Parmi les assistants aux festivités de la réouverture de Notre-Dame de Paris, se trouvait le cardinal Duka, archevêque émérite de Prague. Il nous a accordé une interview que Zenit a l’honneur de publier.
Quelles sont vos impressions sur la réouverture solennelle de la cathédrale Notre-Dame de Paris ?
Mes premières impressions à l’arrivée à Paris étaient un peu compliquées, car nous avons voyagé en petit avion. Le vent a soufflé très fort, le vol a été quelque peu mouvementé et cela a causé du retard. Ensuite, dans le taxi, on avait des difficultés à arriver devant Notre-Dame (bouchons, routes fermées par la Préfecture). Après de longues discussions, nous sommes arrivés et j’ai même réussi à faire passer un confrère dominicain à la cérémonie, à titre d’exception.
J’ai été surpris par la réouverture. L’assemblée composée par de nombreux représentants de l’État était définitivement différent de ce à quoi on s’attendait. D’une certaine manière, étant à Notre-Dame pour la dixième fois, je dois constater que la cathédrale est à présent lumineuse. Elle a réellement retrouvé tout son éclat. Nous savons qu’avant l’incendie elle était en très mauvais état. C’était en partie une politique de certains gouvernements qui investissaient dans la construction de mosquées tout en négligeant la rénovation des cathédrales. Ce n’est donc qu’une remarque secondaire mais je pense que cette rencontre était très importante et magnifique.
Les vêpres à Notre-Dame ont une longue tradition. Paul Claudel y a retrouvé sa foi. C’est un lieu où a prêché l’un des grands réformateurs de notre ordre en Europe, le père Henri Lacordaire, qui était initialement avocat et athée, puis est devenu prêtre et prédicateur, avant de réformer l’ordre en France et dans le monde entier. Les dominicains tchèques ont également été influencés par le père Cormier, une figure marquante jusqu’à la fin du XXe siècle.
Et puis c’est également un temple où j’ai souvent rencontré et concélébré avec le cardinal Jean-Marie Lustiger. Sa visite avant novembre 1989 pour la Pentecôte reste inoubliable, notamment son sermon où il a présenté ses excuses pour Munich, même si cela n’était pas nécessaire.
Pour moi, cette cathédrale est aussi liée au célèbre Te Deum célébré par l’illustre écrivain dominicain et réalisateur, oscarisé pour Le dialogue des carmélites, Raymond Léopold Bruckberger, avec qui j’ai échangé de nombreuses lettres. Charles de Gaulle était également présent à cet événement, et quand la fusillade a éclaté depuis la galerie, tout le monde était sous les bancs, sauf deux personnes : le père Bruckberger et Charles de Gaulle, car d’une manière ou d’une autre, il ne s’inclinait jamais et était toujours convaincu que son Dieu le protégeait, ce qui, nous le savons, a eu une signification après les cinquantaines d’attentats.
Et puis, j’ai donné un sermon ici, la dernière fois, à l’occasion de l’anniversaire de l’ordre dominicain, car la première communauté, déjà organisée, se trouvait à proximité de la Sorbonne. Ils avaient même élu un seul abbé, car il n’y avait pas encore de constitutions.
Ainsi, je me sens lié à Notre-Dame, comme à mon propre destin, car mon premier amour pour elle est né grâce à Quasimodo, le personnage du sonneur dans le roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Pour moi, Notre-Dame est un symbole. Quand elle a brûlé, je l’ai perçu comme un certain signal, une tentative de détruire cette culture et cette civilisation qui sont nées des cathédrales et des universités. Mais nous voyons aujourd’hui que ce n’est pas le cas. La participation de chefs d’État du monde entier, de pays relativement puissants, montre que ce combat culturel n’est pas encore perdu.
Quelle est la signification de la réouverture de la cathédrale pour les Tchèques ?
Le roi Charles IV de Bohème avait bien intégré une épine de la couronne d’épines du Christ, sauvée lors de l’incendie, dans notre couronne.
Certains disent qu’il l’a achetée, d’autres qu’elle lui a été donnée par l’empereur byzantin. Louis IX l’a rapportée à Paris, et la Sainte-Chapelle a été construite pour elle.
Puis, sous Napoléon, lorsqu’il a construit une nouvelle cathédrale pour l’Empire, à savoir l’église de la Madeleine, celle-ci a inspiré l’église du Sacré-Cœur-de-Jésus à Vinohrady, à Prague. La cathédrale devait rester une cathédrale historique du royaume, car nous savons ce qui s’y est passé. Charles IV a pu la visiter plusieurs fois et a participé à de nombreuses célébrations. Contrairement à nous, qui avons une capitale et une cathédrale principales, les Français ont partagé cela : le couronnement se tenait à Reims, les funérailles à Saint-Denis et Notre-Dame était destinée aux solennités. C’est ici qu’a été couronné, entre autres, Henri IV de Navarre, l’un des protagonistes de la Nuit de la Saint-Barthélemy, lui qui passait d’une confession à l’autre.
