Après avoir étudié la nature des divisions des chrétiens et les enjeux de la réintégration des Églises ou communautés ecclésiales séparées dans l’Église catholique, le décret conciliaire présente quelques principes pastoraux, à appliquer au dialogue œcuménique.
Chapitre Il : Exercice de l’œcuménisme
Le paragraphe 5 affirme que le dialogue œcuménique doit s’exercer dans la vie quotidienne et dans les recherches théologiques et historiques. On voit d’emblée qu’il n’est pas question de mettre de côté les questions doctrinales qui fâchent comme le craignait Pie XI, en son temps, et à juste titre !
Le paragraphe 6 explique ce qu’il entend par rénovation de l’Église et qui n’a pas été assez compris. Il ne s’agit pas de changer quoique ce soit du dépôt de la foi. Il s’agit de reformuler là où on a pu manquer d’attention. Ceci constitue un signe de la vie de la Tradition. Le paragraphe 7 insiste sur la conversion du cœur pour avancer dans l’œcuménisme. Cela vaut pour ceux qui se trouvent dans l’erreur doctrinale comme pour ceux qui bénéficient de la vérité. L’orgueil spirituel les guette et ne peut que nuire à leur témoignage.
Le paragraphe 8 fait de la prière en commun « l’âme de tout l’œcuménisme », et ce trait nous montre bien toute la différence avec le dialogue interreligieux. Dans ce dernier cas, en effet, on ne peut que « prier en même temps », comme on le fait par exemple à Assise. Mais ce n’est pas une prière en commun, car on ne s’adresse pas au même Dieu. Les catholiques ne peuvent pratiquer cette prière qu’avec des frères chrétiens séparés ou avec des juifs. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob en effet est le Dieu de Jésus-Christ, sa Parole faite chair. Mais cela, même entre chrétiens, exclut la « communicatio in sacris », autrement dit l’intercommunion. Cela dit le texte ouvre la possibilité d’intercommunion « pour faire participer aux moyens de grâce », dans certaines circonstances. Mais dans ces cas, l’avis de l’évêque est toujours requis.
La manière d’exposer la doctrine
Le paragraphe 10 sur la formation œcuménique insiste sur les connaissances théologiques et surtout sur l’histoire pour œuvrer utilement. De gros efforts ont été faits en théologie, mais pas assez en histoire. Or la compréhension des situations historiques est capitale pour comprendre les affaires de schismes et même d’hérésies. Il semble néanmoins qu’une partie du catholicisme ne veuille pas s’y intéresser !
Le paragraphe 11 prête toujours à malentendu, parce qu’on s’obstine à le lire mal. Certes, il évoque à propos de la doctrine une « hiérarchie de vérités ». Mais uniquement comme moyen pédagogique pour expliquer le catholicisme aux chrétiens non-catholiques. Le titre de ce paragraphe l’indique : « La manière d’exprimer et d’exposer la doctrine de la foi ». Utiliser l’emploi de cette expression par le texte conciliaire pour l’accuser d’adhérer au principe d’une hiérarchie de vérités à l’intérieur du catholicisme relève de la mauvaise foi !
Chapitre III : Églises et communautés ecclésiales séparées du Siège apostolique romain
En indiquant qu’il va traiter séparément des schismes orientaux et de la Réforme protestante du 16e siècle, le paragraphe 13 illustre bien ce qui était demandé précédemment en connaissances historiques et théologiques. Nous avons affaire à des époques distantes de plusieurs siècles. Les causes de séparation diffèrent. Cela dit, en s’en tenant aux principaux motifs officiels de rupture de l’unité, les précisions du Concile sont parfaitement exactes. En creusant un peu, je ne suis pas du tout sûr que les interprétations divergentes des conciles d’Ephèse et de Chalcédoine ne regardent que les Orientaux.
Deux exemples mettent en évidence les réticences protestantes. L’incompréhension de la dévotion mariale vient d’un refus de tirer toutes les conséquences de l’appellation « Théothokos ». Et ce titre de Mère de Dieu a été donné à Marie par le concile d’Éphèse. La question de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, débattue entre protestants, pose elle-aussi problème dans la polémique anticatholique. Elle vient de divergences sur la doctrine christologique de Chalcédoine. Mais il faut dire que les protestants n’aiment pas entendre cela. Car tant pour Marie que pour l’Eucharistie, cela manifeste clairement que les traditions luthérienne et réformées sont radicalement séparées sur ces deux points.
