Salle Clémentine, où s’est tenue l'Assemblée plénière du Dicastère pour la Culture et l'Éducation © Vatican Media

Salle Clémentine, où s’est tenue l'Assemblée plénière du Dicastère pour la Culture et l'Éducation © Vatican Media

Éduquer, c’est avoir l’audace de confirmer l’autre avec cette expression : « Je veux que tu sois »

Discours du pape François aux participants à la première Assemblée plénière du Dicastère pour la culture et l’éducation

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Ce matin, 22 novembre, au Palais apostolique du Vatican, le pape François a reçu en audience les participants à la première Assemblée plénière du Dicastère pour la culture et l’éducation, sur le thème : « Passons à l’autre rive » (19-21 novembre 2024). Nous publions ci-dessous le discours, traduit par Zenit, que le Saint-Père a adressé aux participants à la réunion.

 

Monsieur le Cardinal Préfet, Mesdames et Messieurs les Supérieurs du Dicastère
Éminences, Excellences,
Chers frères et sœurs !

Je vous reçois alors que vous tenez la première Assemblée plénière du Dicastère pour la culture et l’éducation. Je saisis cette occasion pour rappeler l’importance du risque de réunir ce binôme : culture et éducation. Lorsque, avec la Constitution apostolique Praedicate Evangelium, j’ai décidé d’unir les deux organes du Saint-Siège qui s’occupent de l’éducation et de la culture, j’ai été motivé non pas tant par la recherche d’une rationalisation économique, mais plutôt par une vision des possibilités de dialogue, de synergie et d’innovation qui peuvent rendre ces deux sphères encore plus fructueuses, je dirais même « débordantes ».

Le monde n’a pas besoin de répétiteurs somnambules de ce qui existe déjà ; il a besoin de nouveaux chorégraphes, de nouveaux interprètes des ressources que l’être humain porte en lui, de nouveaux poètes sociaux. En effet, il n’y a pas besoin de modèles éducatifs qui soient de simples « usines à résultats », sans un projet culturel qui permette de former des personnes capables d’aider le monde à tourner la page, à éradiquer l’inégalité, la pauvreté endémique et l’exclusion. Les pathologies du monde actuel ne sont pas une fatalité que nous devons accepter passivement et encore moins confortablement. Les écoles, les universités, les centres culturels doivent nous apprendre à désirer, à rester assoiffés, à avoir des rêves, car, comme le rappelle la deuxième lettre de Pierre, nous « attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où habite la justice » (3,13).

Cela devrait devenir le critère fondamental de discernement et de conversion de nos pratiques culturelles et éducatives : la qualité des attentes. La question clé pour nos institutions est la suivante : « Qu’est-ce que nous attendons vraiment ? Peut-être la réponse honnête sera-t-elle décevante : le succès aux yeux du monde, l’honneur d’être dans les « classements » ou l’auto-préservation. Bien sûr, si c’était le cas, ce serait trop peu !

Frères et sœurs, l’expérience que Dieu nous permet de réaliser est différente. Je me souviens de ce qu’Emily Dickinson écrit dans l’un de ses poèmes :

« Comme si je demandais une vulgaire aumône,

Et que dans ma main étonnée

Un étranger pressait un royaume,

Et moi, déconcertée, je suis restée –

Comme si je demandais à l’Orient

Qu’il me l’ait donné un matin

Et qu’il soulèverait ses barrages pourpres,

Et me rendrait ivre d’aube ! »1*

« L’ivresse de l’aube », une belle image pour souligner ce processus.

Je vous exhorte moi aussi à comprendre votre mission dans le domaine éducatif et culturel comme un appel à élargir vos horizons, à déborder de vitalité intérieure, à faire place à de nouvelles possibilités, à offrir les modalités du don qui ne s’élargit que lorsqu’il est partagé. À l’éducateur et à l’artiste, notre devoir est de dire : « Soyez généreux, prenez des risques ! ».

