Pie XII au milieu du peuple romain après le bombardement du 19 juillet 1943 © Vatican News

Pie XII au milieu du peuple romain après le bombardement du 19 juillet 1943 © Vatican News

Pacelli et la portée d’un concordat

3e partie de la série sur Pie XII

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par le P. Michel Viot

Dans un contexte de tensions géopolitiques prononcées, on pourrait estimer qu’un concordat de l’Église avec certains États équivaudrait à une connivence avec des dictatures inacceptables. L’œuvre du père Peter Gumpel remet en perspective celui établi entre le Saint-Siège et l’Allemagne du 3e Reich. 

Une bonne connaissance de l’histoire 

Revenons au cardinal Pacelli ! Sa connaissance profonde de l’Allemagne allait devenir un atout majeur pour l’Eglise et pour beaucoup de pays où tout cela était ignoré. Par exemple, l’admiration qu’avait eu monseigneur Pacelli pour Bismarck dénote une bonne compréhension de l’Allemagne et de l’œuvre du grand homme politique qu’il fut. Léon Blum partageait aussi cette admiration, pas pour des raisons absolument identiques, mais pour des visions convergentes, comme le souci du monde ouvrier, face à l’illusion communiste, et une certaine forme d’indépendance entre l’Église catholique et l’État. Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans les subtilités du Kulturkampf, admirablement comprises par le futur Pie XII contrairement à la droite française qui n’y vit qu’une résurgence des idées de 1789.

Pacelli envisagea le Kullturkampf comme il devait l’être, certes un accroissement des pouvoirs de l’État, mais un État chrétien, préparant l’unité allemande autour de la Prusse protestante aux dépens de l’empire austro-hongrois catholique. La question étant réglée depuis 1870, certains évêques catholiques agirent comme leurs homologues protestants, tel Adolf Bertram, prince-évêque de Breslau qu’il qualifiait « d’évêque d’État prussien », lequel envoyait ses vœux à Hitler à chacun de ses anniversaires et qui donna l’ordre de chanter un requiem en mai 1945 après son suicide. Par contraste il sut connaître et soutenir des évêques fidèles à Rome comme Ludwig Maria Hugo, de Mayence, puis d’autres qui fournirent un groupe épiscopal anti nazi qui fut en mesure de se constituer et fut d’une grande aide pour lutter contre le racisme principalement antisémite par le gouvernement national-socialiste. 

Positionnement diplomatique de l’Église 

Le Concordat qui fut signé par Pie XI en 1933 avait été préparé pour l’Allemagne dès 1919, en vue de contrecarrer, comme dans d’autres pays d’Europe, la montée de mouvements nationalistes et garantir la libertas ecclesiae (nomination d’évêques indépendante, liberté d’association). Il est encore en vigueur de nos jours. Lors de l’accession d’Hitler au pouvoir, celui-ci donna à l’épiscopat allemand le temps de s’organiser au prix certes de la disparition du Zentrum, sans que le Vatican l’eût imposé ! Cela dit, s’il avait continué d’exister, il n’aurait pas pu porter à l’Église le moindre secours. Le faible Von Papen fut l’artisan de l’effacement du Zentrum, ce qui lui permit de signer le Concordat à la place d’Hitler en tant que vice chancelier. L’interdiction faite par les évêques allemands aux catholiques d’appartenir au parti national-socialiste, fut levée le 28 mars 1933 par la communication cardinal Bertram au nom des évêques allemands, ce qui contribua très certainement à hâter la fin du Zentrum et du parti catholique bavarois. Le cardinal Pacelli pensa qu’on était peut-être allé un peu vite en besogne et le fit savoir, car il aurait voulu obtenir plus de garanties du gouvernement allemand.

Mais Hitler s’était montré accommodant dans sa déclaration gouvernementale du 23 mars 1933 concernant les religions, et beaucoup de catholiques et des protestants en plus grand nombre adhéraient déjà au parti national-socialiste. On pouvait croire que le Concordat était la moins mauvaise des solutions. Wolf, dont j’ai déjà évoqué le livre très anti-Pacelli, en convient tout de même. Après avoir écrit que le Concordat « a ouvert un peu plus la voie à la coopération des catholiques allemands dans l’État national-socialiste » – et il dit « un peu plus », puisque les catholiques et certains évêques n’avaient pas attendu le Concordat – il poursuit : « Dans le même temps, le Concordat du Reich contribua à préserver le catholicisme allemand de la mise au pas nationale-socialiste. Il constitua un rempart, établi dans une sorte de défense par anticipation, que les nazis tentèrent sans cesse, durant les douze années de leur régime, d’éroder, ce à quoi, ils ne parvinrent pas complètement ». Avec le Concordat, le cardinal Pacelli avait créé une situation diplomatique propice pour devenir éventuellement un moyen d’opposition à la dictature. C’est pourquoi il fit veiller à la stricte application du texte, et put ainsi entre 1933 et 1939 envoyer au gouvernement allemand 55 notes de protestations pour violation du Concordat !