Nous savons que le couronnement de Napoléon a également eu lieu ici, mais le moment où il pose la couronne sur la tête de sa femme Joséphine est une représentation picturale, car elle avait refusé d’être présente à la cérémonie de couronnement, et le maître David, grand artiste, l’y a ajoutée. Grâce à son tableau, nous savons à quoi ressemblait l’autel. Tout comme nous, à Saint-Guy de Prague, nous n’avons pas l’autel gothique d’origine. À Notre-Dame de Paris, nous avons en fait un autel qui nous ramène à l’époque du cardinal Richelieu, qui a également contribué à la décoration de la cathédrale Notre-Dame.
Et puis c’est le XIXe siècle, où l’on sait qu’après les expériences de la révolution jacobine et des communards révolutionnaires, la cathédrale reçoit un tout nouvel aménagement. La Pietà réalisée par le sculpteur Nicolas Coustou en 1715, où une mère voit son fils mort dans ses bras. C’est en quelque sorte une certaine réminiscence de l’histoire française.
Quels autres éléments vous ont surpris ?
J’ai particulièrement apprécié les orgues. Les organistes ici comptent parmi les meilleurs au monde. Puis, il y a le conservatoire de la cathédrale, l’une des écoles les plus respectées. En écoutant l’orgue, je rêvais intérieurement qu’environ dans un an, j’entendrai aussi le nouvel orgue de la cathédrale Saint-Guy. Il sera un peu différent, avec légèrement moins de tuyaux, mais il restera le plus grand orgue de Prague. En République tchèque, le plus grand orgue se trouve dans l’église Saint-Maurice à Olomouc (l’orgue, l’un des plus grands au monde), mais le nôtre aura quelques éléments et innovations différents, ce qui en fera un grand cadeau pour Saint-Guy.
Notre cathédrale a toujours eu, même sous le communisme, de bons organistes. Je dirais que nous avons un peu de concurrence : les orgues dans le monastère des Prémontrés à Strahov, celles de l’église Saint-Jacques à Brno et parfois même celles de l’église Notre-Dame du Týn à Prague, mais cela dépend des caractéristiques de chaque orgue.
À Notre-Dame, sous le régime de laïcité français, la réouverture montre une fonction différente. Le discours de président Macron, initialement prévu à l’extérieur, a finalement eu lieu à l’intérieur. C’est d’une certaine manière, je dirais, un dépassement du laïcisme. Comme si on le mettait de côté. Un grand candidat à la présidence, Dominique de Villepin, voulait en finir complètement avec le laïcisme et introduire une certaine éducation religieuse dans les écoles. Il considérait cela comme important pour l’enseignement de la culture et de l’histoire. Charles de Gaulle et François Mitterrand ont franchi les limites du laïcisme. Mitterrand, en tant que catholique, est revenu à la foi. Il rendait visite au cardinal Lustiger, qui était à ses côtés lorsqu’il est mort.
Y aurait-il une cérémonie d’ouverture des portes, où Mgr Ulrich frappe à la porte avec sa crosse, similaire en Tchéquie ? Avons-nous une cérémonie différente ?
Chez nous, en Tchéquie, nous avons une cérémonie simplifiée. Notre-Dame est une cathédrale, donc c’était un rite ancien abrégé, avec quelques ajouts modernes et, je dirais, même des éléments propres à Paris.
Comment se déroulera la suite de votre séjour à Paris ?
Demain, après la messe d’inauguration à Notre-Dame, j’ai prévu de visiter la tombe du cardinal Lustiger. Ce n’est pas communément su, mais il était, d’un point de vue ethnique, si je puis le dire ainsi, un pur Juif. Son père et sa mère étaient Juifs et venaient de Silésie, de notre Wrocław, avant de s’installer en France. Ce n’était pas seulement à Paris ou en France, mais une grande partie des jeunes gens qui avaient été sauvés (pendant la Seconde Guerre mondiale) par des familles catholiques ont ensuite choisi le catholicisme. Lustiger était l’un d’eux, mais il portait toujours le nom d’Aron Jean-Marie Lustiger. Aron signifiait qu’il appartenait à la tribu de Lévi, celle des prêtres de l’Ancien Testament descendants d’Aaron, et il mettait cela en avant.
C’était vraiment une personne qui savait vivre son identité, à la fois de Juif croyant et de chrétien croyant. Je ne l’oublierai jamais, car j’ai eu de nombreux échanges avec lui. C’était un homme très érudit. Je le respectais énormément.
Propos recueillis par Alice Muthspiel, radio tchèque