La bienheureuse Vierge Marie vient mettre un point final à la constitution dogmatique étudiée ci-dessous ; si la mariologie semble ouvrir un nouveau chapitre à l’ecclésiologie, elle nous stimule en réalité à mieux méditer et intégrer, allant plus en profondeur, l’enseignement du document conciliaire que cela n’a été fait jusqu’à présent.
La Bienheureuse Vierge Marie Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église (chapitre VIII)
Dans l’édition du 03/12/2004 de Zenit, je recommande la lecture du texte du professeur Michael F. Hull, New York. Il déclare significatif le fait de placer cette réflexion sur Marie comme conclusion du schéma sur l’Église et non dans un document distinct. Je résume sa pensée en lui empruntant quelques mots : « Ce faisant, il (le Concile) a situé la mariologie dans le contexte du Verbe incarné et du Corps mystique, sans présenter une nouvelle doctrine sur Marie et sans entraver la réflexion théologique postérieure. »
En agissant ainsi le concile Vatican II a été fidèle au concile d’Éphèse, le premier à avoir distingué Marie du beau titre de Theotokos en 431 contre Nestorius, patriarche de Constantinople. Ainsi était affirmée l’unité de la personne de Jésus Christ en même temps que ses deux natures. Marie avait donc porté dans son sein le Verbe Éternel de Dieu et lui avait donné un corps, fruit de ses entrailles. Cette déclaration d’Éphèse faisait de Marie une créature unique dans sa proximité avec Dieu : elle marquait officiellement le début de la vénération mariale, liée au mystère de l’Incarnation.
Il est écrit au paragraphe 53 : « C’est pourquoi encore elle est saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l’Église… ». Le Concile dit clairement qu’il « n’a pas l’intention de faire au sujet de Marie un exposé doctrinal complet, ni de trancher les questions que le travail des théologiens n’a pu encore amener à une lumière totale. » (§ 54)
Le rôle de la bienheureuse Vierge Marie dans l’économie du salut
Le paragraphe 55 évoque l’annonce de son rôle dans l’Ancien Testament. Cela aurait dû être l’occasion pour tous les catholiques de se plonger dans cette partie de la Bible qu’ils connaissent mal ou ignorent complètement. Il est important par exemple de se reporter à Genèse 3, 15, et à son interprétation. Ce passage qu’on appelle protévangile annonce dès saint Justin martyr (100-165) que la descendance de la femme écrasera la tête du serpent. Et pour la traduction latine de saint Jérôme (347-420), c’est la femme elle-même. Saint Irénée de Lyon développera cette idée, faisant de Marie l’antitype d’Ève et développant sa théorie de la recirculatio consistant à refaire en sens inverse.
Ce que Marie accomplit en obéissant à l’ange de l’Annonciation, réparant la désobéissance d’Ève séduite par l’ange déchu. Elle défait donc le nœud du péché : c’est tout le développement du paragraphe 56 dont je recommande la lecture attentive, parce qu’il met en valeur la part singulière que Marie prend dans notre rédemption. D’une manière générale, la Bible nous montre que Dieu ne veut pas nous sauver sans nous. Plusieurs fois, le peuple juif, peuple élu et prédestiné, se voit proposer des choix qui exigent en quelques sortes des renouvellements d’alliance. Marie ne doit pas seulement écouter pour obéir à la Loi divine et faire de bonnes œuvres. Elle doit en tant que femme donner un corps au Verbe éternel de Dieu.
Ce corps sera conçu à partir d’elle-même, car Marie n’est pas une mère porteuse ! Le texte conciliaire écrit qu’elle « fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d’une si grande tâche. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l’usage se soit établi chez les saints Pères, d’appeler la Mère de Dieu la Toute-Sainte, indemne de toute tache de péché, ayant été pétrie par l’Esprit Saint, et formée comme une nouvelle créature. »
Immédiatement après est rappelé l’Immaculée Conception qui met en évidence la symétrie inversée entre Ève et Marie. Ève qui venait d’être créé, possédait en plénitude la pureté originelle et donc la totalité de son libre-arbitre. Elle s’est jetée pleinement dans la tentation et la désobéissance. Marie, de par la grâce particulière reçue à sa conception, à cause de l’action rédemptrice de son Fils, adhère sans nulle contrainte à l’annonce de l’ange. Et ce, sans l’aide de la grâce sanctifiante, aide ô combien nécessaire à chaque humain qui veut obéir à Dieu. À sa conception même, Marie a été enveloppée de la grâce sanctifiante, un peu comme Jésus, avec cette différence que Marie est le fruit d’une procréation naturelle par une femme fécondée par un homme, alors que Jésus est l’enfant d’une Vierge fécondée par l’Esprit Saint. Et l’une et l’autre ayant des missions différentes dans l’œuvre rédemptrice.
