Sainte Gertrude, depuis plus de sept siècles, n’a cessé d’attirer les âmes contemplatives. Pourquoi cet engouement jamais démenti, tant chez les chartreux que chez les bénédictins et cisterciens, pour un auteur sans cesse réédité, relu, inspirateur de nombreux courants ?
Relire sainte Gertrude, c’est entrer dans une intelligence plus profonde du message de Paray-le-Monial.
Elle naît le 12 janvier 1256. Contemporaine de sainte Hildegarde de Bingen, elle entre au monastère d’Helfta (Allemagne) à l’âge de 5 ans I Le milieu monastique de son époque est en plein renouveau et les moniales vivent dans un environnement culturel de qualité. Helfta s’enrichit de la réforme et des idées de Bernard, mais fréquente aussi les intellectuels dominicains.
Des maitres spirituels exceptionnels
Nous avons du mal à imaginer la culture de ces femmes en plein moyen-âge. Gertrude a lu les Pères de l’Eglise. Elle connaît l’œuvre des victorins, lit et commente !’Ecriture, entretient un courrier abondant pour aider les âmes dans leur recherche de Dieu. Cette paternité ou maternité spirituelle va donner naissance à une œuvre importante dont il ne nous reste que trois ouvrages : Le livre de la grâce spéciale ou les révélations de sainte Mechtilde, le héraut de l’Amour divin, composé de cinq volumes, Les Exercices.
Sainte Gertrude va bénéficier de maîtres spirituels et culturels exceptionnels. Formée au côté de sainte Mechtilde, elle est initiée au mystère du Cœur du Christ contemplé dans !’Ecriture, dans la Tradition des Pères, mais aussi et surtout dans la liturgie et les sacrements. On sait par ses écrits, que sainte Gertrude était chantre et avait une voix qui élevait les âmes dans la contemplation des mystères divins. Gertrude, auteur de la vie de sainte Mechtilde, est la première à faire mention, dans un écrit développé, du Cœur de Jésus.
Un jeune homme dont la beauté est fascinante
La clé de voûte de la spiritualité de sainte Gertrude est bien sûr l’Amour divin. Il prime sur tout. Gertrude n’insiste pas tant sur l’amour que nous devons à Dieu, elle contemple avant tout un Amour qui se donne. Le Cœur de Jésus est offert. Nous ne pouvons pas nous convertir nous-même.
Dans le récit de sa conversion, après bien des années passées au monastère, sainte Gertrude voit un jeune homme (le Christ) dont la beauté est fascinante. Une haie épineuse infranchissable (son péché) les sépare. Gertrude voudra rejoindre Celui vers lequel son Cœur aspire sans être d’aucun secours à elle-même. La conversion n’est pas le fruit de nos efforts. Il faudra que le Seigneur la fasse passer de son côté pour qu’elle puisse être près de Lui.
Emportée par l’Amour
Tout au long de son œuvre, Gertrude va revenir sur ce qu’elle considère comme une révélation. Lorsqu’elle pèche, le Seigneur semble ne pas le voir. Il lui donne tellement d’amour que, confondue, sainte Gertrude est emportée par l’Amour. Cela n’empêchera pas le Christ par la suite d’être très exigeant avec elle : ne perd-elle pas la présence du Christ pendant dix jours pour un manque d’attention à l’Hôte divin ?
L’Amour divin est tout pour Gertrude ; avec audace, elle le compare à un cellier où le vin délicieux enivre jusqu’à tituber, hoqueter. Sainte Gertrude n’a pas peur des images audacieuses, comme pour nous décider à ne pas rester de glace devant un tel amour. L’Amour divin se traduit par le goût, les odeurs, la lumière, le langage de l’intimité, du baiser.
Gertrude n’est pas extravagante elle aime et est aimée. Nous sommes loin d’une spiritualité terne, pleureuse. Sainte Gertrude étourdit son lecteur, elle l’invite à courir le Cœur dilaté dans la voie de l’Amour. Unie au Cœur de Jésus, sainte Gertrude se servira du Cœur de Jésus comme d’une lyre pour glorifier l’Amour éternel du Père.
Le Cœur de Jésus est la clé de tous les mystères du Christ
Le Cœur de Jésus tient une place éminente dans la spiritualité de Sainte Gertrude : lieu d’intelligence, origine et fin de la vie humaine, don de l’Amour du Père.
Les sources de Gertrude sont scripturaires, elle citera de manière allusive les textes johanniques, Ezéchiel, le Cantique des Cantiques, mais aussi des textes de l’Exode évoquant la Terre Promise ou l’Arche d’alliance. Le Cœur de Jésus est cette Terre Promise, cette Arche déi fiée. Elle s’inscrit aussi, nous l’avons mentionné, dans la tradition des Pères. Le côté transpercé a inspiré les actes des premiers martyrs. Gertrude connaît les commentaires de saint Augustin où l’Eglise, nouvelle Eve, est tirée du côté du nouvel Adam : le Christ.
Sainte Gertrude va y ajouter son génie. Elle est la première à avoir l’audace de relire tous les mystères du Christ à partir du Cœur de Jésus. Il est le résumé vivant, vivifiant, actif, transformant des mystères de Jésus : Cœur de chair (incarnation), Cœur divin, Cœur crucifié (salut), Cœur ouvert (Révélation), Cœur accueillant (sanctification), Cœur trinitaire.
Gertrude connaît le Christ en relisant tous ces mystères à la lumière de son Amour infini. En cela, sainte Gertrude est une prodigieuse théologienne et mériterait le titre de docteur de l’Eglise. Elle trans met l’intelligence dans le goût de l’Amour.
Sainte Gertrude veut nous aider
Je me suis longtemps demandé pourquoi sainte Gertrude écrivait et pourquoi elle prenait tant de temps à évoquer les dons spirituels qui lui avaient été faits. La réponse m’a été donnée de manière fulgurante à Paray-le-Monial : sainte Gertrude nous fait acteur, elle nous place à ses côtés pour nous communiquer une solidarité de grâce avec elle. En cela se confirme la Parole du Seigneur que reprend la Liturgie de la fête de la sainte : si vous voulez me trouver, cherchez-moi dans le Cœur de Gertrude
Dom Hugues Minguet Moine bénédictin – Ganagobie
