Célébration de la Passion du Seigneur, Vendredi saint 2023 © Vatican Media

Célébration de la Passion du Seigneur, Vendredi saint 2023 © Vatican Media

« Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS »

Homélie du Vendredi Saint 2024 par le cardinal Cantalamessa (texte intégral)

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Traduit par Cathy Brenti, Communauté des Béatitudes

« Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS » (Jn 8, 28). C’est la parole que Jésus avait prononcée à la fin d’une vive dispute avec ses adversaires. Il y a un crescendo par rapport aux précédents « JE SUIS » prononcés par Jésus dans l’Evangile de Jean.  Il ne dit plus : « Je suis ceci ou cela : le pain de vie, la lumière du monde, la résurrection et la vie… » Il dit simplement « JE SUIS », sans précision. Cela donne à sa déclaration une portée métaphysique absolue. Et rappelle intentionnellement les paroles d’Exode 3, 14 et d’Isaïe 43, 10-12, dans lesquelles Dieu lui-même proclame son divin « JE SUIS ».

La nouveauté sans précédent de cette parole du Christ ne se découvre que si l’on prête attention à ce qui précède l’affirmation du Christ : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que JE SUIS ». Comme pour dire : On ne saura ce que je suis – et donc « ce que Dieu est » – qu’à partir de la croix. L’expression « être élevé » – dans l’évangile de Jean – fait référence, on le sait, à l’événement de la croix !

Nous sommes confrontés à un renversement total de l’idée humaine de Dieu et, en partie, aussi de celle de l’Ancien Testament. Jésus n’est pas venu retoucher et perfectionner l’idée que les hommes se sont fait de Dieu mais, dans un certain sens, pour la renverser et révéler le vrai visage de Dieu. C’est ce que l’Apôtre Paul fut le premier à comprendre lorsqu’il écrit :

« Puisque, en effet, par une disposition de la sagesse de Dieu, le monde, avec toute sa sagesse, n’a pas su reconnaître Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est la proclamation de l’Évangile. Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » (1 Co 1, 21-24)

Comprise sous cet angle, la parole du Christ acquiert une portée universelle qui interpelle ceux qui la lisent, quelles que soient l’époque et la situation, y compris la nôtre. En fait, ce renversement de l’idée de Dieu est toujours à refaire. Malheureusement, dans notre inconscient, nous portons tous encore l’idée de Dieu que Jésus est venu changer. On peut parler d’un Dieu unique, d’un pur esprit, d’un être suprême, etc. Mais comment pouvons-nous le voir dans l’anéantissement de sa mort sur la croix ?

Dieu est tout-puissant, bien sûr ; mais de quelle puissance s’agit-il ? Face aux créatures humaines, Dieu se retrouve dépourvu de toute capacité, non seulement coercitive, mais aussi défensive. Il ne peut pas intervenir avec autorité pour s’imposer à eux. Il ne peut que respecter, dans une mesure infinie, le libre choix des hommes. Ainsi le Père révèle le vrai visage de sa toute-puissance dans son Fils qui s’agenouille devant ses disciples pour leur laver les pieds ; dans son Fils qui, réduit à l’impuissance la plus radicale sur la croix, continue d’aimer et de pardonner, sans jamais condamner.

La véritable toute-puissance de Dieu est l’impuissance du Calvaire. Il faut peu de puissance pour se montrer ; il en faut par contre beaucoup pour se mettre de côté, pour s’effacer. Dieu est ce pouvoir illimité d’effacement de soi ! Exinanivit semetipsum : il s’est anéanti (Ph 2, 7). À notre « volonté de puissance », il a opposé sa volontaire impuissance.

Quelle leçon pour nous qui, plus ou moins consciemment, voulons toujours nous faire voir. Quelle leçon surtout pour les puissants de la terre ! Pour ceux d’entre eux qui ne pensent même pas au service, mais seulement au pouvoir pour le pouvoir ; ceux – dit Jésus dans l’Evangile – qui « commandent en maîtres » et qui, en outre, « se font appeler bienfaiteurs » (cf. Mt 20, 25 ; Lc 22, 25).