Le rôle de coopération
Retenons pour Marie qu’elle coopère de toute sa volonté à son salut et à celui du genre humain. Aussi cette affirmation du Concile résume bien la singularité du rôle de Marie dans la Rédemption : « C’est donc à juste titre que les saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes, non pas seulement la coopération d’un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance. »
Reprenons alors notre comparaison avec Jésus qui, lui-aussi, possédait une liberté de foi et d’obéissance. Celle-ci venait de sa nature divine, jointe à sa nature humaine, sans souillure au contact de cette dernière, puisqu’elle provenait du corps sanctifié de Marie. On ne peut en dire autant de la liberté de foi et d’obéissance de Marie. Celle-ci demeure en effet subordonnée à la grâce sanctifiante obtenue à sa conception. Ce n’est que par cette grâce, fruit du sacrifice de la croix, qu’elle est conçue sans péché. Il ne saurait donc y avoir d’égalité entre Jésus et Marie dans l’œuvre de Rédemption, ce que ne manquerait pas de faire croire le titre de co-Rédemptrice que certains réclament pour elle aujourd’hui.
Il faut garder la prudence et la clairvoyance de saint Louis-Marie Grignion de Montfort dont la piété mariale ne saurait être critiquée. En reconnaissant à Marie le titre de Médiatrice, il précisait Médiatrice d’intercession, Jésus Christ étant notre seul Médiateur de rédemption !
J’observe avec tristesse les errements de certaines catholiques tentées par les revendications féministes. Rabaissant le rôle de la maternité, leur mouvement n’honore ni la grandeur des femmes, ni leur rôle spécifique comme épouses et mères. Je les invite particulièrement à lire avec attention les paragraphes 57 à 59 de Lumen gentium. Elles y trouveront décrite l’action de Marie auprès de son Fils dans les Évangiles et au-delà, jusqu’à la Pentecôte. Modestement, elle reste à prier avec les Apôtres pour recevoir l’Esprit Saint. Elle qui l’avait accueilli et reçu en plénitude, plus qu’aucun d’entre eux ! N’est-elle pas le prototype de la sublime vocation féminine ?
La bienheureuse Vierge Marie et l’Église
C’est bien parce que le Concile s’est gardé de rajouter quoi que ce soit à la foi catholique qu’il peut mettre en valeur le rôle maternel de Marie pour tous les hommes : « Celui-ci n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu. » (§ 60) Et il sera précisé même que « l’influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes … découle de la surabondance des mérites du Christ ; elle s’appuie sur sa médiation dont elle dépend en tout… » (ibid.)
Après avoir ainsi marqué la subordination de Marie dans l’ordre de la grâce à son Fils, le paragraphe 62 détaille ce que signifie la maternité de Marie pour tous les chrétiens et l’éclaire par les différents titres que lui donne l’Église, affirmant qu’après son Assomption, Marie demeure toujours une mère attentive pour les frères de son Fils. Mais il est aussi immédiatement affirmé que « aucune créature en effet ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et rédempteur. »
Aussi le paragraphe 63 peut développer sans risque de confusion l’exemple de Marie comme modèle de l’Église, exposé par saint Ambroise et repris par le saint de Montfort dans son Traité de la vraie dévotion. Je cite un court passage qui n’est pas le texte conciliaire mais qui l’inspire : « Ah ! Quand viendra cet heureux temps où la divine Marie sera établie maîtresse et souveraine dans les cœurs, pour les soumettre pleinement à l’empire de son grand et unique Jésus ? ».
On peut trouver là une invitation à l’imitation de Marie, tant pour les femmes que pour les hommes. Et par les temps qui courent, il serait plus qu’important de mentionner les hommes, car l’esprit de certaines catholiques est tellement « sous influence », qu’elles considèrent comme une injure de se voir proposer dans l’Église l’imitation de la virginité et de la maternité, deux états qui abaissent la femme, comme chacun sait ! L’abandon total à Dieu et la fécondité spirituelle et matérielle apparaissent à beaucoup comme des valeurs dépassées. Mais l’exemple que nous donne la Vierge Marie n’en doit pas pour autant être altéré. Car « L’Église, à son tour, recherchant la gloire du Christ, se fait de plus en plus semblable à son grand modèle en progressant continuellement dans la foi, l’espérance et la charité, en recherchant et accomplissant en tout la divine volonté. » (§ 65)
Le culte de la Bienheureuse Vierge dans l’Église
Ce culte est l’accomplissement de sa prophétie du Magnificat « Toutes les générations m’appelleront bienheureuse. » Il est bien précisé que ce culte a un caractère unique et qu’il en est ainsi, parce que Dieu seul peut recevoir un culte d’adoration !
