Le 5 mars dernier, le pape François a adressé la réflexion suivante aux organisations ecclésiales d’aide en Amérique Latine, réunies du 4 au 8 mars à Bogota (Colombie) © capture Zenit

Le 5 mars dernier, le pape François a adressé la réflexion suivante aux organisations ecclésiales d’aide en Amérique Latine, réunies du 4 au 8 mars à Bogota (Colombie) © capture Zenit

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Réflexion adressée par le pape François aux organisations ecclésiales d’aide en Amérique Latine

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Le 5 mars dernier, le pape François a adressé la réflexion suivante aux organisations ecclésiales d’aide en Amérique Latine, réunies du 4 au 8 mars à Bogota (Colombie)

Cher Cardinal Roberto Prevost,

Président de la Commission pontificale pour l’Amérique latine (CAL),

Chers responsables d’institutions et d’organisations d’aide de l’Église en Amérique latine,

Je suis heureux de m’adresser à vous à l’occasion de cette rencontre avec les institutions et les organisations d’aide promues par cette Commission pontificale. Je voudrais vous présenter ma réflexion sur le thème de la gratuité, que je retrouve dans les lignes du programme que Son Éminence a eu l’amabilité de m’envoyer.

Lorsque nous faisons un effort, comme dans le cas de l’aide destinée à l’Église en Amérique latine, il est naturel que nous attendions un résultat. Ne pas l’obtenir serait considéré comme un échec, ou du moins nous laisserait le sentiment d’avoir travaillé en vain. Mais une telle perception serait contraire à la gratuité, qui se définit évangéliquement comme le fait de donner sans rien attendre en retour (Lc 6,35). Comment concilier ces deux dynamiques ?

Pour explorer cette question, il serait peut-être utile de prendre un peu de recul, en se concentrant sur ce que Jésus nous demande et sur ce que l’Évangile nous dit, en essayant de nous interroger, comme le ferait un journaliste : Qui donne ? Que donnent-ils ? Où donnent-ils ? Comment donnent-ils ? Quand donnent-ils ? Pourquoi donnent-ils ? Dans quel but donnent-ils ?

En réponse à la première question – qui donne ? -, l’Écriture explique que ce que nous donnons n’est autre que ce que nous avons reçu gratuitement (Mt 10,8). C’est Dieu qui donne et nous ne sommes que les administrateurs des biens reçus. Nous ne devons donc pas en tirer gloire (1 Cor 7, 4) ni exiger une récompense supérieure à notre propre salaire (1 Tim 5, 18), mais assumer humblement la responsabilité que ce don exige de nous (Mt 25, 14-30).

Pour la deuxième question – que nous donne le Seigneur ? -, la réponse est simple : Il nous a tout donné. Il nous a donné la vie, la création, l’intelligence et la volonté d’être maîtres de notre destin, la capacité d’entrer en relation avec Lui et avec nos frères et sœurs. De plus, Il nous a donné une infinité de fois : en nous créant à son image, capables d’aimer, en nous donnant la preuve de son amour tout au long de l’histoire du Salut, dans le don du Christ sur la croix, dans sa présence dans le sacrement de l’Eucharistie, dans le don de l’Esprit Saint. Par conséquent, tout ce que nous avons vient de Dieu ou est une preuve et un gage de son amour. Si nous perdons cette conscience en donnant et en recevant, nous déformons son essence et la nôtre. Au lieu d’être des intendants attentifs de Dieu (Lc 15, 42), nous devenons des esclaves de l’argent (Mt 6,24) et, subjugués par la peur de ne pas avoir, nous donnons notre cœur au trésor de la fausse sécurité économique, de l’efficacité administrative, du contrôle, d’une vie inerte.

Un tournant dans notre réflexion est de voir où le Seigneur donne, parce que cela ouvre pour nous la porte à un chemin concret. Depuis la création, le Seigneur nous a toujours donné, en prenant dans ses mains notre argile, notre péché, notre inconstance, en restant fidèle malgré les infidélités répétées d’Israël, des disciples, des apôtres, avec son incarnation, sa croix, ses sacrements. Dieu se donne, en un mot, au milieu de son peuple. Notre propre don doit tenir compte de cette vérité incontournable, qui se vérifie jusque dans notre histoire personnelle et communautaire. N’évitons donc pas les aveugles, ceux qui gisent sur le bord de la route, ceux qui sont accablés par la lèpre ou la misère ; demandons plutôt au Seigneur de pouvoir voir ce qui les empêche d’affronter leurs difficultés (Lc 7, 5).

Nous en arrivons donc à la question : comment et quand le Seigneur se donne-t-il à son peuple ? C’est très simple : toujours et totalement. Dieu ne fixe pas de limites : nous péchons mille fois, il nous pardonne mille fois. Il attend, dans la solitude silencieuse du Tabernacle, que nous revenions à Lui, en implorant son amour. Dans la Sainte Communion, nous ne recevons pas un petit morceau de Jésus, mais tout Jésus, en corps et en sang, en âme et en divinité. Dieu fait cela, jusqu’à se faire petit pour nous, pour nous enrichir par sa pauvreté ( 2 Co 8,9).

Nous pouvons donc conclure que la gratuité consiste à imiter la manière dont Jésus se donne pour nous, son peuple, toujours et totalement, malgré notre pauvreté. Et pourquoi ? Par amour. Parce que, comme le dirait Pascal, l’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas, il est « patient et bon ; l’amour n’est pas jaloux ni vantard ; il n’est pas arrogant ni grossier. L’amour ne cherche pas son intérêt ; il n’est ni irritable ni rancunier ; il ne se réjouit pas du mal, mais il se réjouit du bien. L’amour supporte tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (cf. 1 Cor 13, 4-7). L’amour n’a pas d’agenda, il ne colonise pas, mais il s’incarne, il devient l’un de nous, métis, pour faire toute chose nouvelle ( Ap 21.5).

L’effort n’est donc pas inutile, car il y a un but. En nous donnant ainsi, nous imitons Jésus qui s’est donné pour nous sauver tous. Embrasser la croix n’est pas un signe d’échec, ce n’est pas un travail vain, c’est participer à la mission de Jésus d’apporter « la bonne nouvelle aux pauvres […], d’annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, de rendre la liberté aux opprimés » (Lc 4,18). C’est toucher vraiment la blessure de ce frère, de cette communauté, qui a un nom, qui a une valeur infinie pour Dieu, pour lui apporter la lumière, pour fortifier ses jambes, pour nettoyer sa misère, pour lui offrir la possibilité de répondre au projet d’amour que le Seigneur a pour lui, en demandant à genoux qu’à son retour, Jésus trouve la foi sur cette terre (Lc 18, 8).

Chers frères et sœurs, je confie votre travail à la Sainte Vierge ; qu’elle vous guide comme elle l’a fait avec les serviteurs des noces de Cana, afin que le bon vin que le Seigneur nous promet parvienne à tous. Que Jésus vous bénisse. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

Rome, Saint-Jean-de-Latran, 26 février 2024, François

 

Traduction ZENIT

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Rédaction

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