« Le pape ne veut pas de prêtres ni d’évêques fonctionnaires », affirme le nouveau nonce apostolique en France, Mgr Celestino Migliore.
Arrivé à Paris juste avant le confinement, le 5 mars dernier, il a accordé une interview d’une demi-heure à la télévision catholique KTO (Philippine de Saint-Pierre), dans laquelle il a parlé de son parcours ainsi que de son regard sur la France, la laïcité et le travail auquel il est appelé. L’interview a été diffusé le 29 juin 2020.
En France, « la laïcité c’est la laïcité de l’État, pas de la société », estime le nonce : « On ne peut pas couper la société de la religion. »
La presse, les médias, poursuit-il, « tentent de présenter surtout la crise, les dérives » dans l’Église. « On ne peut pas oublier et surestimer cette crise qui est réelle, mais il faut aussi regarder au ferment prometteur. »
Le nonce admet que l’Église française, comme toute autre, « a besoin de se renouveler » : « Pas seulement et d’abord comme institution et organisation, précise-t-il, mais comme expérience de vie, comme conviction, comme attitude de foi qui se traduit à une vie concrète. »
La nomination des évêques
Une des fonctions des nonces apostoliques est la préparation des dossiers d’éventuels futurs évêques : « Chaque fois qu’un diocèse est vacant, explique Mgr Migliore, on lance une enquête à 70-80 personnes – les évêques, les prêtres, les religieux, les laïcs – et on demande qu’ils nous donnent « une photographie » du diocèse, les points forts, les points faibles. Et puis, qu’ils suggèrent des candidats et qu’ils nous disent pourquoi ils verraient ce prêtre en tant qu’évêque du diocèse. » Ensuite, après les réflexions et « les discussions », trois noms sont envoyés à Rome et « le pape choisit ».
Pour chaque pontificat il y a un profil d’évêque particulier, confirme le nonce. Il existe donc le profil d’évêques souhaité et encouragé par le pape François. « Quand le pape parle d’une Église « hôpital de campagne », d’une Église en sortie, de l’Église proche surtout des pauvres, ce sont des indications claires, explique le nonce. Le pape ne veut pas de prêtres ni d’évêques fonctionnaires. Ce sont des indications très claires. »
Une vocation sacerdotale
Né dans le Piémont, Mgr Migliore servait dans sa paroisse « depuis l’âge de 6 ans », aidant « un curé âgé ». Ce prêtre « était à la disposition des gens 24h sur 24, 7 jours de la semaine », se souvient le nonce : « Cela me plaisait et je me disais que quand je serai grand je serai comme lui. Sans bien comprendre ce que cela veut dire : être prêtre. »
Mais après les études au séminaire, il est appelé par son évêque qui lui suggère d’aller à Rome, à l’école des nonces: « Pour moi c’était comme une tuile sur la tête. Je rêvais au ministère à la paroisse, pour être un peu comme mon ancien curé. » L’ordre de l’évêque provoque en lui « une crise profonde », il a senti « une double trahison : Dieu m’avait appelé pour quelque chose et maintenant il change complètement d’horizon. Et puis aussi mes supérieurs : pourquoi ils me font cela? »
Cependant, vu qu’il a « beaucoup d’estime et d’affection pour cet évêque, un homme honnête, intègre », Mgr Migliore comprend qu’il y a « quelque chose de sérieux dans cet appel »: « L’évêque a dit: si tu veux que je t’ordonne prêtre, tu fais ce que je te dis, car en ce moment c’est ton évêque qui exprime la volonté de l’Église. Si tu veux faire ta volonté et pas la volonté de l’Église, va chez un autre évêque. Je voyais qu’il avait raison. »
La diplomatie vaticane
Le nonce précise qu’il fait « un service » et pas « une carrière » diplomatique: « Une diplomatie du Saint-Siège est une diplomatie spécifique, elle ne s’appuie pas sur des intérêts économiques, ne s’appuie pas sur la force, mais sur la conviction. »
Parmi les gens qui ont marqué son parcours, il se souvient du cardinal français Jean-Louis Tauran (1943-2018), « un homme d’une grande humanité, d’intégrité personnelle, de fine diplomatie ».
En ce qui concerne le travail du nonce apostolique, Mgr Migliore dit que l’un de ses professeurs comparait « un nonce au gond d’une porte : la porte c’est l’Église locale et le montant auquel le gond relie c’est l’Église universelle, le pape. (…) Donc, la fonction du nonce c’est vraiment relier l’Église locale à l’Église universelle. Et le gong ce n’est pas tellement voyant : on voit la porte, on voit le montant. Il n’est pas tellement voyant, mais il doit être efficace et solide. »
Observateur permanent à l’ONU
Après avoir travaillé pendant quatre ans à Strasbourg, auprès du Conseil de l’Europe et ensuite en tant que sous-secrétaire de la Section pour les relations avec les États de la Secrétairerie d’État, Mgr Migliore est nommé observateur permanent à l’ONU à New York en 2002.
Au moment de son arrivée, la Suisse – qui occupait aussi la place de l’observateur – devient membre à part entière de l’ONU. Donc, le Saint-Siège « est resté le seul dans ‘le club’ des observateurs », se souvient le nonce: « Le secrétaire général, Kofi Annan, a dit que c’est le moment que le Saint-Siège devient membre. J’ai sondé un peu et il n’y avait pas d’opposition. Mais c’était clair que ce n’est pas notre place de nous asseoir à la table de ceux qui dirigent, de ceux qui décident les sorts du monde. Notre place c’est d’être à côté, de pouvoir parler, pouvoir présenter notre position sur différentes questions et surtout de pouvoir collaborer. »
Le nonce souligne que « l’observateur a une grande liberté de collaboration »: durant son travail à l’ONU, il a pu « collaborer » sur plusieurs questions et dossiers importants tels que le trafic des êtres humains au Congo, les enfants soldats, des persécutions religieuses, la prévention du SIDA. « C’était un travail fascinant, affirme le nonce, même s’il n’y avait pas d’un côté ecclésial direct. »
« Cherche d’abord les pauvres »
Lorsque Mgr Migliore a commencé son parcours diplomatique, il a reçu le conseil d’un prêtre de son diocèse, fondateur d’une école de prière pour les jeunes dans sa paroisse : « Là où tu vas, cherche d’abord les pauvres ». « C’est quelque chose qui m’a beaucoup frappé, explique le nonce. À Washington, j’ai beaucoup travaillé avec les sœurs de mère Teresa. Au Caire, avec sœur Emmanuelle. »
Le nonce dit que sa « découverte » de la pauvreté ne se limite pas au côté matériel : « Il y a une pauvreté matérielle, bien sûr, mais il y a surtout les pauvres de Dieu. J’ai eu des expériences de partage de foi, de prière, de souffrances. J’essayais de comprendre et de vivre cette souffrance avec mes collègues, des diplomates, des fonctionnaires des ministères. Et là, j’ai vu que j’avais ce que j’ai perdu avec mon travail dans une paroisse, je le retrouvais à 100 pour 100, je dirais ce côté pastoral. »