A l’occasion de la béatification des 19 martyrs d’Algérie, dont les sept moines de Tibhirine, qui aura lieu le 8 décembre 2018 à Oran, une conférence a été organisée le mardi 4 décembre 2018, à l’Institut français-Centre Saint-Louis de Rome, avec la participation du cardinal Dominique Mamberti, préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique et cardinal ponent de la cause de béatification des martyrs d’Algérie, a conclu les interventions.
La conférence a été suivie par la projection du film réalisé par Xavier Beauvois, « Des Hommes et des Dieux ».
L’événement « exceptionnel » que représente une béatification en pays musulman, l’Algérie, est en soi « un message de dialogue » de la part de « gens simples » qui ont choisi de rester avec leurs amis et qui sont devenus désormais des « exemples et des intercesseurs pour ceux qui pratiquent le dialogue et pour ce pays qu’ils ont aimé »: le cardinal Mamberti a évoqué ainsi les 19 martyrs. Des gens « simples » « au regard du monde, qui essayaient d’aider les autres », a-t-il précisé, « mais extraordinaires car, témoins jusqu’au bout, ils n’ont pas repris leur vie ».
« Ils sont restés, a-t-il poursuivi, car leur vie était déjà donnée. S’ils sont morts, c’est que leur foi, leur vie, leur témoignage était pour les violents une offense… eux qui croyaient en l’amour, en la victoire finale de l’amour ».
Ils sont le témoignage « d’une Église qui a voulu rester fidèle à Dieu et au peuple algérien », a expliqué le p. Landousies, lazariste, responsable de la section française de la Secrétairerie d’État, qui a passé 20 ans à Alger et a connu les « années noires » de la guerre civile algérienne: « Ils ont fait confiance à Dieu et au peuple algérien ». Le Lazariste a aussi raconté comment l’Église algérienne s’était dépouillée « de tout ce qui n’est pas essentiel, jusqu’au bout, par solidarité avec le peuple algérien qui souffrait », signifiant « qu’une même humanité nous réunit ».
Ce samedi 8 décembre verra donc la béatification de 19 religieux et religieuses de 8 congrégations et présents dans 2 diocèses, morts entre le 8 mai 1994 et le 1er août 1996. Pourquoi une seule cause pour 19 martyrs ? C’est à cette question qu’a répondu Dom Rémi Bazin, de la Communauté Saint-Martin, official à la Congrégation pour les causes des saints.
La pratique habituelle, a-t-il expliqué, veut que soit respectée l’unité de cause, de temps et de lieu. Dans les cas présents, la cause était la persécution, dans un même contexte politico-religieux de montée du radicalisme musulman, le temps était concentré sur 2 années et le lieu était l’Église d’Algérie. Don Rémi a souligné par ailleurs que cette béatification commune était le souhait de tous les acteurs, évêques algériens, familles et communautés religieuses.
C’est le 26 janvier 2018 que le pape François a approuvé publiquement le décret reconnaissant le martyre, après une enquête qui s’était ouverte en 2007 pour la première phase, diocésaine. Deux éléments déterminent le martyre. Le premier, matériel, est la mort violente. Mais « ce qui fait le martyr », a insisté Dom Rémi, « ce n’est pas la peine, mais la cause de la peine ». D’où le second élément, formel, qui concerne de la part des persécuteurs, la haine du comportement inspiré par la foi chrétienne (« odium fidei ») et, de la part des martyrs, « l’acceptation volontaire », « ni recherchée ni subie », de « la mort au nom de la foi ». Il s’agit en effet d’un acte de liberté et d’amour.
Concrètement, l’enquête a abouti à plus de 6 000 pages de documents et de témoignages (123 témoins). Parmi les témoins, une cinquantaine de laïcs et une vingtaine d’Algériens et seulement 2 témoins oculaires de la mort. Si l’official de la Congrégation romaine admet qu’il existe des « zones d’ombre quant aux circonstances », la plupart des assassinats s’étant déroulés clandestinement ou sans témoins, il précise que les preuves ont été jugées suffisantes car, pour l’Église, « l’important n’est pas de savoir « comment », mais « pour qui » la mort a eu lieu.
Quant aux dispositions des victimes, Dom Rémi a indiqué trois éléments significatifs qui émergent de leurs écrits et des déclarations des témoins : la « pleine conscience » qu’ils avaient du danger qu’ils couraient et les « règles de prudence » qu’ils ont adoptées, le « discernement mené en communauté et avec l’évêque d’Alger », Mgr Teissier, explicité dans des déclarations écrites, et la « montée spirituelle, personnelle et en communauté, manifestée par leurs écrits ». Enfin, pour les causes de martyrs, la béatification ne requiert pas de miracle.
La « béatification de Mgr Claverie et de ses 18 compagnons », qui aura lieu en la basilique de Santa Cruz, à Oran, met en avant l’évêque dominicain de cette ville, le dernier tué de la longue liste des martyrs. Son assassinat à 58 ans, à Oran, avec son chauffeur musulman Mohamed, est une « goutte d’eau en regard des 150.000 victimes de cette guerre civile et fratricide », a souligné Mgr Miguel Angel Ayuso Guixot, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
« Personnalité de premier plan de l’Église et de la société algérienne », l’évêque d’Oran était, pour Mgr Ayuso Guixot, une personne « solaire », « cultivée comme seul un Dominicain sait l’être », « attentif à chaque rencontre », « capable de rester en silence à côté de l’autre ». Il avait été membre du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux de 1986 à 1996. Il n’avait « presque rien ni personne à défendre : 1 500 baptisés et 10 prêtres », a signalé l’archevêque espagnol qui a fait valoir « le paradoxe du dialogue d’amitié qu’il voulait poser sur les fractures du monde ». Pourquoi, s’est-il interrogé, « une telle volonté de réussir ce dialogue » ?
Le secrétaire du Conseil pontifical a relevé « l’anthropologie solide » de Pierre Claverie, pour qui « l’homme est capable de Dieu » et « rechercher l’autre, c’est chercher Dieu » ainsi que son « équilibre psychologique hors du commun, conscient des défauts dangereux pour le dialogue ». Et de nommer l’hypocrisie, avec son double langage, l’endoctrinement et la faiblesse des caractères lâches ou médisants. L’évêque d’Oran croyait à l’ « absolue nécessité de la sincérité dans l’amitié, pour éviter le syncrétisme religieux et les intérêts prosélytes ».
Pour lui, les qualités indispensables au dialogue interreligieux étaient « le respect de l’autre, de sa culture et de ses traditions, l’humilité qui fait reconnaître qu’on ne possède pas complètement la vérité de l’Évangile, le sens de l’annonce et le respect du dialogue en lui-même, une conversation à double sens de l’homme avec Dieu ».
« La fécondité de ce martyre n’a pas fini de porter des fruits », a conclu le cardinal Mamberti. « C’est une leçon pour toute l’Église ».