“Le dialogue se poursuit” : c’est le titre de l’entretien avec le cardinal Miguel Ángel Ayuso Guixot, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, publié par Gianluca Biccini dans L’Osservatore Romano du 5 janvier 2021.
Voici notre traduction de ce bilan de l’année 2020 en matière de dialogue interreligieux.
« En dépit de la pandémie, le dialogue se poursuit sous de nouvelles formes et selon de nouvelles modalités ; ou plutôt il s’est renforcé grâce à la prise de conscience qui a mûri chez de nombreux chefs religieux. Le mérite en revient au pape François, à travers ses gestes et son magistère ; au chapitre 8 de son dernier document, Fratelli tutti, il fait observer que « dans un monde déshumanisé, où l’indifférence et l’avidité caractérisent les rapports entre les personnes, une solidarité nouvelle et universelle ainsi qu’un nouveau dialogue basé sur la fraternité sont nécessaires ». C’est là un double engagement que le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux (Cpdi), présidé par le cardinal Miguel Ángel Ayuso Guixot, a cherché à poursuivre à différents niveaux – selon le désir de l’évêque de Rome – à travers « des relations de respect et d’amitié permettant de défendre l’égalité entre les êtres humains ». En retraçant le bilan de l’année qui vient de se terminer, le cardinal parle en étant conscient de l’importance stratégique de ces questions dans le pontificat de Bergoglio.
En suivant le chemin indiqué par le pape François
« Le dialogue, c’est le pape qui le mène, dit le cardinal espagnol, et nous, nous cherchons à marcher sur le chemin qu’il indique ». Un chemin jalonné d’un côté par le Document sur la Fraternité humaine pour la Paix mondiale et la coexistence, signé par le pape le 4 février 2019 et par le grand imam d’al-Azhar, le cheikh Ahmed el-Tayeb et, de l’autre, par l’encyclique sociale signée le 3 octobre de l’année suivante sur la tombe de saint François, l’humble frère qui rencontra le sultan Malik-al-Kamil en Egypte. En 2020, marqué surtout par la covid-19, mais également par la recrudescence du terrorisme islamique en Europe, comme en témoignent les tragiques événements en France et en Autriche, l’amitié entre l’évêque de Rome et le chef spirituel de la principale institution académique de l’islam sunnite représente un point d’ancrage qui est aussi un point de départ incontournable. « En effet, le premier acte officiel au début de l’année dernière a été, le 6 janvier, la cinquième réunion du Higher Committe on Human Fraternity (Hchf) – le Haut comité constitué pour atteindre les objectifs du Document sur la Fraternité humaine – qui s’est tenu dans la capitale des Emirats », souligne le cardinal qui préside également le Comité, composé de représentants des trois grandes religions monothéistes.
En souvenir du cardinal Tauran
Le 16 du même mois, le président du Conseil pontifical s’est rendu à Milan où l’Université catholique du Sacré-Cœur avait organisé un colloque à la mémoire de son prédécesseur, feu le cardinal Jean-Louis Tauran. « Il était convaincu que les bonnes relations entre chrétiens et musulmans pouvaient apporter une contribution irremplaçable à la paix, soutenant que la véritable menace n’était pas le choc des civilisations, mais plutôt le choc des ignorances et des radicalismes », commente-t-il, ajoutant que sortait ces jours-là la préface qu’il avait écrite pour Accenti, la collection numérique de « Civiltà Cattolica » consacrée à des mots clés s’inspirant de l’actualité.
Début février, à l’occasion de la commémoration du premier anniversaire du Document sur la fraternité humaine, le cardinal Ayuso est retourné aux Emirats : « Il y avait les principaux dirigeants du pays d’accueil et une vingtaine de chefs religieux – dont le Patriarche œcuménique Bartholomée I – venus des cinq continents, ainsi que les représentants d’organisations culturelles et éducatives interreligieuses et des membres du Hchf (Haut Comité pour la Fraternité humaine, ndt). Au cours des sessions, outre la transmission de deux messages vidéo des signataires du Document, divers témoignages se sont alternés et l’adoption d’un Code éthique pour la fraternité humaine, destiné aux médias, a été annoncé ».
