L’Inde a fermement rejeté le dernier rapport publié le 2 octobre par la Commission des États-Unis pour la Liberté Religieuse Internationale (USCIRF) qui la désigne, pour la cinquième année consécutive, comme un « pays de préoccupation particulière ». Ce nouveau rapport annuel de 2024 estime que « le gouvernement indien continue de réprimer et de restreindre les communautés religieuses », alors que de nouvelles lois ont été votées cette année à l’encontre des libertés religieuses dans le pays d’Asie du Sud.
Selon la Commission des États-Unis sur la Liberté Religieuse Internationale (USCIRF), la « trajectoire préoccupante » se poursuit. Dans un rapport publié le 2 octobre, la commission estime que l’Inde, sous la gouvernance du parti nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi, fait face une « détérioration » des conditions de la liberté religieuse.
L’USCIRF, dont la mission consiste à surveiller le droit universel à la liberté religieuse à l’étranger et à émettre des recommandations politiques, n’en est pas à sa première alerte. Dès 2020, elle avait désigné l’Inde comme un « pays de préoccupation particulière ». À l’occasion de la sortie de son dernier rapport, l’USCIRF maintient cette recommandation en raison de « violations systématiques, régulières et flagrantes de la liberté religieuse ».
Les faits reprochés à l’Inde concernent à la fois des violences ciblées contre les minorités religieuses, la propagation de discours discriminatoires, et la mise en place de législations restreignant les droits de ces minorités. « Le rapport souligne qu’au cours de l’année 2024, des individus ont été tués, battus et lynchés par des groupes de militants, des responsables religieux ont été arrêtés de manière arbitraire, et des maisons ainsi que des lieux de culte ont été détruits. Ces événements constituent des violations particulièrement graves de la liberté religieuse », résume l’organisation américaine sur son site.
L’USCIRF documente notamment « l’expropriation de lieux de culte », en particulier la démolition de mosquées mais aussi de propriétés musulmanes au moyen de bulldozers, sous le prétexte d’éliminer des « constructions illégales ».
Un climat politique de plus en plus discriminatoire
Si les incidents rapportés visent fréquemment la communauté musulmane, la petite minorité chrétienne, qui représente 2,3 % d’une population de 1,4 milliard d’habitants, est également concernée. Le rapport met en lumière pas moins de 161 attaques perpétrées contre des chrétiens, dont 47 dans le seul État du Chhattisgarh, entre janvier et mars 2024. D’après l’USCIRF, les chrétiens font face en Inde à des menaces de violence et de discrimination de plus en plus hostiles.
Par ailleurs, le rapport décrit « le recours à la désinformation, y compris des discours de haine, par des fonctionnaires du gouvernement afin d’inciter à des attaques contre les minorités religieuses et leurs lieux de culte ». Ces observations surviennent dans un climat politique qui a été dominé, cette année, par la tenue d’un scrutin national et une campagne teintée de fortes revendications hindoues du parti au pouvoir. Selon le rapport, les politiciens ont promu un « discours de haine et un rhétorique discriminatoire » contre les chrétiens et les musulmans. L’USCIRF note que les discours du Premier ministre Narendra Modi ont particulièrement ciblé les musulmans qui ont été qualifiés, selon ses mots, d’« infiltrés ».
12 États indiens sur 28 ont adopté des lois anti-conversion
Enfin, le rapport critique « les modifications et l’application du cadre juridique indien visant à cibler et à priver de droits les minorités religieuses, y compris la Loi sur l’Amendement de la Citoyenneté (CAA), un Code Civil Uniforme (UCC) et plusieurs lois anti-conversion et d’abattage des vaches au niveau des États ». Douze des 28 États de l’Inde ont ainsi adopté des lois anti-conversion, qui sont souvent utilisées pour cibler les relations interconfessionnelles, et en particulier les citoyens musulmans. Selon l’USCIRF, de nombreuses lois « dépassent largement les cas de coercition ».
Dans ce contexte, la Commission des États-Unis sur la Liberté Religieuse Internationale a demandé, pour la cinquième année consécutive, que l’administration américaine déclare l’Inde comme un « pays de préoccupation particulière ». Cette désignation s’applique aux pays responsables de graves violations de la liberté religieuse, en vertu de la Loi sur la Liberté Religieuse Internationale de 1998.
En Inde, les réactions à la publication de ce rapport ont été immédiates et ne diffèrent pas des années précédentes. L’USCIRF « est une organisation biaisée avec un agenda politique » a dénoncé Randhir Jaiswal, le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères. « Nous rejetons ce rapport malveillant, qui ne fait que discréditer davantage l’USCIRF ». M. Randhir Jaiswal a par ailleurs demandé à l’USCIRF de « s’abstenir de fournir de tels efforts qui sont motivés par un agenda » et de « se concentrer plutôt sur les questions de droits humains dans son propre pays ».
« Il est triste que le gouvernement indien balaye le rapport sous le tapis »
Des personnalités proches du pouvoir ont également été promptes à dénoncer une arrogance occidentale. « La Commission américaine pour la liberté religieuse internationale ne fait pas même l’effort de comprendre l’éthique diverse, pluraliste et démocratique de l’Inde », a ainsi écrit, sur un site d’informations, Prabhu Dayal, un diplomate à la retraite et ancien consul général à New York. « Le droit à la liberté de religion est inscrit dans la constitution indienne. Les Américains aiment à penser que leur pays est un bastion de liberté et d’opportunité », a-t-il poursuivi. « Au lieu de pointer l’Inde du doigt, les États-Unis feraient mieux de corriger les injustices dans leur propre société. »
« Il est triste que le gouvernement indien balaye le rapport sous le tapis et le qualifie de ‘biaisé’ », a pour sa part réagi A. C. Michael, cité par l’agence catholique Ucanews. Ce défenseur des droits humains est le coordinateur national du United Christian Forum (UCF), un organisme qui documente les persécutions contre les chrétiens en Inde et qui a enregistré pas moins de 447 incidents violents contre cette minorité entre le 1er janvier et le 10 août 2024. Selon A. C. Michael, « le gouvernement devrait prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits religieux des minorités ».
(Ad Extra, A. B.)