Dans les temps troublés que nous vivons en ce moment, la recommandation du paragraphe 67 garde toute sa pertinence. Nous voyons se développer des phénomènes d’apparitions et de révélations de la Vierge Marie, sans doute à cause de l’angoisse ressentie par de nombreux chrétiens. Mais on ne peut négliger leur déception aussi, il faut bien le dire, devant le désengagement de la prédication : Sous prétexte de neutralité politique, elle manque de clarté sur des questions essentielles de société (contrairement à celle du Saint-Siège). Face aux valeurs de l’Église se dressent des lois parfaitement claires dans leur opposition au christianisme, auxquelles aucun catholique ne peut obéir. Méfions-nous alors de certaines révélations présentées comme venant de Marie, dont l’extrême longueur est déjà suspecte. Cela n’empêche pas d’être attentif aux signes de l’Esprit, en s’appuyant sur l’Écriture et la Tradition, comme cela nous est conseillé.
Marie, signe d’espérance assurée et de consolation pour le peuple de Dieu en pèlerinage sur la terre
Ce titre indique déjà une voie, Marie ne saurait devenir un symbole ou une messagère de la colère de Dieu. Mais elle peut avertir (comme à La Salette, le 19 septembre 1846), tout « en continuant à briller comme un signe d’espérance ». Le paragraphe 69 ne constitue pas à mes yeux qu’un vœu pieux de conclusion à portée œcuménique. Il est vrai qu’entre orthodoxes et catholiques existent des différences dans les expressions doctrinales mariales. Et pour ceux qui rendent à la mère du Sauveur l’honneur qui lui est dû, un dialogue sur ces points ne peut apparaître que comme avantageux.
C’est en revanche moins évident avec ceux qui se réclament de la Réforme protestante du XVIe siècle. Et pourtant, si la question mariale était abordée à partir de la christologie au concile d’Éphèse (431), cela permettrait de progresser sur la question des sacrements et de l’Eucharistie en particulier. La très grande vénération dont la Vierge Marie est entourée est en effet liée à une conception d’une union très forte des deux natures du Christ. C’est pour cette raison, j’y reviens, que le concile d’Éphèse a tenu à définir Marie comme « Mère de Dieu ». Il s’est ainsi opposé à Nestorius, patriarche de Constantinople, qui aurait accepté la formule « Mère du Christ ».
Pour qui n’approfondit pas cette problématique, cela semble être la même chose, voire une expression meilleure : N’ayant ni commencement ni fin, Dieu ne peut avoir de mère ! C’est vrai, à ceci près que nous sommes dans le mystère de l’Incarnation du divin dans l’humain. Ce mystère produit une personne Jésus de Nazareth, fils de Marie selon la chair et de Joseph selon la loi seulement ! Christ signifie oint et peut se dire dans le monde juif du roi, du prêtre et du prophète. Et à chaque fois, il s’agit d’un homme ordinaire. Se contenter de dire de Marie qu’elle est Mère du Christ, équivaudrait à limiter sa maternité à l’humanité du Christ !
Cela peut satisfaire la raison, mais pas la foi en la personne de Jésus seul Sauveur. Car il n’y a pas un Jésus humain et un Jésus divin, il n’y qu’un seul personnage dont le nom signifie Dieu sauve. C’est la puissance divine créatrice qui rend Marie enceinte et le fruit de ses entrailles conservera son unité en naissant, ne signifiant pas qu’une forme de divin va connaître un commencement par l’apparition du petit enfant Jésus. Le Verbe divin reste éternel, il ne se mélange pas non plus à l’humain, il commence un abaissement volontaire en se liant à la personne du nouveau-né, jusqu’à la mort de la croix, sa descente aux enfers, sa résurrection, son ascension jusqu’à la droite de Dieu.
