Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo

« L’humilité, c’est reconnaître que nous sommes un néant aimé de Dieu » par Mgr Follo

Méditation de Monseigneur Follo

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XXIIème  Dimanche du Temps Ordinaire– Année C – 28 aout 2022

Rite Romain

Sir 3,19-21.30-31; Ps 67; He 12,18-19.22-24; Lc 14,1.7-14

 

Rite Ambrosien

2Mac 6,1-2.18-28; Ps 140; 2Cor 4,17-5,10; Mt 18,1-10

Dimanche avant le Martyre de Saint Jean le Précurseur

 

Prémisse.

L’Évangile d’aujourd’hui propose des paroles de Jésus qui ressemblent à un manuel d’étiquette protocolaire ou à des conseils sur la manière de se comporter lorsqu’on est invité à un banquet pour éviter de faire une piètre figure et, au contraire, pour faire bonne impression. L’intention de Jésus n’est pas de donner une règle de comportement dans la vie en société. Les paroles du Rédempteur montrent la logique chrétienne, à laquelle celui qui a fait l’expérience de la rencontre avec Lui se doit convertir.

Pendant le déjeuner de ce samedi, Jésus a donné deux enseignements importants. Le premier, concernant l’humilité, était adressé aux invités qui cherchaient la place la plus élevée, celle d’honneur. Le second, concernant la gratuité, était adressé à l’hôte : le patron de la maison qui était invité à un amour désintéressé. Ces deux enseignements sur l’humilité et la générosité nous poussent à comprendre que la  meilleure place est celle  à côté du Christ.

 

 

  • Humilité et logique chrétienne.

Quand on vit selon la logique païenne, on suit les trois concupiscences dont Saint Jean parle dans sa première lettre : il y parle de trois types de désir incontrôlé ou luxure : la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie (cf. 1 Jn 2,16). Les choses du monde, à savoir la structure, l’organisation de la vie du cosmos loin de Dieu, sont basés sur ces trois concupiscences qu’on pourrait également indiquer comme la convoitise d’avoir, la convoitise du pouvoir, la convoitise du paraître.

Quand on vit selon la logique chrétienne, le monde est organisé conformément à la loi de l’amour et pratiqué selon la logique chrétienne, qui est une logique d’amour dans la vérité. Dans cette logique (qui est intelligente) de vie chrétienne, une personne est grande (ou plutôt : sainte) non pas pour ce qu’elle a, mais pour ce qu’elle donne. Deuxièmement, elle ne convoite pas le pouvoir qui domine, mais elle désire fortement le pouvoir qui sert humblement. Donc, le véritable accomplissement humain n’est pas dans le pouvoir de dominer, mais dans le pouvoir de servir. Troisièmement, pour réaffirmer la primauté de l’amour, dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus dit que la chose importante n’est pas l’apparence, mais l’humilité. C’est pour cela que Saint Augustin d’Hippone a écrit «Écoute frère, Dieu est très élevé. Si tu montes, Il va plus haut ; mais si tu t’abaisses, Il vient à toi ». Jésus crucifié est à la hauteur de Dieu, parce que la hauteur de la Croix est la hauteur de l’amour de Dieu, la hauteur du renoncement de soi-même et le dévouement aux autres. Ceci est le lieu divin et, par conséquent, prions le Seigneur de nous accorder de comprendre de plus en plus ce lieu divin, et d’accepter avec humilité ce mystère d’exaltation et d’humiliation.

L’humilité est la vertu qui nous permet de comprendre la place que l’Amour a choisi pour nous et d’accueillir l’Amour qui vient vivre chez nous. Au déjeuner de la vie auquel nous sommes invités, le Seigneur veut que chacun découvre sa propre place. Ce qui est important n’est pas d’être ni en avant ni en arrière, mais à la place même que Dieu a préparée pour nous : là  se trouvent notre bonheur et notre accomplissement. Ce lieu-là, proposé par Dieu et accepté par nous, porte le nom de notre vocation.

 

  • L’humilité et le banquet ou festin conviviale.

Dans la situation de l’Évangile d’aujourd’hui, comme dans d’autres occasions conviviales[1], le banquet est image de la vie. Le banquet chrétien de la vie, le banquet du Royaume est le tissu des relations entre nous avec Dieu.

