonne année, qui constitue un « tour du monde » sous le regard de l’Evangile et de l’actualité. Ce second discours peut se faire l’écho du premier.
Certains de ces discours devant la curie romaine sont particulièrement mémorables, comme son tout premier discours, du jeudi 22 décembre 2005, sur l’interprétation de Vatican II, très souvent cité à l’occasion de l’Année de la foi et du 50e anniversaire de l’ouverture du Concile. En ce sens, ce premier discours à la curie en tant que pape était programmatique.
Une citation événement
On pourrait dire en quelque sorte que cette citation de l’essai du grand rabbin de France constitue un tournant dans les relations avec le judaïsme et la réflexion sur les grands choix de société: mariage, adoption…
La réflexion de Gilles Bernheim avait été citée au Vatican une première fois par le porte-parole du Saint-Siège, le P. Federico Lombardi, jésuite, dans son éditorial pour le Centre de télévision du Vatican, dont nous avons publié l’essentiel le 10 novembre dernier (cf. Zenit du 10 novembre 2012).
A propos du projet de loi français sur le « mariage pour tous », le grand rabbin écrit en effet: « L’enjeu n’est pas ici l’homosexualité qui est un fait, une réalité, quelle que soit mon appréciation de Rabbin à ce sujet, mais le risque irréversible d’un brouillage des généalogies, des statuts (l’enfant-sujet devenant enfant-objet) et des identités ».
Le grand rabbin de France Gilles Bernheim, a ainsi rédigé une plaquette intitulée « Communication du Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, « Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption : Ce que l’on oublie de dire » ».
Il s’agit d’une réflexion de 25 pages que le grand rabbin a adressée au président français, François Hollande, et au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 23 octobre dernier, pour expliquer pourquoi à ses yeux ce projet de loi n’est pas bon pour la société française.
Cet « essai » est disponible sur le site en ligne du Grand rabbin. Il a également été adressé aux ministres, aux parlementaires et aux instances concernées.
Les « grands choix » en question
Il y dit notamment ceci : « Je m’exprime en qualité de Rabbin, et plus particulièrement de Grand Rabbin de France. Je ne suis pas le porte-parole d’un groupe d’individus, mais le référent et le porte-parole du judaïsme français dans sa dimension religieuse. Comme tous les autres Rabbins, je suis un lecteur, un enseignant et un commentateur des textes de la sagesse juive qui sont empreints d’une grande tradition de dialogue, de dialectique, d’herméneutique, bref de pluralisme. J’ai toujours regardé comme un devoir l’engagement intellectuel dans les grands choix de l’histoire et en premier lieu dans les grands choix de mon pays ».
Il ajoute : « A ce titre, le projet d’autoriser le mariage homosexuel, de même que le projet de donner une réalité juridique à des faits d’homoparentalité et d’adoption, me concernent. C’est pourquoi je récuse la posture de repli d’une minorité de responsables religieux, consistant à se mettre hors-jeu et à s’exclure du débat, au motif qu’il existe la possibilité d’un mariage religieux en aval du mariage civil. Le hors-jeu est une faute quand il pratique l’autopromotion ».
Le rabbin cite sa référence: « Ma vision du monde est guidée par la Bible et par les commentaires rabbiniques – ce qui ne surprendra personne. Concernant les sujets-clés de la sexualité et de la filiation, elle est fondée sur la complémentarité de l’homme et de la femme ».
« Dans cet essai, explique-t-il, je me suis référé exclusivement au livre de la Genèse et j’ai donc choisi ne pas mentionner les interdits homosexuels inscrits dans le Lévitique car j’ai considéré que l’enjeu n’est pas ici l’homosexualité qui est un fait, une réalité, quelle que soit mon appréciation de Rabbin à ce sujet, mais le risque irréversible d’un brouillage des généalogies, des statuts (l’enfant-sujet devenant enfant-objet) et des identités – brouillage préjudiciable à l’ensemble de la société et perdant de vue l’intérêt général au profit de celui d’une infime minorité ».
Un trait spécifique
Cette convergence n’a pas échappé non plus au directeur de L’Osservatore Romano, Giovanni Maria Vian qui faisait observer il y a quelques jours : « l’Eglise n’est pas seule ».
Il précise, dans L’Osservatore en français du 22 décembre 2012 : « La réflexion de Benoît XVI prend ainsi appui sur la famille, « forte et vivante » malgré la crise qui, surtout en occident, « la menace jusque dans ses fondements ». Un risque grave parce qu’il nie la capacité de liens de l’être humain et veut effacer, à travers la théorisation du gender, « les figures fondamentales de l’existence humaine: le père, la mère, l’enfant ». En somme, une transformation radicale, que le Pape conteste avec une claire mais ferme douceur en rappelant une réflexion importante de Gilles Bernheim, le grand rabbin de France ».
Et il analyse les enjeux (nous soulignons en italiques): « Même dans le recours aux plus hautes autorités du judaïsme français l’on reconnaît un trait spécifique de Benoît XVI: l’intérêt et la volonté d’amitié à l’égard d’une tradition religieuse sans laquelle le christianisme ne serait pas compréhensible. Et des racines communes des Ecritures découle l’insistance du Pape sur la nature réelle de l’être humain, aujourd’hui manipulée au bénéfice d’un « homme abstrait », une conception qui finit par dissoudre la famille et faire de l’enfant « un objet, auquel on a droit ». Avec une synthèse lapidaire: « Celui qui défend Dieu, défend l’homme ». »
Giovanni Maria Vian conclut par cette autre citation du discours du pape : « Le dialogue des religions est une condition nécessaire pour la paix dans le monde ». Il commente en rappelant la référence de Benoît XVI à la recherche de la vérité : « Dans la conscience qu’il s’agit d’un chemin commun vers l’unique vérité ».
L’Espagne et les Etats-Unis
Pour sa pa
rt, le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a consacré à ce sujet son éditorial hebdomadaire pour le Centre de télévision du Vatican du 10 novembre dernier. Là aussi il s’agissait d’une première.
Il cite trois exemples, à son avis « préoccupants », en France, en Espagne et aux Etats-Unis. En France, le gouvernement a adopté, mercredi 7 novembre, un projet de loi favorable au « mariage » entre personnes du même sexe. En Espagne, la Cour Constitutionnelle a rejeté un recours contestant la législation existante qui parle de « conjoint A et B », excluant toute référence à la différence sexuée entre une femme et un homme. Et aux Etats-Unis, dans plusieurs Etats des référendums se sont tenus cette semaine sur la question, avec un résultat en faveur du « mariage homosexuel ».
Il soulignait lui aussi que ces interrogations sont partagées notamment par le grand rabbin Bernheim, qui « l’a relevé dans un raisonnement de bon sens : il ne s’agit pas, en fait, d’éviter une discrimination injuste pour les homosexuels, car cela doit et peut être garanti par d’autres moyens ».
Voici son diagnostic : « La question est d’admettre qu’un mari et une épouse soient reconnus publiquement comme tels, et que les enfants qui viennent au monde puissent savoir, et dire qu’ils ont un père et une mère », afin de préserver une vision de la personne et des relations humaines où « il y a une reconnaissance publique que le mariage monogame entre un homme et une femme est une conquête de la civilisation ».
« Sinon, pourquoi ne pas également envisager une polygamie librement choisie, et bien sûr, pour ne pas discriminer, une polyandrie ? », interrogeait le P. Lombardi.