Compassion (1897) par William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) © Commons wikimedia

Compassion (1897) par William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - © Commons wikimedia

Mission et compassion, par Mgr Follo

« Si nous souhaitons être missionnaires, il est très important de prendre le temps d’être seul avec le Christ »

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XVIe dimanche Temps Ordinaire – Année B – 21 juillet 2024

Jr 23,1-6 ; Ps 22 ; Ep 2,13-18 ; Mc 6,30-34

 

1) La Mission naît de la communion et en elle, elle se réconforte

 

L’Évangile de ce sixième dimanche du temps ordinaire (année B), nous montre les disciples du Christ qui reviennent de la mission, pendant laquelle ils ont annoncé la bonne et joyeuse nouvelle : « l’Évangile de la Joie » (Pape François).

En effet, alors que l’Évangile de dimanche dernier nous a montré Jésus qui envoyait les douze apôtres, deux par deux, dans les villages de Galilée pour annoncer la venue du royaume de Dieu, guérir les malades et aider les faibles et les pauvres, le passage de l’Évangile d’aujourd’hui nous présente le retour des disciples de leur mission. Ceux-ci reviennent heureux du Christ. Ils sont heureux, mais aussi un peu fatigués, comme cela arrive à tous les vrais « missionnaires » qui s’oublient et luttent pour porter l’Évangile au monde, la bonne et heureuse nouvelle où la miséricorde a pris demeure parmi les hommes.

Durant leur voyage apostolique, ils ont expérimenté le pouvoir de la Parole, mais aussi la fatigue et le rejet. Et aujourd’hui, Jésus les invite à se reposer, dans un lieu solitaire, en sa compagnie : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » (Mc 6, 31). Car c’est dans le désert que Dieu parle à leur cœur et au nôtre. Il y a le moment de la mission et de l’engagement et il y a le moment du repos. Il y a le moment de l’accueil et le moment de la solitude. Avec le Christ, le « lieu solitaire » devient une oasis pour s’arrêter et savourer la joie de la communion avec Lui et étancher notre soif de Dieu.

Qu’elle ait lieu dans des terres lointaines ou avec le voisin avec qui nous vivons et travaillons, la mission a besoin non seulement de mots et de témoignages, mais aussi de prière et de contemplation. Il faut le silence du désert pour saisir ce qui seul est essentiel ; sans les paroles des hommes, il est plus facile d’écouter la Parole de Dieu. Il ne s’agit pas de parler ou de se taire, de faire ou de ne pas faire ; il s’agit de décider avec qui parler, avec qui agir. Saint Thérèse de Calcutta disait à ses sœurs : « Pour pouvoir réaliser la paix, nous parlerons beaucoup à Dieu et avec Dieu, et moins avec les hommes et aux hommes »

Pour mettre en pratique cet enseignement de la Sainte « des plus pauvres des pauvres », je pense qu’il est utile de souligner non seulement l’importance de trouver des moments de méditation pendant la journée et d’aller dans des endroits pour faire une retraite spirituelle, mais avoir le « besoin » d’aller à l’église pour goûter ce « repos » qu’est la messe du Dimanche.

Peut-être que, normalement, la messe du Dimanche n’est pas vécue comme un moment de repos, mais au moins le dimanche, nous accueillons l’invitation du Christ à « rester à l’écart », autrement dit, loin des distractions, même celles, légitimes, des vacances, pour pouvoir rencontrer Dieu et dialoguer avec lui, écouter une Parole vraie sur la vie, se nourrir d’une nourriture de communion et d’une amitié solide, recevoir la grâce capable de nous tenir unis.

Il ne s’agit pas de s’évader de la vie. La rencontre avec le Seigneur le dimanche est comme une lumière qui illumine le temps d’hier, pour le comprendre, qui sanctifie le présent, le met entre les mains de Dieu, et qui illumine le temps de demain, pour nous montrer le chemin. De cette façon, nous pouvons tous être des missionnaires qui marchons dans le monde entier afin de chercher les autres et qui s’arrêtons avec le Christ pour nous retrouver nous-mêmes, consolés par Lui.