Dans la Bible, le banquet préfigure le Royaume de Dieu. Aussi Jésus qui est toujours en continuité avec la révélation de l’Ancien Testament, utilise beaucoup ce symbolisme dans ses discours et en participant effectivement à des moments conviviaux ; ce symbolisme est signe anticipatoire du repas eucharistique et de la future communion définitive avec Dieu.  Le chapitre 14 de l’Évangile de Saint Luc peut être partagé en deux scènes : d’abord l’invitation au déjeuner chez un des chefs des pharisiens, en un jour de fête, le samedi (Lc 14, 1-6); ensuite, l’enseignement à travers deux paraboles sur la façon de choisir les places à table et les critères pour faire les invitations (Lc 14, 7-14). Enfin, la parabole sur le grand banquet  (Lc 14,15-16), qui concerne encore une fois la question des invités: qui est-ce qui va participer  au banquet du royaume? C’est à partir de maintenant que ceci se prépare, au niveau des relations avec Jésus qui convoque autour de lui les gens dans l’église – communion de sauvés.

Nous, membres de cette communauté des Rachetés, nous sommes appelés à « vivre avec » (=cum-vivere d’où le mot latin « convivium ») le Christ, en nous nourrissant de son Corps eucharistique. Le « cérémonial »  à suivre est celui de l’humilité. La pratique de cette vertu ne signifie pas affirmer que nous sommes rien et que nous valons rien. La personne humble donne le meilleur d’elle-même, fait autant que possible, ouvre son cœur le plus qu’elle peut. L’humilité envers les autres est compréhension, acceptation et service. L’humilité envers Dieu est adoration, remerciement, prière et amour.

Pour être et grandir dans l’humilité il faut aimer.

C’est ce que Jésus a fait. L’amour miséricordieux l’a fait descendre du ciel. L’amour miséricordieux et gratuit l’a poussé sur les routes de la Palestine. Cette charité désintéressée l’a amené à chercher les malades, les pécheurs, les gens qui souffrent. Cette charité, qui est don ému de soi, l’a emmené, sans délai, à sa destination, le Calvaire, où il s’est humilié, où « il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Phil 2,8). « L’humilité a été la forme extérieure de sa charité divine » (Divo Barsotti).

Contemplons l’humilité du Christ comme l’expression la plus haute d’amour. Son humilité est révélation de l’amour de Dieu qui se fait totalement homme, s’incarnant pour le salut de toute l’humanité. Il choisit la dernière place, la Croix, pour nous sauver. Il se fait « rien » pour que l’être humain soit « tout ». Il se fait nourriture eucharistique pour le banquet du ciel, banquet où à  l’occasion de la Messe, il se fait présent sous les apparences du pain et du vin pour se donner, pour être mangé. La Messe trouve son accomplissement dans la communion eucharistique, dans laquelle Il se donne totalement à nous au point tel de disparaître. Il est tout pour nous et en nous, pour notre salut.

C’est étonnant de contempler l’humilité du Fils de Dieu quand Il dit : «Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé ». Mais je trouve encore plus étonnant d’entendre dire de la part de l’humble Créateur à une humble créature : « Tu es ma mère ».

Voilà le Dieu qui s’est révélé à nous : un amour qui se vide pour se donner parce que l’amour est don.

Saint François voyait Dieu comme humilité. Pour le Saint d’Assise Dieu-même est humilité. Dieu se révèle à nous à travers la création, mais sa révélation la plus parfaite est Jésus Christ. Et le Christ, pour Saint François, est humilité : humilité du Christ au moment de sa naissance, de sa passion, dans l’Eucharistie.

Mais ce grand Saint va encore plus loin et « ose » dire que l’humilité est la révélation même de l’amour. « Dieu est amour et l’amour ne peut être qu’humilité, à savoir l’amour qui vit pour l’autre, par rapport à l’autre » (Divo Barsotti).

L’humble Fils de Dieu s’incarne pour être l’Epoux qui se donne entièrement à l’épouse. Cet aspect du rapport de mariage de l’Eglise épouse du Christ, humble et pauvre, est souligné d’une manière très significative par les Vierges Consacrées dans le monde, où elles apportent la lumière du Christ avec la lampe du cœur. (cf rituel de consécration des vierges, n° 28, où l’Evêque remet  un cierge allumé ou une lampe à la nouvelle consacrée en disant : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Conservez avec soin la lumière de l’Evangile, et soyez toujours prêtes à aller à la rencontre de l’Epoux qui vient » À cet égard, dans une lettre qui porte le numéro XXIII  au catalogue, et que je propose en tant que lecture “patristique”, Sainte Catherine de Sienne écrivait à sa nièce Nanna Benincasa pour la soutenir dans sa vocation de vierge consacrée ce qui suit :

“Si tu veux être épouse du Christ, il vaut mieux avoir la lampe, et l’huile, et la lumière. Est-ce que tu sais qu’est-ce que ça signifie, ma fille? La lampe est notre cœur: parce que le cœur doit être fait comme la lampe.