*   *   *

Mais le triomphe du Christ dans sa résurrection ne renverse-t-il pas cette vision, en réaffirmant la toute-puissance invincible de Dieu ? Si, mais dans un sens très différent de ce que l’on pense habituellement. Très différent des « triomphes » que l’on célébrait au retour de l’empereur de ses campagnes victorieuses, le long d’une rue qui aujourd’hui encore porte le nom de « Via Trionfale » à Rome.

Un triomphe, il y en a bien eu un, c’est certain, dans le cas du Christ, un triomphe définitif et éternel ! Mais comment ce triomphe se manifeste-t-il ? La résurrection se produit dans le mystère, sans témoins. Sa mort – nous l’avons entendu dans le récit de la Passion – a été vue par une foule nombreuse et a impliqué les plus hautes autorités religieuses et politiques. Une fois ressuscité, Jésus n’apparaît qu’à quelques disciples, à l’abri des projecteurs.

Il a voulu ainsi nous dire qu’après avoir souffert, il ne faut pas s’attendre à un triomphe extérieur et visible, comme une gloire terrestre. Le triomphe est donné dans l’invisible et est d’un ordre infiniment supérieur car il est éternel ! Les martyrs d’hier et d’aujourd’hui en sont la preuve.

Le Ressuscité se manifeste à travers ses apparitions, de manière suffisante pour offrir un fondement de foi très solide, à ceux qui ne refusent pas de croire a priori ; mais ce n’est pas une revanche qui humilie ses adversaires. Il n’apparaît pas parmi eux pour leur prouver qu’ils se sont trompés et pour se moquer de leur colère impuissante.

Toute vengeance serait incompatible avec l’amour que le Christ a voulu témoigner aux hommes par sa passion. Il se comporte humblement dans la gloire de la résurrection comme lors de l’anéantissement du Calvaire. Le souci de Jésus ressuscité n’est pas de confondre ses ennemis, mais d’aller immédiatement rassurer ses disciples égarés et, avant eux, les femmes qui n’avaient jamais cessé de croire en lui.

*    *    *

Dans le passé, on parlait volontiers du « triomphe de la Sainte Église ». On priait pour cela et on rappelait les moments et les raisons historiques de ces triomphes. Mais quel genre de triomphe avait-on en tête ? Aujourd’hui, nous réalisons à quel point ce type de triomphe était différent de celui de Jésus. Mais ne jugeons pas le passé. On risque toujours d’être injuste lorsque l’on juge le passé avec la mentalité du présent.

Acceptons plutôt l’invitation que Jésus adresse au monde du haut de sa croix : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » (Mt 11, 28) On parlerait presque d’une ironie, d’une moquerie ! Quelqu’un qui n’a pas de pierre où reposer la tête, qui a été abandonné par les siens, condamné à mort, quelqu’un « devant qui on se voile la face pour ne pas voir » (cf. Is 53, 3), s’adresse à toute l’humanité, de tous lieux et de tous temps, et dit : « Venez tous à moi et je vous procurerai le repos ! »

Venez, vous qui êtes anciens, malades et seuls, vous que le monde laisse mourir dans la pauvreté, la faim, sous les bombes, vous qui, à cause de votre foi en moi, ou de votre combat pour la liberté, languissez dans une cellule de prison, venez vous femmes victimes de la violence. Bref, tous, sans exception : Venez à moi et je vous procurerai le repos ! N’ai-je pas promis solennellement : « et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » ? (Jn 12, 32)

« Mais quel repos peux-tu nous apporter, ô homme sur la croix, toi plus abandonné et fatigué que ceux que tu veux soulager ? » « Oui, venez à moi, car JE SUIS ! Je suis Dieu ! J’ai renoncé à votre idée de toute-puissance, mais je garde ma toute-puissance qui est la toute-puissance de l’amour. Il est écrit que « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 25). Je peux rafraîchir, même sans enlever la fatigue et l’épuisement de ce monde. Demandez à tous ceux qui l’ont vécu ! »

Oui, ô Seigneur crucifié, le cœur plein de gratitude, le jour où nous faisons mémoire de ta passion et de ta mort, nous proclamons à haute voix avec ton apôtre Paul :

« Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? […]  Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ». (Rm 8, 35-39)

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Raniero Cantalamessa

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