Nous n’avons aucune raison d’être envahis par la peur. D’abord parce que le Christ est notre guide et notre compagnon de route. Ensuite, parce que nous sommes les gardiens d’un patrimoine culturel et éducatif plus grand que nous. Nous sommes les héritiers des profondeurs d’Augustin. Nous sommes les héritiers de la poésie d’Éphrem le Syrien. Nous sommes les héritiers des écoles des cathédrales et de ceux qui ont inventé les universités. De Thomas d’Aquin et d’Edith Stein. Nous sommes les héritiers d’un peuple qui a commandé des œuvres à Beato Angelico et à Mozart ou, plus récemment, à Mark Rothko et à Olivier Messiaen. Nous sommes les héritiers d’artistes inspirés par les mystères du Christ. Nous sommes les héritiers de savants comme Blaise Pascal. En un mot, nous sommes les héritiers de la passion éducative et culturelle de tant de saints.

Entourés d’une telle foule de témoins, débarrassons-nous de tout fardeau de pessimisme ; le pessimisme n’est pas chrétien. Convergeons, de toutes nos forces, pour débarrasser l’être humain de l’ombre du nihilisme, qui est peut-être le fléau le plus dangereux de la culture actuelle, parce que c’est celui qui prétend effacer l’espérance. Et n’oublions pas : l’espoir ne déçoit pas, il est une force. Cette image de l’ancre : l’espoir ne déçoit pas.

Si je peux me permettre un secret, j’ai parfois envie de crier à l’oreille de cet âge de l’histoire : « N’oubliez pas l’espérance ! » Il y a parfois le mythe de Turandot : penser que l’espoir déçoit toujours. Je compte sur vous pour que l’Année jubilaire, désormais proche, prolonge ce cri. Il y a tant à faire : c’est le moment de se retrousser les manches.

Aujourd’hui, le monde compte le plus grand nombre d’étudiants de l’histoire. Les chiffres sont encourageants : quelque 110 millions d’enfants terminent leur scolarité primaire. Cependant, de tristes disparités subsistent. En effet, quelque 250 millions d’enfants et d’adolescents ne vont pas à l’école. Changer cette situation est un impératif moral. Car les génocides culturels ne se limitent pas à la destruction du patrimoine. Frères et sœurs, il y a génocide culturel lorsque nous privons les enfants de leur avenir, lorsque nous ne leur offrons pas les conditions pour devenir ce qu’ils pourraient être. Quand nous voyons dans tant d’endroits des enfants chercher dans les ordures des objets à vendre pour pouvoir manger. Pensons à l’avenir de l’humanité avec ces enfants.

Dans son livre Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry monte dans les wagons de troisième classe d’un train rempli de familles de réfugiés. Il s’arrête pour les regarder. Et il écrit : Je suis tourmenté par « une sorte de blessure. […] Il me tourmente que dans chacun de ces hommes il y ait un petit Mozart, assassiné ». Notre responsabilité est immense. Je répète : immense ! Éduquer, c’est avoir l’audace de confirmer l’autre avec cette expression de saint Augustin : « Volo ut sis » : « Je veux que tu sois ». C’est cela éduquer.

Un domaine particulièrement pertinent qui détermine les changements d’époque est celui des énormes bonds qui se produisent dans le développement scientifique et les innovations technologiques. Nous ne pouvons ignorer aujourd’hui l’avènement de la transition numérique et de l’intelligence artificielle, avec toutes ses conséquences. Ce phénomène nous pose des questions cruciales. J’appelle les centres de recherche de nos universités à s’engager dans l’étude de la révolution en cours, en mettant en lumière ses avantages et ses dangers.

Mais, je le répète, il ne faut pas que la peur l’emporte. Rappelons-nous que les transitions culturelles complexes se révèlent souvent les plus fécondes et les plus créatives pour le développement de la pensée humaine. La contemplation du Christ vivant nous permet d’avoir le courage de nous lancer dans l’avenir, en faisant confiance à la parole du Seigneur qui nous interpelle : « Allons sur l’autre rive » (Mc 4,35). S’il vous plaît, ne soyez pas des éducateurs à la retraite ! L’éducateur va toujours de l’avant, toujours.

Je vous remercie pour votre engagement et je prie pour que l’Esprit Saint vous éclaire dans votre travail. Que Marie, siège de la sagesse, vous accompagne dans ce voyage. Je vous bénis tous. Et, s’il vous plaît, je vous demande de prier pour moi. Je vous remercie.

 

1 Tous les poèmes, J323 (1858)

*Traduction libre de l’anglais

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Pape François

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