Même chose quand notre Concile privilégie la Communion anglicane pour la proximité des traditions et des structures catholiques. Il ne mentionne pas le luthéranisme suédois qui a su organiser une Communion scandinave en lien avec la Communion anglicane. L’Église de Suède se distingue nettement des réformés, lesquels sont inclus sous le nom d’anglicans dans la Communion anglicane. Même ce que l’on appelle la « High Church » doit en tenir compte. Un simple exemple : la très brève célébration eucharistique lors du sacre récent de Charles III d’Angleterre. Cela aurait été impensable dans l’Église luthérienne de Suède, du moins il y a vingt ans !
I. Considérations particulières aux Églises orientales
Les considérations sur les Églises orientales s’étalent sur les paragraphes 14 à 18. Leur simple lecture montre que sans le recours à l’histoire, la séparation d’avec Rome est parfaitement incompréhensible. Il y a « communicatio in sacris » entre elles. Mais pour ce qui est des relations spirituelles avec les catholiques, cela est beaucoup plus problématique. Un catholique peut difficilement communier chez les orthodoxes, et ceux-ci ne viennent rien demander aux catholiques, sauf s’ils sont privés de prêtres orthodoxes. Notre liturgie latine leur paraît bien pauvre à l’égard de la leur, et d’ailleurs le Concile reconnait leur richesse liturgique. « Tout le monde doit savoir qu’il est très important de connaître, vénérer, conserver, développer, le si riche patrimoine liturgique et spirituel de l’Orient pour conserver fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne et pour réaliser la réconciliation des chrétiens orientaux et occidentaux. » (§ 15)
Les paragraphes suivants admettent la diversité dans la liturgie comme dans la formulation doctrinale, comme ne portant pas atteinte à l’unité. Je pense qu’au nom de ces réflexions, une même diversité liturgique pourrait être admise dans l’Occident latin à l’intérieur de l’Église catholique romaine. Et la formule rappelée par le paragraphe 18 à l’intention des orientaux pourrait s’appliquer aux autres « ne rien imposer qui ne soit nécessaire » (Actes 15, 28).
Il. Les Églises et communautés ecclésiales séparées en Occident
Le paragraphe 19 est d’une grande justesse en constatant la grande diversité des Églises et communautés ecclésiales séparées de l’Occident. Beaucoup de responsables de la communauté luthérienne de Paris, dans laquelle je me trouvais, étaient de mon avis. Et en 2024, je garde mon opinion de 1964, réaffirmée en 1968 au moment de mon ordination pastorale. Puis au cours de mon ministère luthérien, comme pasteur puis inspecteur ecclésiastique, ayant voulu recevoir l’imposition des mains de l’Archevêque d’Uppsala en 1996, je l’ai conservée.
La doctrine luthérienne des sacrements est opposée à la réformée, à cause d’une christologie différente. Il n’y a pas eu à proprement parler de scolastique luthérienne, contrairement au calvinisme. Ceci a permis aux luthériens seuls de s’accorder sur l’essentiel avec les catholiques : la question de la justification par la foi en 1999. D’où mon refus d’une union luthéro-reformée et d’un protestantisme uni et mon retour au catholicisme en 2001. Ce texte conciliaire de 1964 l’avait en quelque sorte programmé. Mais cette vision lucide des grandes divisions protestantes ne va pas empêcher le Concile de dégager des points positifs. Il faut lui en être reconnaissant. Tout comme d’avoir ouvert ce paragraphe 20 sur la foi au Christ, et comme en faisant partie, à une nouvelle question : celle du ministère de l’Église et du rôle de Marie dans l’œuvre du salut.
L’amour des Saintes Écritures
L’hommage rendu aux protestants pour leur « vénération – presque le culte » à l’Écriture Sainte (§ 21) est justifié. Aujourd’hui encore, je rends grâce à Dieu pour l’instruction biblique que m’ont donnée mes pasteurs et mes professeurs de théologie. D’autant plus que certains, en Faculté de théologie, ne s’en tenaient pas aux positions strictes du « Sola Scriptura ». Ils ont su nous poser le problème de la Tradition, ne serait-ce qu’en nous rendant attentifs à l’étude de Jean Calvin. Dans son œuvre maîtresse, l’Institution de la religion chrétienne, il relève des références très nombreuses aux Pères de l’Église. C’est lentement mais sûrement que j’ai été convaincu que le « Sola Scriptura » était intenable. Les réflexions les plus convaincantes sur ce point se trouvent dans l’irremplaçable livre de Louis Bouyer. Ancien pasteur luthérien devenu oratorien, il s’explique dans son ouvrage Du protestantisme à l’Église.
