2025 : année des Jubilés. 2025 ans de la naissance du Christ, 1700 ans de la réaffirmation de sa divinité à Nicée, 100 ans de l’institution liturgique de la souveraineté du Christ. « Pour pénétrer le peuple des vérités de la foi et l’élever ainsi aux joies de la vie intérieure, les solennités annuelles des fêtes liturgiques sont bien plus efficaces que tous les documents, même les plus graves, du magistère ecclésiastique. Ceux-ci n’atteignent, habituellement, que le petit nombre et les plus cultivés, celles-là touchent et instruisent tous les fidèles ; les uns, si l’on peut dire, ne parlent qu’une fois ; les autres le font chaque année et à perpétuité ; et, si les derniers s’adressent surtout à l’intelligence, les premières étendent leur influence salutaire au cœur et à l’intelligence, donc à l’homme tout entier. » (Pie XI, Quas primas, n° 17).
La solennité du Christ Roi fut alors instituée pour confesser le règne du Christ que l’Église a mission de manifester au monde. Elle soulignait ainsi le rapport de l’Église à l’État, sur fond d’un désir de restauration de la chrétienté ou d’un établissement de la civilisation chrétienne, au regard de l’influence bénéfique du Christ sur toute société (Pie XI, Ubi Arcano). Mais les mutations de la société ne permettaient même plus à l’époque une telle restauration. De plus, de nos jours, nos sociétés sont marquées par un pluralisme indifférencié aux questions religieuses reléguées dans le meilleur des cas à une sphère privée, au rang de simple opinion. Toutefois, elles n’ont pas moins besoin du ferment évangélique. Bien au contraire !
Le Concile Vatican, à travers Dignitatis humanæ et Gaudium et spes, indiquait il y a 60 ans (1965), la dimension eschatologique du règne social de l’Église. Dignitatis humanæ défendait le droit à la liberté religieuse et la liberté de conscience en lien avec l’immunité de coaction qui consiste à « ne pas être contrait d’agir contre sa conscience, à ne pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience » (DH, 3). Et Gaudium et Spes déterminait ainsi le rapport entre l’Église et l’État, rapport devenu quasi normatif et constamment rappelé depuis lors en divers textes magistériels : « L’Église qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine » (GS, n° 76, § 2). Ces principes d’autonomie et d’indépendance, d’interdépendance et de distinction entre ordre surnaturel et ordre politique (GS, n° 36) ne nient certes en rien la centralité de Dieu (GS, n° 36) et du Christ, vérité de l’homme (GS, n° 22), « terme de l’histoire humaine » (GS, n° 45). Par ailleurs, les réformes liturgiques de la fin du concile touchent la fête du Christ Roi qui devient Christ Roi de l’Univers. Comment et à quelles conditions l’Église coopère-t-elle au règne du Christ face aux divers règnes sociopolitiques, souvent indifférents à ses recommandations ?
L’Église doit réellement d’abord se poser comme un « ailleurs » pour l’État en ne considérant point la puissance civile comme un instrument de sa puissance spirituelle. « C’est abaisser l’Église, aussi bien qu’humilier l’État, que de faire de la puissance civile un pur instrument de la puissance spirituelle » (Henri de Lubac). Sa mission est essentiellement spirituelle. C’est du dedans des consciences qu’elle étend le règne de Dieu. Si la loi religieuse ne doit se transformer en norme civile, l’État ne peut non plus porter des vérités définitives. L’Église existe comme lieu de sens, ferment et âme de la société. L’État, comme chaque individu, a besoin des lieux et sphères de sens (GS 76, § 5). Quand le peuple de Dieu est bien nourri de sa foi et de ses implications, il devient un témoin (Ac 1, 8). Le règne du Christ s’étend essentiellement par le témoignage. Celui-ci est favorisé par la culture de l’homme intérieur (Ep 3, 16), la formation du cœur et de la conscience aux valeurs de la justice, du droit et de l’amour. Aujourd’hui plus que jamais, nos sociétés sevrées de valeurs, de sens et de finalité, ont besoin de l’Église et l’Église doit davantage prendre conscience et affiner son mode de manifester le règne du Christ Roi de l’Univers.
Rodrigue Gbédjinou, prêtre
Théologien – Directeur de l’École d’Initiation Théologique et Pastorale
(Cotonou-Bénin)