Tu vois bien que la lampe est large au-dessus et étroite au-dessous; et le cœur  est fait ainsi. C’est pour dire que nous devons toujours garder le dessus large, c’est-à-dire pour saintes pensées , pour de saintes imaginations et pour la prière continuelle, en se souvenant des bénéfices de Dieu et surtout du bénéfice du sang pour lequel nous sommes rachetés.         Toutefois, le Christ béni, ma fille, ne nous a pas rachetés avec de l’or, de l’argent, des perles ou d’autres pierres précieuses. Mais il nous a rachetés avec son précieux sang. Donc, on ne veut pas oublier un si grand bénéfice, mais il faut l’avoir toujours devant les yeux, avec un saint et doux remerciement, en voyant à quel point Dieu nous aime sans mesure : c’est tellement qu’Il ne se préoccupa pas de donner son Fils unique à la honteuse mort de la croix pour nous donner la vie de la Grâce.        J’ai dit que la lampe est étroite au-dessous et notre cœur  est comme ça, ce qui signifie que le cœur doit être étroit envers les choses terrestres : c’est-à-dire ne pas les désirer ni les aimer sans une logique, ni vouloir plus que ce que Dieu veut nous donner. Au contraire, on doit toujours le remercier, en observant comme il prend soin de nous, de façon à ce que rien ne nous manque. Seulement de cette façon notre cœur sera une lampe.        Toutefois, ma fille, tu dois penser que ce ne sera pas suffisant sans huile dedans. L’huile est cette vertu petite et douce de la profonde humilité : parce qu’il faut que l’épouse du Christ soit humble, douce et patiente ; et elle aura autant d’humilité que de patience, et autant de patience que d’humilité. Mais nous n’arriverons pas à cette vertu d’humilité, sinon à travers la connaissance de nous-même, c’est-à-dire de notre misère et faiblesse et du fait que nous, par nous-mêmes, nous ne pouvons pas faire un acte de vertu, ni nous débarrasser d’aucun combat ou peine. Même si nous avons une infirmité corporelle ou une peine ou un combat mental, nous ne pouvons pas nous en débarrasser.       Toutefois, si nous le pouvions, nous nous en débarrasserions  immédiatement. Alors c’est vrai que nous, par nous-mêmes, nous ne sommes rien autre qu’opprobre, misère, puanteur, faiblesse et  péchés et à cause de ça nous devons rester bas et humbles.       Mais rester uniquement dans cette connaissance de soi ne serait pas bon parce ce que l’âme s’ennuierait et ferait confusion ; et elle passerait de la confusion au désespoir.  Le diable ne voudrait rien de plus que nous faire tomber dans la confusion, pour nous faire tomber ensuite dans le désespoir. Il nous convient de rester dans la connaissance de la bonté de Dieu en lui-même, voyant qu’il nous a créés à son image et ressemblance, et recréés en grâce dans le sang de son Fils unique, doux Verbe incarné ; et comme toujours la bonté de Dieu travaille dans nous.       Mais tu vois que rester seulement dans ce type de connaissance de Dieu ne serait pas bon parce que l’âme serait présomptueuse et superbe. Il convient donc que ces connaissances soient mélangées ensemble, l’une avec l’autre, qu’il y ait la connaissance sainte de la bonté de Dieu et la connaissance de nous-même. Ainsi, nous serons humbles, patients et dociles. De cette façon, nous aurons de l’huile dans la lampe.

[1] En fait, dans l’Evangile on parle assez souvent des déjeuners et des dîners. Jésus n’a pas honte de se mettre à table avec des amis et des ennemis, et il en profite pour transmettre ses enseignements Il le fait avec paraboles (une pour tous: celle de l’homme  riche des banquets somptueux, insouciant du pauvre mendiant Lazare à sa porte) ou en envisageant l’avenir (nous l’avons entendu le dimanche dernier: tous les peuples seront assis à table avec Abraham, Isaac et Jacob). Il le fait en laissant les fruits de son travail sous la forme de nourriture, dont se nourrir à l’occasion du banquet qui est la Messe; il le fait, comme dans le passage d’aujourd’hui (Lc 14,1.7-14), en remarquant le comportement de ceux qui invitent et ceux qui sont invités.

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