Vatican II met en tout cas le doigt sur ce qu’on pourrait appeler « le ventre mou » du protestantisme, le rôle médiateur de l’Église. Cette dimension entraîne en effet toute la doctrine des ministères. Et il indique la seule voie possible pour retrouver l’unité : l’étude des Écritures. Et l’avenir lui a donné raison. Dès la fin du Concile en 1965, des exégètes catholiques et luthériens se sont mis d’accord sur la méthode suivante. Le principal motif de désaccord entre catholiques et protestants était la justification par la foi. C’est pour cela qu’ils ont essayé, au préalable, d’avoir une compréhension commune de l’épître de saint Paul aux Romains. Et c’est au terme de ce travail réussi que l’on s’est mis à réfléchir à un accord sur la justification par la foi. J’ai « pris le train en marche » vers les années 1988, dans la commission de théologie luthérienne française. Les accords ont été signés à Augsbourg, le 31 octobre 1999.
La vie sacramentelle
Le paragraphe 22 rend bien compte de l’unité de foi en ce qui concerne le baptême. C’est totalement vrai avec la doctrine luthérienne traditionnelle, mais il faudrait nuancer pour les autres. Les évolutions qui se sont produites depuis la fin du Concile, en dehors des Communions anglicanes et luthériennes, le confirment. Sur les autres sacrements nous en sommes au même point qu’en 1964. Cela dit, même si le Concile concède une « intention eucharistique » dans la célébration de la Sainte Cène protestante, il ne peut accepter le principe d’une présence réelle, même si c’est la foi des luthériens ! Et ce, tout simplement parce que le sacrement de l’Ordre n’a pas été conservé par défaut de succession apostolique, la Suède seule posant problème sur le plan canonique. La transmission historique ne suffit pas, mais elle est nécessaire. Le protestantisme doit savoir que le chemin de l’unité passe par la redécouverte de la structure épiscopale.
Le paragraphe 23, la vie dans le Christ, montre que le Concile a fait loyalement l’effort d’étudier la vie chrétienne dans les différentes communautés protestantes. Il se montre très sensible à la beauté de leur culte. Luther tint toujours la liturgie en haute estime ainsi que la qualité de la musique, étant musicien lui-même et compositeur (Bach s’en inspira). Il comprit aussi l’importance théologique des paroles des cantiques. Calvin s’y convertit sous l’influence de Bucer à Strasbourg. De tout cela, le protestantisme a hérité du psautier huguenot, un véritable chef d’œuvre, dont les catholiques qui voulaient chanter en français au lendemain du Concile auraient bien fait de s’inspirer. C’étaient des textes bibliques, après tout !
Et je n’oublie pas non plus les admirables chorals composés du 16e au 19e siècle ! Cette piété profonde a non seulement sanctifié mais aussi produit de nombreux fruits de charité. Pour des gens qui ne croyaient pas au salut par les œuvres, mais par la foi seule, les protestants les ont multipliées ! Et le Concile le reconnaît honnêtement dans ce beau passage. Et même si, sur certaines solutions à apporter à des questions morales, il indique quelques différences (et en 1964 elles étaient peu nombreuses par rapport à aujourd’hui), il ne met pas en doute le souci d’être fidèle au Christ.
Conclusion
Quand je lis la conclusion (§ 24), je ne peux qu’être persuadé de l’inspiration divine de Vatican II. « Le Concile exhorte les fidèles à s’abstenir de toute légèreté, de tout zèle imprudent, qui pourrait nuire aux progrès de l’unité. Leur activité œcuménique ne peut être, en effet, que pleinement et sincèrement catholique, c’est à dire fidèle à la vérité reçue des Apôtres et des Pères… » Je ne veux pas ici donner des exemples de « légèreté … et de zèle imprudent » dont je fus témoin, tant de la part des catholiques que des protestants. Cela rallongerait considérablement le présent exposé. Il faudrait y rajouter aussi des manifestations interreligieuses. De plus, il y a encore ici et là des restes éloquents de désobéissances manifestes aux recommandations de prudence du Concile.
Celui-ci, dans la fidélité à l’enseignement constant du magistère sur l’unité des chrétiens, enseigne bien que celle-ci n’est envisageable que par le retour à l’Église. Et il le précise clairement dans sa conclusion : « ce projet sacré, la réconciliation de tous les chrétiens dans l’unité d’une seule et unique Église du Christ… ». Et ce, dans un paragraphe où est rappelé que « l’activité des fidèles ne peut être que pleinement et sincèrement catholique ». Dans ce même passage, tout comme dans Lumen gentium, il est rappelé que c’est dans l’Église catholique que subsiste l’Église du Christ. La conception de l’unité chrétienne dans le catholicisme demeure donc inchangée. C’est très exactement la même que celle de Pie XI. Elle est simplement exprimée différemment pour pouvoir être entendue comme il convenait en 1964. Pie XI avait pris soin de le faire ainsi en 1928 afin que sa parole de Vérité réponde bien aux problèmes de son temps. C’est bien pour cela que la Tradition a l’autorité qu’elle mérite dans l’Église catholique.
Entre continuité et discontinuité, Vatican II relu 60 ans plus tard
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