Chers frères et sœurs,
Je suis heureux de m’unir à l’événement virtuel qu’à l’occasion de l’Année Sainte la Présidence du C.E.L.AM a bien voulu organiser. C’est assurément une occasion précieuse pour approfondir la signification du don que le Seigneur nous fait à travers son Église. Le jubilé doit être pour nous avant tout « un moment de rencontre vivant et personnel avec le Seigneur Jésus, “porte” du salut » (François, Bulle Spes non confundit, 1), étant une occasion de réconciliation, de mémoire reconnaissante et d’espérance partagée, plus qu’une simple célébration extérieure. En programmant les moments jubilaires, le pape François a voulu mettre en évidence l’universalité de l’Église, qui se manifeste dans tant de vocations, d’âges et de situations de vie : familles, enfants, adolescents, jeunes, personnes âgées, ministres ordonnés et laïcs, serviteurs dans l’Église et dans la société. Cette même universalité, qui n’uniformise pas, mais accueille, dialogue et s’enrichit de la diversité des peuples, inclut de manière spéciale vous, les peuples originaires, dont l’histoire, la spiritualité et l’espérance constituent une voix irremplaçable au sein de la communion ecclésiale.
Dans cette perspective, il me semble important de comprendre que lorsque nous franchissons la Porte Sainte, plus que d’accomplir un geste symbolique en entrant dans un beau temple, ce que nous désirons, c’est nous introduire, par la foi, dans la source même de l’amour divin, le côté ouvert du Crucifié (cf. Jn 20,27-29). C’est dans cette foi que nous sommes un peuple de frères, un dans l’Unique (cf. S. Augustin, Commentaire sur le Psaume 127,4). C’est à partir de cette Vérité que nous devons relire notre histoire et notre réalité, pour affronter l’avenir avec l’espérance à laquelle nous convie l’Année Sainte, malgré les labeurs et la tribulation (ibid., 5.10).
Cette perspective peut nous aider dans notre réflexion, car en tant que peuples autochnones, vous vous fortifiez dans la certitude que l’Unique est à la fois l’origine et la fin de l’univers (cf. Rm 11,36), le Premier en tout (cf. Col 1,18) ; source de toute bonté, et ainsi, source première de tout ce qui est bon, y compris dans nos peuples. C’est à partir de cette certitude de foi que jaillit notre joyeuse action de grâce en entrant par la Porte Sainte du Cœur du Christ : « Béni soit Dieu, il nous a choisis dans le Christ, avant la création du monde, pour être ses enfants » (cf. Ep 1,3-5). Tel est le but de notre espérance, elle n’appartient pas seulement à quelques-uns mais à tous, même à ceux qui furent autrefois considérés comme ennemis : « Philistins, Syriens, Éthiopiens », « Égypte et Babylone » (vv. 3-4), les grandes puissances occupantes, « tous sont nés en elle » (Ps 86,5). Saint Augustin dira : « Il n’en nomme que quelques-uns pour que nous les comprenions tous » (Commentaire sur le Psaume 86,6).
Malheureusement, en tant qu’êtres humains, ce n’est pas la seule acception d’“originel” à laquelle nous devons nous confronter. La longue histoire d’évangélisation qu’ont connue nos peuples autochtones, comme l’ont souvent enseigné les évêques d’Amérique latine et des Caraïbes, est chargée de “lumières et d’ombres”. Saint Augustin l’applique dans le cas des serviteurs de l’Évangile en disant : « Si l’homme est bon, il est uni à Dieu et collabore avec Dieu ; s’il est mauvais, Dieu réalise par lui la forme visible du sacrement et donne lui-même la grâce. Retenons cela et il n’y aura pas de schismes entre nous » (Lettre 105, 12). Ainsi, le Jubilé, temps précieux pour le pardon, nous invite à « pardonner de tout cœur à nos frères » (Mt 18,35), à nous réconcilier avec notre propre histoire et à rendre grâce à Dieu pour sa miséricorde envers nous.
De cette manière, en reconnaissant à la fois les lumières et les blessures de notre passé, nous comprenons que nous ne pourrons être un peuple que si nous nous abandonnons réellement au pouvoir de Dieu, à son action en nous. Lui, qui a semé dans toutes les cultures les “semences du Verbe”, les fait fleurir sous une forme nouvelle et surprenante, les émondant pour qu’elles portent davantage de fruits (cf. Jn 15,2). Ainsi l’affirmait mon prédécesseur, saint Jean-Paul II : « La force de l’Évangile est partout transformante et régénératrice. Lorsqu’il pénètre une culture, qui peut s’étonner que bien des éléments y changent ? Il n’y aurait pas de catéchèse si c’était l’Évangile qui devait changer au contact des cultures » (Exhort. apost. post. Catechesi tradendae, 53). C’est pourquoi, dans le dialogue et la rencontre, nous nous enrichissons des différentes façons de voir le monde, nous valorisons ce qui est unique et original dans chaque culture, et ensemble nous découvrons la vie en abondance que le Christ offre à tous les peuples. Cette vie nouvelle nous est donnée précisément parce que nous partageons la fragilité de la condition humaine marquée par le péché originel, et parce que nous avons été rejoints par la grâce du Christ, qui pour tous a répandu jusqu’à la dernière goutte de son Sang, afin que nous ayons « la Vie en abondance » (Jn 10,10), guérissant et rachetant tous ceux qui ouvrent leur cœur à la grâce qui nous a été donnée.
Vous êtes maintenant réunis pour approfondir toutes ces questions, c’est pourquoi je ne veux pas conclure sans mentionner un terme que mon prédécesseur, le pape François, aimait tant : la parrhésie, cette audace évangélique, cette capacité à sortir de de soi-même pour proclamer l’Évangile sans crainte et avec liberté de cœur, qui « dit toute la vérité parce qu’elle est cohérente » (Méditation quotidienne du 18 avril 2020).
Dans l’assemblée des nations, les peuples autochtones doivent présenter avec courage et liberté leur propre richesse humaine, culturelle et chrétienne. L’Église écoute et s’enrichit de leurs voix uniques, qui ont une place irremplaçable dans le chœur magnifique où tous nous proclamons : « Seigneur Dieu éternel, joyeusement nous te chantons, à toi notre louange » (cf. Hymne du Te Deum). Et dans cette louange commune, nous nous rappelons aussi l’appel de l’Évangile à éviter la tentation de mettre au centre ce qui n’est pas Dieu — que ce soit le pouvoir, la domination, la technologie ou toute réalité créée — afin que notre cœur demeure toujours orienté vers l’unique Seigneur, source de vie et d’espérance.
C’est pourquoi, pour ceux d’entre nous qui, par la miséricorde de Dieu, se disent chrétiens, tout notre discernement historique, social, psychologique ou méthodologique trouve son sens ultime dans le commandement suprême de faire connaître Jésus-Christ, mort pour le pardon de nos péchés et ressuscité pour que nous soyons sauvés en son Nom, dès ici-bas, puis pour que nous l’adorions de tout notre être dans la gloire du Ciel.
En confiant vos travaux à la Bienheureuse Vierge Marie de Guadalupe, Étoile de l’évangélisation, qui d’une manière admirable nous a montré comment Jésus-Christ « a fait des deux un seul peuple, abattant le mur d’inimitié qui les séparait » (cf. Ep 2,14), je vous invite à renouveler l’engagement envers le commandement du Seigneur : « Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,19-20), en diffusant la joie qui jaillit de la rencontre avec son divin Cœur.
Vatican, 12 octobre 2025, Notre-Dame de la Conception Aparecida
LEÓN PP. XIV