L’Église allemande en état de vigilance 

Pendant toute la période qui va jusqu’à la déclaration de guerre, le Saint Siège sera bien évidemment informé de la montée des mesures anti sémites prises par le régime. Il est faux de dire que ni le pape, ni le cardinal secrétaire d’État n’en aient tenu aucun compte. L’un comme l’autre s’étaient mis d’accord sur une manière d’agir qui privilégiait l’action des évêques du pays concerné sur place. L’efficacité de cette méthode est évidente pour les pays dont l’Église a été marquée par une forte empreinte nationale. 

On le vit en 1917 quand Benoît XV crut pouvoir concourir à la paix. À part l’Autriche Hongrie (Pie VI en son temps y avait réglé « l’éphémère Joséphisme » à l’amiable, en 1782),  il ne reçut aucun soutien épiscopal national, tant en Italie où on l’insulta qu’en France où l’opposition épiscopale se manifesta aussi. Il valait mieux encourager les évêques allemands à parler sans obliger. Pie XII aura dit plus tard, à juste titre : « le martyr ne se décrète pas de Rome ». D’autant plus qu’à l’époque il n’était pas question de solution finale mais, pour faire bref, de se défendre contre l’idéologie pernicieuse du communisme que Hitler attribuait aux Juifs. Beaucoup d’Allemands, pas forcément nazis pensaient ainsi. Mais il y avait la question de la race, de la pureté du sang, de l’eugénisme.

C’est d’abord sur ce point que la voix de l’Église se fit entendre. La « bible nazie », le Mythe du XXe siècle d’Alfred Rosenberg, était à l’index. Il était inutile d’y ajouter Mein Kampf, ce qui n’aurait servi qu’à exaspérer Hitler et à le pousser à devenir plus féroce encore. C’est monseigneur Von Galen qui le premier s’attaqua à l’idéologie du régime, et il ne commença pas par les persécutions contre les Juifs, ce qui est un signe, car Von Galen était courageux et lucide comme Pacelli. Dans l’Allemagne de l’époque c’eût été une mauvaise tactique pour s’attaquer au régime. À partir de 1936 il va plaider pour le respect de la dignité humaine et la liberté de conscience. En 1941 il s’en prendra à la Gestapo et à l’euthanasie des handicapés en tout genre. Dans l’entourage de Bormann secrétaire d’Hitler on projetait de le faire pendre. Mais Goebbels s’y opposa ne voulant pas faire de cet évêque un martyr d’autant plus qu’il avait obtenu un certain succès. Il y eut un ralenti dans les euthanasies puis arrêt. Des autorités juives prirent contact avec Von Galen. Il garda ses amitiés mais ne rompit pas son silence d’évêque sur la question juive ! 

L’encylclique Mit brennender Sorge

De plus il avait vigoureusement traité de la question avec d’autres confrères en collaborant avec eux et Pacelli à la rédaction de l’encyclique Mit brennender Sorge publiée par Pie XI le 14 mars 1937 : Konrad Von Preysing, évêque de Berlin, ami de Pacelli et Michael Von Faulhaber archevêque de Munich. Ce document est une ferme et complète condamnation du nazisme dans ses fondements doctrinaux : le néopaganisme, le rejet de l’Ancien Testament, le mythe du sang et de la race, et le naturalisme pour en rester aux exemples principaux. La persécution anti catholique commença alors avec des procès fabriqués sur les mauvaises mœurs des prêtres. Goebbels l’avait annoncé dans un de ses discours les plus grossiers trois mois après la publication en Allemagne de l’encyclique Mit brennender Sorge. Pie XI avait alors envisagé une dénonciation publique de plus grande envergure. La mort l’en empêcha. On reprocha, et c’est toujours le cas aujourd’hui, à celui qui était devenu Pie XII en 1939 de ne pas avoir publié ces textes qui sont conservés aux archives du Vatican !

Mais on oublie que la guerre était déclarée et que le pape se devait de tout faire pour l’empêcher, non pas pour trouver un arrangement avec Hitler, mais pour laisser le temps à d’autres qui étaient en contact avec le Saint Siège de reprendre les choses en main et d’arrêter la catastrophe. Pie XII avait été sollicité dès mars 1939 par le général Beck (qui avait démissionné de la Werhmarcht dès 1938 quittant ses fonctions de chef d’état major de l’armée de terre) et d’autres officiers supérieurs allemands pour prendre des contacts avec Londres qui ne donna pas suite. Beck sera mêlé au complot des généraux en juillet 1944 et devra se donner la mort. Il est intéressant de savoir que Pie XII ait été mis au courant dans les deux cas. Il restera en relation avec les officiers désireux de renverser Hitler. Les documents dont les pères jésuites Blet et Gumpel ont pris connaissance sont dans les archives maintenant ouvertes.

Les mesures engagées par le pape Pie XII pour lutter face aux crimes contre l’humanité seront traitées dans le suivant article. 

Père Michel Viot 

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Rédaction

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