 

2) La prière n’est pas fuite de la mission. Elle en est l’âme

Les gens, de l’époque et d’aujourd’hui, sont sans aucun doute l’objet primaire de la mission du Seigneur et des disciples. C’est vers eux que la compassion de Jésus est dirigée ; pour cette raison, l’Évangile peut noter : « de fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger ». Toutefois, cela n’empêche pas le Christ et ses disciples de vivre des moments « en marge », ce que ne signifie pas une évasion du monde et des hommes. Il s’agit d’instants où le Christ enseigne à ses disciples comment vivre en communion. « En marge », les disciples n’écoutent que le Seigneur, ils font descendre dans leurs cœurs les paroles de l’Écriture qui sont comme un plus grand souffle pour reposer le cœur, éclairer l’esprit, penser comment leur Maître pense, aimer comme il aime et être en paix avec lui.

Si nous souhaitons, donc, vraiment être missionnaires et faire du bien à l’humanité, il est très important, je dirais indispensable, de prendre le temps d’être seul avec le Christ. En plus de la Messe, par conséquent, nous trouvons le temps, chaque jour, d’être en silence, en prière, en écoutant le Seigneur.

Un exemple très significatif vient des vierges consacrées qui, avec leur vie centrée sur la prière, montrent que les choses importantes à faire, à faire immédiatement et toujours, ne sont pas les choses du monde, mais l’accueil du Christ et de son Royaume. L’urgence des « choses de Dieu », la recherche de Dieu, l’écoute de sa Parole est la condition prioritaire pour faire de la place aux gens, sans être submergé par la hâte des choses à faire et l’angoisse de la possession.

Et l’amour du Christ, à qui elles se sont données pleinement et joyeusement, entoure, implique et motive les vierges consacrées envers les frères et sœurs en humanité, leur apportant l’heureuse nouvelle que Dieu existe, qu’il est possible le rencontrer et qu’il a construit sa tente parmi nous.

Ces femmes témoignent aussi que la prière assidue ne les éloigne pas du monde où elles travaillent tous les jours. La prière constante les maintient orientées vers le Christ. En effet, sans Lui, même avec les meilleures intentions et avec les actions faites dans le but de faire du bien aux autres, on peut s’égarer soi-même. On peut « se vider » au point de ne plus vérifier le sens et l’orientation pour lesquels on travaille. Si nous ne prions pas « en reposant avec et dans le Christ », nous sommes comme des feuilles dans le tourbillon de ce qui nous entoure.

La consécration « oblige » les vierges à donner la priorité à Dieu. Il les remplit de grâce parce qu’elles se sont tenues à part pour Lui. À ceux qui, silencieusement et discrètement, Lui donnent leur temps et leur vie, le Seigneur dispense sa richesse. Pour cette raison « nous ne devons pas mesurer le temps dans la prière. Plus nous en perdons, plus nous en gagnons » (Chiara Lubich, grande maitresse spirituelle et fondatrice du Mouvement des Focolari)

Dans le temps donné généreusement au Christ, ces femmes consacrées regardent Jésus et nous donnent l’exemple sur la manière de le regarder et d’avoir son regard qui ne s’arrête pas à la surface mais saisit ce qui est dans le cœur des gens.

Pour Jésus, les personnes qu’il rencontre ne sont pas des nombres, ils ne sont même pas des masses indistinctes à utiliser. Pour lui, chaque personne est un visage et un chemin à prendre en charge. Sa vision peut voir dans des situations non pas un problème à résoudre mais un ‘toi’, un peuple fait de visages, qui souffre, qui pose une question, qui vit d’une attente, qui ressent le poids de la contradiction du mal mais aussi la soif de la vérité et de l’amour.

La façon de regarder de Jésus est de voir qu’il fait une pause, il s’arrête, il se laisse toucher par ceux qui sont devant lui. Son premier mouvement est l’écoute, l’hospitalité. Si nous apprenons la manière de regarder comme le Christ regarde, ce qui arrive aux yeux ne vient pas seulement à l’esprit et aussi au cœur, mais fait s’émouvoir, comme le dit l’Évangile d’aujourd’hui.