Vingt jours plus tard, à l’Université pontificale grégorienne, s’est tenue une journée d’études organisée par l’institution des jésuites en collaboration avec l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie ; elle était intitulée : Eduquer à une humanité plus fraternelle : la contribution des religions. « J’ai mis en garde contre la désinformation et les préjugés qui alimentent les peurs et la haine. En effet, bien que nous soyons différents parce que profondément enracinés dans nos traditions religieuses respectives, nous devons démontrer qu’il est juste de construire ensemble des ponts d’amitié, de fraternité et de collaboration et que c’est possible », rappelle le cardinal. Ce dernier est intervenu à Genève, fin février, à une célébration interreligieuse organisée par la Mission permanente du Saint-Siège au Bureau des Nations Unies et d’institutions spécialisées, en collaboration avec le diocèse catholique local. Le cardinal a ensuite participé à un événement de haut niveau sur la liberté religieuse, qui s’inscrivait dans le cadre de la session du Conseil des droits de l’homme. Il était également organisé par la mission permanente du Saint-Siège, cette fois-ci en collaboration avec la délégation des Emirats arabes unis. La rencontre dans la ville suisse était centrée sur la jouissance universelle du droit à la liberté de religion ou de conviction. « Il s’agit de passer de la simple tolérance à la coexistence fraternelle, souligne notre interlocuteur, en condamnant les conversions forcées à une particulière religion ou culture, ou à un style de civilisation contraires au milieu d’origine ».
A partir du mois de mars, avec l’arrivée de la covid-19 et du confinement, l’activité du Cpdi s’est déroulée essentiellement en ligne : ainsi, le 12 mai, le président s’est connecté en vidéoconférence de Rome avec New York, où se tenait au Palais de Verre une initiative organisée par la mission permanente du Royaume du Maroc, pour relancer la Journée de prière, de jeûne et d’œuvres de charité, promulguée pour le 14 par le Haut comité pour la fraternité humaine, afin d’invoquer le Seigneur « d’une seule voix » pour qu’il mette fin à la pandémie. Outre le pape François et le secrétaire général de l’Onu, António Guterres, de nombreux chefs des principales religions et d’organismes internationaux ont répondu à l’invitation.
Pendant l’été, lorsque les mesures restrictives ont été assouplies ou annulées, le cardinal a effectué un voyage à Sofia. « Du 27 juin au 1er juillet, dit-il, j’ai vécu des moments très importants », comme la messe présidée dans la concathédrale de rite latin, concélébrée par des évêques et des prêtres des deux rites catholiques présents en Bulgarie. Des rencontres importantes ont eu lieu, comme celles avec le patriarche orthodoxe et des représentants du saint Synode, avec le vice-ministre des Affaires étrangères, compétent pour les questions sur les libertés religieuses et les droits humains, avec le grand mufti et avec des représentants du judaïsme et de l’Alliance protestante.
Non à la violence basée sur la religion
Le 22 août, le Conseil pontifical s’est uni à la Journée internationale de commémoration des victimes d’actes de violence basés sur la religion ou sur la conviction, convoquée par l’Onu ; il a repris les paroles du pape, selon lesquelles Dieu ne veut pas que son nom soit utilisé pour terroriser et on ne peut pas instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle. Puis, le 27, le dicastère du Vatican a diffusé un document commun avec le Conseil mondial des Eglises (Cme), élaboré dans le but d’encourager les Eglises, les communautés et les organisations chrétiennes à réfléchir sur l’importance de la collaboration entre croyants en temps de pandémie et pour repenser le monde d’après la covid. Divisé en cinq parties, le document propose une base chrétienne pour la « solidarité interreligieuse », indiquant une série de recommandations. « Ces thèmes, explique le cardinal combonien, faisaient déjà partie de l’agenda du Cpdi et du Cme) jusqu’à l’année dernière. La pandémie n’a fait que donner un élan au projet, encourageant une réponse rapide, parce que la crise a mis à nu les blessures et les fragilités ».
