Le pape François lors de l’Audience généralme du 18 septembre 2024 © Vatican Media

Le pape François lors de l’Audience généralme du 18 septembre 2024 © Vatican Media

Le déplacement d’une population porterait « atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes »

Lettre du Saint-Père aux évêques des États-Unis d’Amérique

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Nous vous proposons la version française de la lettre que le pape a envoyée aux évêques catholiques des États-Unis sur le thème de la migration. Cette lettre est à resituer dans le contexte des politiques mises en œuvre par le nouveau gouvernement du président Donald Trump.

 

Chers frères dans l’épiscopat,

Je vous écris aujourd’hui pour vous adresser quelques paroles en ce moment délicat que vous vivez en tant que pasteurs du peuple de Dieu, pèlerin aux États-Unis d’Amérique.

1. Le voyage de l’esclavage à la liberté accompli par le peuple d’Israël, tel que nous le rapporte le Livre de l’Exode, nous invite à considérer la réalité de notre temps, si clairement marquée par le phénomène de la migration, en tant que moment décisif dans l’histoire pour réaffirmer non seulement notre foi en un Dieu qui est toujours proche, incarné, migrant et réfugié, mais également la dignité infinie et transcendante de toute personne humaine [1].

Ces paroles par lesquelles je commence ne sont pas des paroles arbitraires. Un examen même sommaire de la doctrine sociale de l’Église montre avec évidence que Jésus Christ est le véritable Emmanuel (cf. Mt 1, 23); il a lui aussi fait l’expérience difficile d’être expulsé de son pays à cause d’un danger imminent pour sa vie, et l’expérience de devoir trouver refuge dans une société et une culture étrangère à la sienne. En devenant homme, le Fils de Dieu a également choisi de vivre le drame de l’immigration. Je voudrais rappeler, entre autres, les paroles par lesquelles le Pape Pie XII a commencé sa Constitution apostolique sur le soin pastoral des migrants, qui est considérée comme la «Magna Carta» de la doctrine de l’Eglise sur la migration:

«La famille de Nazareth en exil, Jésus, Marie et Joseph émigrés et réfugiés en Égypte pour échapper à la colère d’un roi impie, sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, leur famille bien-aimée et les personnes qui leurs sont chères, et se rendre en terre étrangère» [2].

3. De même, Jésus Christ, en aimant chacun d’un amour universel, nous éduque à la reconnaissance permanente de la dignité de tout être humain, sans exception. En effet, lorsque nous parlons d’«infinie et transcendante dignité», nous voulons souligner que la valeur la plus importante que possède la personne humaine dépasse et soutient toute autre considération juridique qui peut être faite pour réguler la vie en société. Ainsi, tous les fidèles chrétiens et les personnes de bonne volonté sont appelés à considérer la légitimité des normes et des politiques publiques à la lumière de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux, et non l’inverse.

4. Je suis de près la crise importante qui a lieu aux États-Unis avec le lancement d’un programme de déportations de masse. Une conscience formée avec droiture ne peut manquer d’exprimer un jugement critique et exprimer son désaccord avec toute mesure qui identifie de façon tacite ou explicite le statut illégal de certains migrants avec la criminalité. Dans le même temps, il faut reconnaître le droit d’un pays à se défendre et à protéger les communautés de ceux qui ont commis des crimes violents ou graves lors de leur séjour dans le pays ou avant leur arrivée. Quoi qu’il en soit, déporter des personnes qui, dans de nombreux cas, ont quitté leur terre pour des raisons d’extrême pauvreté, d’insécurité, d’exploitation, de persécution ou de grave détérioration de l’environnement, porte atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes, et de familles tout entières, et les rend particulièrement vulnérables et sans défense.

5. Il ne s’agit pas d’une question de moindre importance: un authentique état de droit se vérifie précisément dans le traitement digne que toutes les personnes méritent, en particulier les plus pauvres et les plus marginalisés. Le véritable bien commun est promu lorsque la société et le gouvernement, avec créativité et le strict respect des droits de tous — comme je l’ai affirmé en de nombreuses occasions — accueille, protège, promeut et intègre les plus fragiles, sans défense et vulnérables. Cela n’empêche pas le développement d’une politique qui réglemente une migration ordonnée et légale. Toutefois, ce développement ne peut se réaliser à travers le privilège de quelques-uns et le sacrifice d’autres. Ce qui est construit sur le fondement de la force, et non sur la vérité de la dignité égale de tout être humain, commence mal et finira mal.

6. Les chrétiens savent très bien que ce n’est qu’en affirmant l’infinie dignité de tous que notre identité de personnes et de communautés atteint sa maturité. L’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et d’autres groupes. En d’autres termes, la personne humaine n’est pas un simple individu, relativement expansif, ayant des sentiments philanthropiques! La personne humaine est un sujet doté de dignité qui, à travers la relation constitutive avec tous, en particulier les plus pauvres, peut progressivement mûrir dans son identité et sa vocation. Le véritable ordo amoris qui doit être promu est celui que nous découvrons en méditant constamment sur la parabole du «Bon Samaritain» (cf. Lc 10, 25-37), c’est-à-dire en méditant sur l’amour qui construit une fraternité ouverte à tous, sans exception [3].

7. Mais la préoccupation pour l’identité personnelle, communautaire ou nationale, au-delà de ces considérations, peut facilement introduire un critère idéologique qui déforme la vie sociale et impose la volonté du plus fort comme critère de vérité.

8. Chers frères évêques des États-Unis, je reconnais vos efforts précieux, alors que vous travaillez étroitement avec les migrants et les réfugiés, en proclamant Jésus Christ et en promouvant les droits humains fondamentaux. Dieu récompensera abondamment tout ce que vous faites pour la protection et la défense de ceux qui sont considérés comme moins précieux, moins importants ou moins humains!

9. J’exhorte tous les fidèles de l’Église catholique, ainsi que tous les hommes et les femmes de bonne volonté, à ne pas céder aux discours qui discriminent et causent des souffrances inutiles à nos frères et sœurs migrants et réfugiés. Nous sommes appelés avec charité et clarté à vivre dans la solidarité et la fraternité, à jeter des ponts qui nous rapprochent toujours plus, à rejeter les murs d’ignominie et à apprendre à donner nos vies comme Jésus Christ a donné la sienne pour le salut de tous.

10. Demandons à Notre Dame de Guadalupe de protéger les personnes et les familles qui vivent dans la peur et la douleur à cause de la migration et/ou de la déportation. Puisse la «Virgen morena», qui a su réconcilier les peuples lorsqu’ils étaient ennemis, nous accorde de nous retrouver comme frères et sœurs, dans son étreinte, et d’accomplir ainsi un pas en avant dans la construction d’une société plus fraternelle, inclusive et respectueuse de la dignité de tous.

Fraternellement,

François

Du Vatican, le 10 février 2025

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[1] Cf. Dicastère pour la doctrine de la foi, Déclaration Dignitas infinita sur la dignité humaine, 2 avril 2024.

[2] Pie XII, Constitution apostolique Exsul Familia, 1 er août 1952: «Exsul Familia Nazarethana Iesus, Maria, Ioseph, cum ad Aegyptum emigrans tum in Aegypto profuga impii regis iram aufugiens, typus, exemplar et praesidium exstat omnium quorumlibet temporum et locorum emigrantium, peregrinorum ac profugorum omne genus, qui, vel metu persecutionum vel egestate compulsi, patrium locum suavesque parentes et propinquos ac dulces amicos derelinquere coguntur et aliena petere».

[3] Cf. François, Lettre encyclique Fratelli tutti, 3 octobre 2020.

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