Dans cet Évangile, Saint Marc nous dit que Jésus est ému devant les gens. Tout d’abord, il se laisse blesser. Il ne se montre pas comme quelqu’un qui a quelque chose à donner. Jésus rencontre les gens comme une pauvre et fait place à la souffrance, à la demande de santé et de vie, à la peur, bref à tout ce qui bouge au plus profond du cœur humain. Sans juger, sans exclure, mais en faisant compagnie. « S’émouvoir » est un verbe « féminin » car, en hébreu, il indique le mouvement des viscères maternelles. Avec Jésus, laissons-nous changer de l’intérieur et partageons sa compassion.

 

Lecture patristique

Saint Bède le Vénérable (ca 673 – 735)
Commentaire sur l’évangile de Marc, 2

CCL 120, 5 10-5 H

Les Apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportent tout ce qu’ils ont fait et enseigné (Mc 6,30). Les Apôtres ne sont pas seuls lorsqu’ils rapportent au Seigneur ce qu’ils ont fait et enseigné, mais ses disciples et ceux de Jean Baptiste viennent aussi lui annoncer ce que Jean a souffert pendant que les Apôtres enseignaient. <> Et il leur dit : Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. <> Pour faire comprendre combien il était nécessaire d’accorder du repos aux disciples, l’évangéliste poursuit en disant : De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger (Mc 6,31) La fatigue de ceux qui enseignaient, ainsi que l’ardeur de ceux qui s’instruisaient, montrent bien ici comme on était heureux en ce temps-là.

Plût au ciel qu’il en fût de même encore à notre époque, qu’un grand concours de fidèles se pressât autour des ministres de la Parole pour les entendre, sans même leur laisser le temps de reprendre des forces ! Car lorsqu’ils manquent du temps nécessaire pour prendre soin d’eux-mêmes, ils ont encore moins la possibilité de s’abandonner aux séductions de l’âme et du corps. Ou plutôt, du fait que l’on réclame d’eux à temps et à contretemps la parole de foi et le ministère du salut, ils brûlent du désir de méditer les pensées célestes et de les mettre sans cesse en pratique, de sorte que leurs actes ne démentent pas leurs enseignements.

Ils partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l’écart (Mc 6,32). Les disciples ne montèrent pas seuls dans la barque, mais ils prirent avec eux le Seigneur et gagnèrent un endroit désert, comme l’évangéliste Matthieu l’indique clairement. Les gens les virent s’éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux (Mc 6,33). En disant qu’ils partirent à pied et arrivèrent avant eux, l’évangéliste laisse entendre que les disciples et le Seigneur n’ont pas navigué jusqu’à l’autre rive de la mer de Galilée ou du Jourdain, mais qu’après avoir traversé en barque un bras de mer ou une crique, ils sont parvenus à un endroit proche, situé dans la même région, et que les gens du pays pouvaient aussi gagner à pied.

En débarquant, Jésus vit une foule nombreuse, et il en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à les instruire longuement (Mc 6,34). Matthieu donne plus d’explications sur la manière dont Jésus eut pitié d’eux, quand il dit: Et il en eut pitié, et il guérit leurs infirmes (Mt 14,14). Car avoir pitié des pauvres et de ceux qui n’ont pas de berger, c’est précisément leur ouvrir le chemin de la vérité en les instruisant, faire disparaître leurs infirmités physiques en les soignant, mais aussi les nourrir quand ils ont faim, et les encourager ainsi à louer la générosité divine. C’est ce que Jésus a fait, comme nous le rappelle encore la suite de cet évangile.

Il a en outre mis à l’épreuve la foi de la foule, et l’ayant éprouvée, lui a donné en retour une récompense proportionnée. Il a gagné en effet un endroit isolé pour voir si les gens auraient soin de les suivre. Eux l’ont suivi. Ils ont pris en toute hâte la route du désert, non sur des ânes ou des véhicules de tout genre, mais à pied, et ils ont montré, par cet effort personnel, quel grand soin ils avaient de leur salut.

En retour, Jésus a accueilli ces gens fatigués. Comme sauveur et médecin plein de puissance et de bonté, il a instruit les ignorants, guéri les malades et nourri les affamés, manifestant ainsi quelle grande joie lui procure l’amour des croyants.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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