Cette possibilité qu’a l’homme de s’abaisser n’est donc pas communiquée à la nature du Verbe de Dieu, deuxième personne de la Trinité, chose impossible. Elle est conférée au Verbe de Dieu, dans son « agir », dans sa volonté de prendre un corps humain pour être proche de nous et devenir notre médiateur. La propriété d’abaissement n’est donc communiquée qu’à une des qualités du Verbe divin, son amour pour la création dont il est l’auteur, et particulièrement pour l’homme qui en est le chef d’œuvre et le roi, comme image de Dieu. Même chose pour la mort : le Verbe éternel et immortel de Dieu met le comble à l’anéantissement, en accompagnant d’une manière mystérieuse Jésus dans la mort : nous sommes toujours dans l’agir.
La communication des propriétés
Par la mort, il n’est atteint en rien dans sa nature. Dans sa communion mystérieuse avec Jésus, il est touché, certes, mais il triomphe le troisième jour par la résurrection, malgré l’atteinte du point de non-retour, les enfers. Ces derniers ne sauraient retenir le divin captif ni celui avec qui il est en communion. L’union des deux natures n’est pas brisée par la mort : celles-ci ont pu communiquer à la personne du Christ la puissance nécessaire pour vaincre le tombeau. Cette doctrine de la communication des propriétés vient de saint Thomas d’Aquin qui conclue : « Dans le mystère de l’Incarnation, il y a une communication des propriétés (communicatio proprietatum) appartenant à chaque nature : tout ce qui revient à une nature peut être attribué à la personne qui subsiste dans cette nature, quelle que soit la nature signifiée par tel ou tel nom. » (Somme théologique III, q.3, a.6, ad 3). C’est donc toujours dans la personne que la communication des propriétés s’effectue !
Eh bien, c’est très exactement la même théologie qui conduit à croire en la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. C’est très net dans le conflit qui opposera sur ce point Luther et les théologiens reformés tels que Zwingli et Calvin prendra à sa suite. En fait, dès 1525, lors des controverses entre Zwingli et Luther, les positions se précisèrent : Zwingli objectait à Luther l’Ascension et le siège du Christ à la droite de Dieu pour contester sa présence sur l’autel. Luther reprit alors le thème thomiste de la communication des propriétés. Mais il ne le fit pas avec la même rigueur dans l’utilisation du vocabulaire que le docteur angélique. Zwingli accusa donc Luther de mêler les deux natures quand il parlait de l’ubiquité du Corps du Christ. En voyant son insistance à ne contempler le Verbe que sous l’angle de l’Incarnation, on peut en effet rester perplexe. Veut-il développer l’idée d’une communication de l’ubiquité divine à la nature humaine du Christ ? Là, je ne crois pas que Luther développe autre chose que l’application de l’ubiquité à la personne du Christ et non spécifiquement à la nature humaine.
Dans son traité de la Cène du Christ de 1528, Luther écrit à propos de Zwingli et de ses partisans : « Ils crient à notre sujet que nous mélangeons les deux natures en une essence. Ce n’est pas vrai. Mais nous ne disons pas que la Divinité est l’Humanité ou que la nature divine est la nature humaine, ce qui serait mélanger la nature humaine en une essence. Mais nous mêlons les deux natures distinctes en une seule personne et disons : Dieu est l’homme et l’homme est Dieu… », (De la Cène du Christ, Confession, Ed. Labor et fides, tome VI, p. 54)
Voici donc une autre façon de reprendre la christologie d’Athanase et de l’école d’Alexandrie qui développaient le principe d’assomption de l’humanité dans le Verbe. La communication de la propriété divine d’ubiquité se fait au bénéfice du corps glorieux du Christ. Luther écrira quelquefois en se référant à la nature humaine du Christ, puisqu’il s’agit de corps, mais il faut toujours sous-entendre le corps ressuscité, donc glorifié. Ainsi, le Christ peut bien être à la droite de Dieu, cela ne l’empêche pas d’être présent dans l’hostie. Cela s’inscrit dans toute une conception de l’abaissement du Christ (kénose) qui associe étroitement la divinité à l’humanité jusque dans sa faiblesse.
Et je cite encore quelques expressions de Luther : « Il est vrai et juste de dire que Dieu nait, est nourri ou allaité, est couché dans la crèche, a froid, marche, tombe, se promène, veille, mange, boit, souffre, meurt etc. » Et dans un autre passage : « Car c’est sur la chair du Christ pendu au sein de la Vierge que les yeux doivent être fixés, si bien qu’on prenne courage et qu’on dise : je n’ai pas de Dieu, ni au ciel, ni sur la terre, je n’en connais aucun, en-dehors de la chair couchée sur le sein de la Vierge … car autrement, Dieu est de toutes manières insaisissable, c’est seulement dans la chair du Christ qu’on peut le saisir. » Que l’on se réfère à l’article du professeur Simon Knaebel, dans la revue trimestrielle de la Faculté de théologie de Strasbourg, no. 1-2 (janvier-avril 1991), pages 109-133 : « Vrai Dieu et Vrai Homme », perspectives actuelles d’une prise au sérieux intégrale de la divinité et de l’humanité de Jesus-Christ.