Un des moments clés de 2020 a sans doute été celui du 4 octobre, lorsque le cardinal Ayuso Guixot a été appelé à présenter l’encyclique Fratelli tutti dans la Nouvelle salle du Synode au Vatican avec le card. secrétaire d’Etat Pietro Parolin, Mohamed Mahmoud Abdel Salam, secrétaire général du Hchf, Anna Rowlands, professeur de Catholic Social Thought & Practice à l’Université de Durham, et Andrea Riccardi, enseignant en histoire contemporaine.
Le 17 du même mois, le cardinal est intervenu au G20 Interfaith Forum organisé par le Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel Roi Abdullah ben Abdulaziz (Kaiciid), dans lequel le Saint-Siège a un rôle de fondateur-observateur.
La prière pour la paix au Capitole
Trois jours plus tard, le 20 octobre, un autre rendez-vous central de 2020 : la rencontre de prière pour la paix « dans l’esprit d’Assise » organisée à Rome par la Communauté de Sant’Egidio. « La Ville sainte a vraiment été transformée en capitale mondiale de la paix pendant une soirée, observe le cardinal Ayuso Guixot. Le pape, le patriarche Bartholomée et d’autres chefs religieux représentants du judaïsme, de l’islam, du bouddhisme, de l’indouisme, ainsi que le président de la République italienne, Sergio Mattarella, se sont retrouvés pour lancer “l’Appel à la paix Rome 2020” et réaffirmer que “personne ne se sauve tout seul” ». Le 29 octobre, le cardinal est intervenu en direct streaming à une table-ronde avec laquelle la Georgetown University de Washington a commémoré le cinquième anniversaire de l’encyclique Laudato si’. Il est également intervenu le 5 novembre au séminaire en ligne du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (Ccee), section pour le dialogue, afin de réfléchir sur les thèmes de la fraternité et du dialogue interreligieux.
Les messages adressés aux communautés religieuses
Quant aux traditionnels messages de vœux, signés par le président et par le secrétaire, Mgr Indunil Janakaratne Kodithuwakku Kankanamalage, que le Conseil pontifical envoie chaque année aux communautés religieuses avec lesquelles il est en dialogue, à l’occasion de leurs principales fêtes, il faut noter celui 3 avril, fête de Vesakh/Hanamatsuri pour les bouddhistes : intitulé Construisons une culture de la compassion et de la fraternité, le message reprend l’expression employée par le pape lorsqu’il s’était adressé au patriarche suprême des bouddhistes à Bangkok, le 21 novembre 2019, à l’occasion de son voyage en Thaïlande. Un autre message daté du 1er mai a été envoyé à la communauté islamique pour le mois du Ramadan – commencé le 23 avril – et pour l’Id al-Fitr (1441 H. / 2020 A.D.), la fête qui le conclut. Au texte, consacré au respect et à la protection des lieux de culte et préparé avant la diffusion du coronavirus, a été ajouté en marge le vœu que chrétiens et musulmans, unis dans un esprit de fraternité, manifestent leur solidarité avec l’humanité si durement frappée, et l’espoir de sortir meilleurs qu’avant de cette période. « Comme ce fut le cas pour nous, à Pâques, précise le cardinal, pour eux aussi, dans la pratique, le Ramadan a été vécu dans une dimension plus intérieure, parce que l’aspect communautaire ne pouvait pas être célébré ».
Enfin, Rallumons un climat positif et d’espérance pendant la pandémie de covid-19 et au-delà a été le leitmotiv du message adressé aux hindouistes pour les célébrations du Deepavali (ou « file des lampes à huile ») qui ont commencé le 14 novembre et se sont poursuivies pendant trois jours, surtout en Asie.
Et en 2021 ? « Le dialogue se poursuit avec une grande espérance, à la lumière de Fratelli tutti », conclut le cardinal. »
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat