Une jeune participante aux Journées mondiales de la jeunesse © Humanitas

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Réflexion sur le diaconat féminin

De la situation dans les premiers siècles aux ministères institués en 2021

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La question qui se pose aujourd’hui est donc différente : est-il nécessaire de rétablir un ministère de service ? Pour quelle raison ? Ne faut-il pas se demander de quel ministère le peuple de Dieu a besoin aujourd’hui ?

L’article suivant correspond à la contribution de la théologienne Mechelina Tenace à la table ronde « Femmes et ministères, status quaestionis », du Symposium International « Pour une théologie fondamentale du sacerdoce » qui s’est tenue à Rome du 17 au 19 février 2022, et dont la revue Humanitas était l’un des sponsors. Les actes du séminaire ont été publiés en espagnol en deux volumes avec l’ensemble des communications et des perspectives complémentaires.

Nous remercions le Centre de Recherche et d’Anthropologie des Vocations d’avoir permis la publication de cet article et d’avoir mis les livres à la disposition du public sur le site web des Publications Clarétaines.

La commission que le Pape François a instituée en 2016 pour le diaconat féminin a été une surprise pour les membres appelés à y participer. La moitié d’entre nous soit six personnes, étaient des femmes. C’était un événement qui se voulait dans la réflexion théologique de l’Église catholique. Et il n’a pas failli à sa tâche. Il a eu un impact dont nous avons déjà commencé à voir les premiers signes – le motu proprio Spiritus Domini du 11 janvier 2021 parle de l’accès des femmes au ministère institué du lectorat et de l’acolytat.

Au-delà de cette perspective d’étude interne, la tâche de la commission a été appréhendée de manière réduite et inappropriée ; comme s’il s’agissait de trouver des arguments historiques pour restaurer un ministère féminin attesté par le terme « diaconesse » aux premiers siècles (dans certaines lettres de saint Paul et dans d’autres documents analysés par la commission).

La commission avait pour mission d’étudier, certes, mais pas de restituer. Pour au moins deux raisons liées à l’Écriture et à la Tradition. L’Écriture n’est pas lue pour justifier un courant de pensée. Et l’étude de la Tradition ne veut pas actualiser quelque chose du passé. L’Ecriture se lit dans l’Esprit – la révélation – et la Tradition se lit dans la lettre – l’histoire. Sinon, on risque de trahir la nouveauté que l’Esprit apporte à chaque moment de l’histoire.

Les diaconesses sont mentionnées dans l’Écriture et dans la tradition de l’Église primitive. Il en ressort la participation des femmes à l’évangélisation de la charité pour tous et la présence des femmes dans des services (ministères) qui les mettaient en contact avec d’autres femmes dans un lieu où la culture de la pudeur l’indiquait (notamment pour le baptême et l’onction des malades).

La question qui se pose aujourd’hui est donc différente : est-il nécessaire de rétablir un ministère de service ? Pour quelle raison ? Ne devrions-nous pas plutôt nous demander de quel ministère le peuple de Dieu a besoin aujourd’hui ?

Ce qui est courageux aujourd’hui, c’est la nouveauté, et non la simple restauration de quelque chose qui appartient au passé. La tentative de restauration est anachronique. La recherche de la nouveauté est prophétique parce que la nouveauté doit tenir compte du chemin de croissance au sein des changements culturels, sociaux et théologiques.

La première commission consacrée à la recherche historique a établi quelques faits indiscutables. J’en citerai trois : dans l’Église primitive, il y avait des diaconesses ; il y avait un rite propre lié à ce ministère ; et la présence des diaconesses a complètement disparu dans l’Église latine.

Néanmoins, le véritable succès de la commission a été d’ouvrir une voie et d’indiquer plusieurs directions : la disparition des diaconesses n’a pas impliqué la disparition des femmes dans l’Église ; la sainteté des femmes a été reconnue sans aucune discrimination ; et la diaconie, le service, a été accomplie sans « ministère institué ».

Pourquoi est-il nécessaire de réfléchir maintenant à l’histoire des ministères qui n’ont pas été conférés aux femmes ? Parce que ce moment historique de l’absence des femmes dans les ministères a coïncidé avec une dérive « sexiste-cléricale » de l’Église qui n’a pas laissé resplendir son vrai visage d’humanité nouvelle, où les hommes et les femmes sont revêtus de la même dignité d´enfants.

Alors pourquoi est-il si important et urgent d’instituer des ministères pour les femmes ? Non pas pour reconnaître la dignité des femmes, mais pour reconnaître la véritable identité de l’Église.  C’est l’Église qui a besoin des femmes et qui doit les appeler à son service.

Sur la base de cet appel de l’Église, les femmes pourront répondre « oui » et faire fructifier leurs dons pour le bien de tous. Si l’Église ne les appelle pas, il est probable qu’un ministère sera considéré comme un droit. Mais servir n’est pas un droit, c’est un devoir.