L’abaissement du Fils de Dieu sous toutes ses formes, homme et Dieu, est le signe même de la miséricorde divine, fondée sur l’union des deux natures. Et nous en rendons grâces en même temps que nous en bénéficions dans le Saint Sacrement de l’autel. Car ce Corps glorieux du Christ appartient à l’humanité nouvelle redevenue pure image de Dieu. C’est le pain des anges, incorruptible, qui est donné. L’ubiquité de ce corps est fondée sur l’union des deux natures pas forcément mélangées. Et il faut y ajouter la piété mariale, car c’est cette forte union des deux natures dans la personne du Christ qui fait de Marie un être voué à une haute vénération ! En avoir plus conscience servirait la cause de l’unité entre chrétiens et place la réflexion concernant la dévotion mariale au tout premier rang : tant dans la perspective d’une nouvelle évangélisation, fondée sur la redécouverte de l’ampleur du miracle de l’Incarnation, que pour la poursuite d’un vrai dialogue œcuménique.
En guise de conclusion
Comme on a pu le voir, je tiens beaucoup à la fidélité aux anciens conciles et à leurs définitions christologiques. À condition qu’on n’oublie jamais qu’elles portent sur des mystères. Il faut ainsi se garder de taxer d’hérétique un théologien à partir de quelques-unes de ses affirmations insistant sur l’union des deux natures du Christ ou au contraire leur distinction. Luther n’était pas plus monophysite avec sa « communication des propriétés » que Calvin nestorien avec « l’extra Calvinisticum ».
Le professeur André Gounelle, docteur en théologie dogmatique reformée, définit clairement « l’extra » : « La deuxième personne de la Trinité est, certes, pleinement présente dans la personne humaine de Jésus de Nazareth. Toutefois, elle ne s’enferme pas, ne s’enclôt pas, ne se cloître pas ni ne se confine dans cette personne, comme a tendance à le penser Luther. » Et Gounelle écrit avec prudence et justesse « a tendance ». De plus ce qui est attribué à Calvin se retrouve en réalité chez les Pères et chez saint Thomas, mais dans le cadre catholique. Chez Calvin, qui est en fait le premier réformateur à concevoir une ecclésiologie qui a fait son deuil de la séparation d’avec Rome, l’extra Calvinisticum va marquer le christianisme réformé et le séparer radicalement du christianisme luthérien.
Le professeur Simon Knaebel (qui est aussi prêtre) l’a admirablement expliqué dans l’article auquel j’ai fait référence, en montrant toutes les conséquences de la communication des propriétés (ou « idiomes ») chez Luther. Il y voit trois conséquences, en plus de notre développement. La première : la prise au sérieux de l’histoire dans laquelle l’humanité de Dieu retentit. La deuxième : la prise au sérieux de l’homme concret, car l’Incarnation est la prise de chair par Dieu. La troisième : la prise au sérieux de la relation, car Dieu est tout entier relation trinitaire, relation à l’homme et au monde. En allant dans cette direction, le catholicisme pourra combattre le déviationnisme moderniste fondé sur une mauvaise christologie, entraînant une conception faussée de la Trinité, au point que certains sont prêt à « cousiner » avec l’Islam. Et ceux qui, parmi eux, croient encore en Dieu, peuvent utiliser, sans en être conscients, les principes de l’extra Calvinisticum et rejeter la communication des propriétés. Ceci au risque de réduire Jésus à l’état d’homme inspiré, source de sagesse libératrice, rejetant tout dogme, tradition ou hiérarchie comme autant de signes de superstitions révolues.
Au nom de « l’extra », c’est en dehors de l’Église, dans le monde qu’il faut chercher la vérité, les catéchismes ne peuvent exister qu’en points d’interrogation ! La soi-disant « vraie Église », issue de Pâques, doit être VIDE, comme le tombeau du Christ, sans miracles ni anges, mais avec beaucoup de femmes, symbole de liberté ! Un tel dispositif pourrait s’appeler « Église de Marie-Madeleine », mais certainement pas « Église catholique ». Là encore, Lumen gentium n’est pas écouté et encore moins mis en œuvre.