A partir de ce devoir de servir comme Jésus l’a fait, l’Eglise réalise aussi, à travers sa structure hiérarchique, qu’elle doit constamment se demander comment servir au mieux l’humanité dans sa quête du salut et de la manière la plus conforme au commandement du Maître.

Telle est la portée du discernement de l’Église sur les ministères féminins : le bien du peuple de Dieu dans des contextes géographiques, culturels et ecclésiaux si différents.

Pour qu’elle ne soit pas une réponse dictée par l’emprise d’une idéologie – l’idéologie féministe qui a trop revendiqué le droit – la réflexion sur les ministères doit revenir à la source : au baptême, où toute vocation naît et s’épanouit.

Nous voyons ainsi ce qui ne manque jamais à un baptisé : étant entré comme nouvelle créature dans la mort et la résurrection du Christ, il participe à son sacerdoce et s’incorpore ainsi à la dignité du corps qui continue dans l’histoire à assurer le chemin vers le Père. La dignité du baptisé est la dignité de tous, hommes et femmes. Le pape François nous le rappelle à de nombreuses reprises. Le baptême est la source incontestable de la sainteté pour tous.

Si nous partons de là, nous découvrirons comment énoncer le service et par rapport à quels ministères. Car la dignité n’est pas seulement liée au service sacerdotal : il est donc contradictoire de penser qu’accorder le sacerdoce aux femmes serait une manière de reconnaître leur dignité. Le service est déterminé par la nécessité, par l’exigence, par l’urgence de la charité.

Il ne s’agit donc pas de rétablir le diaconat féminin ; il serait trop pauvre s’il se limitait aux fonctions des diaconesses que l’histoire a connues. Il s’agit de faire autre chose : écouter ce que l’Esprit suggère à l’Église pour que le visage masculin et féminin de l’humanité soit rétabli vers le Royaume. En respectant la vocation de chacun, sans permettre que la diversité soit utilisée contre les autres, mais en la faisant reconnaître comme un bénéfice pour chacun. Sinon, le danger est que le « sacerdoce commun » reste une expression désincarnée, un mirage en attente de la réalité.

Il y a peut-être un autre danger, celui de la promotion des laïcs, et donc des femmes, qui consiste la plupart du temps à les faire entrer dans la zone grise du sacerdoce ministériel, au plus près de l’autel dans la célébration de l’Eucharistie. Cette célébration est considérée comme la seule réalité digne, car seul « le Christ en personne » y agit. Le Christ masculin (et non féminin) est une réalité liée à la logique de l’incarnation. Le Sauveur, par respect pour l’humanité qu’il voulait assumer, est né comme un enfant mâle en qui l’ancienne alliance a été gravée par la circoncision ; pour révéler la dignité de l’humanité féminine, il est né d’une femme qui, « pleine de grâce », devient la première rédemptrice élevée au ciel dans la demeure de la Trinité.

Nous croyons que la question des ministères féminins comporte deux réductions : la réduction de la dignité de tout ministère à la dignité du sacerdoce ministériel, et la réduction de la dignité du sacerdoce ministériel au sacerdoce du Christ en tant que « mâle ». Cette réduction n’est pas conforme à la foi : le Fils, deuxième personne de la Trinité, est notre Sauveur en tant que personne de nature humaine et divine. Le salut s’adresse à tous, hommes et femmes, en tant que personnes différentes.

À quelle réflexion cette considération de la foi nous conduit-elle ? L’homme et la femme sont deux réalités qui expriment une diversité complémentaire en ce qui concerne la reproduction : selon leur propre « genre », l’homme « engendre » et la femme « met au monde ». Ainsi, symboliquement, hommes et femmes participent au sacerdoce unique du Christ qui a confié à l’Église ceux qui « engendrent » – en vertu du sacerdoce ministériel – et ceux qui « mettent au monde » – en vertu du sacerdoce commun – dans une dépendance et un soutien mutuel.

La réflexion sur les ministères féminins dans l’Église ne peut se passer d’une théologie renouvelée de la personne humaine – une anthropologie qui considère le masculin et le féminin selon la création et la vocation – et cette anthropologie du masculin et du féminin doit être le fondement de la réflexion sur les ministères dans le contexte d’une ecclésiologie de communion sur un chemin de synodalité.

Je voudrais conclure avec les mots du titre d’un livre de Bernard Pottier, l’un des membres de la commission. J’ajouterai juste un point d’interrogation à la fin du titre. Le diaconat féminin. Jadis et bientôt [1]. Je dirais : le diaconat féminin. Jadis et bientôt ? A suivre !

 

 

Notes * Mechelina Tenace est professeur de théologie à l’Université Pontificale Grégorienne, où elle enseigne les matières relatives à l’anthropologie théologique, à l’Orient chrétien et à la théologie spirituelle. Au sein de cette même faculté, elle a dirigé le département de théologie fondamentale de 2011 à 2018. Depuis 2018, elle est consultante auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

[1] Pottier, Bernard ; Le diaconat féminin. Jadis et bientôt. Lessius, Belgique, 2021.

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Rédaction

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