XIVe Dimanche du Temps Ordinaire – Année B – 7 juillet 2024
Rite Romain
Ez 2,2-5; Ps 122; 2 Co 12,7-10; Mc 6,1-6
Rite Ambrosien
VIIIème Dimanche après Pentecôte
Gn 10,6-15; Ps 19; Rm 8,31b-39; Jn 16,33-17,3
1) Etonnement et scandale
Avec les yeux de l’esprit et du cœur, nous imaginons contempler la scène de l’Evangile d’aujourd’hui afin de nous étonner, nous aussi, à la vue du visage sacré du Christ et à l’écoute des paroles de la Parole (Christ) de Dieu, qui s’est faite chair.
Laissons-nous surprendre par la présence évocatrice du Fils de Dieu, sans nous scandaliser comme l’ont fait certains de ses compatriotes dont l’Evangile d’aujourd’hui nous en parle.
Mais pourquoi la joie de l’étonnement chez certains (aujourd’hui, comme il y a deux mille ans) est remplacée par l’irritation du scandale. Qu’est-ce que nous scandalise chez le Christ ? C’est parce que ce que le Christ manifeste de lui-même ne correspond pas au concept (ou plutôt de préjugés) qu’on s’est créé de lui.
Il s’agit d’un paradoxe qui vient de loin. Le paradoxe d’un Dieu né d’une simple, pauvre et jeune femme dans une grotte. Le Rédempteur du monde est celui qui a comme disciples et amis des pêcheurs, celui qui guérit les malades, ressuscite les morts. Un Maître qui enseigne des choses profondes mais qui annonce une libération non politique et meurt comme un voleur quelconque, cloué sur une croix. C’était évidemment trop pour les Juifs de son temps. C’était, et c’est, un signe important mais un signe de contradiction.
Donc, il n’est pas étonnant que l’Evangile d’aujourd’hui relate que les compatriotes de Jésus passent de l’étonnement au scandale et disent « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » (Mc 6, 3).
D’où le scandale, mot qui indique un obstacle à la foi, quelque chose qui nous empêche de croire. Ce qui empêche les habitants de Nazareth de croire, c’est précisément la personne de Jésus, qu’ils croient connaître parce qu’ils l’ont vu grandir entre eux. Ils connaissent ses origines humbles, sa manière discrète d’être parmi eux. Ils l’ont même vu jouer avec leurs enfants. La difficulté des habitants de Nazareth est compréhensible : de reconnaître le Messie en leur compatriote est compréhensible. La présence de Dieu devrait être plus claire, plus nette.
Comment est-il possible que l’envoyé de Dieu se présente sous la forme d’un charpentier ?
Le rejet peut trouver sa raison même dans le désir de défendre la grandeur de Dieu : c’est, en effet, cette attitude des habitants de Nazareth qui étonnent le Christ avec leur grande incrédulité, comme l’évangéliste Marc l’écrit : « Et il s’étonna de leur manque de foi. ». Pour l’Evangile, l’incrédulité n’est pas seulement la négation de Dieu (ce n’est pas le cas des Nazaréens), mais l’incapacité à reconnaître Dieu dans l’humilité de l’homme Jésus, son appel dans la voix d’un homme qui semble être trop humain. Dieu est certainement grand, mais c’est à lui de choisir les moyens de manifester sa grandeur.
2) Surpris par une présence qui se propose
L’Évangile d’aujourd’hui nous montre que les auditeurs de Jésus vont de l’étonnement initial au scandale. L’étonnement est une attitude de départ, l’attitude de celui qui est frappé et donc forcé à se remettre en question, mais il s’agit d’une attitude qui peut aboutir à la fois à la foi et à l’incrédulité.
La sagesse des paroles de Jésus et la puissance de ses mains soulèvent des questions importantes : quelle est l’origine de cette sagesse et de cette puissance ? Qui est cet homme ?
La réponse est évidente : cet homme est le Fils de Dieu, mais une constatation inverse empêche cette réponse évidente : “N’est-il pas le charpentier ?”.
D’où le scandale, mot qui vient du grec et indique un obstacle à la foi, quelque chose qui nous empêche raisonnablement de croire. Ce qui empêche les Nazaréens de croire, c’est précisément la personne de Jésus, sa physionomie concrète, ses humbles origines, son humble façon d’apparaître parmi nous. Nous comprenons la difficulté des habitants de Nazareth : la présence de Dieu ne devrait-elle pas être plus brillante, plus importante ? Comment un envoyé de Dieu peut-il se présenter comme un charpentier ?
Jésus, le Fils de Dieu, est grand, mais il ne veut pas imposer sa grandeur. Il veut proposer son amour. Afin de ne pas violer notre liberté, le Christ se propose avec délicatesse, car « Dieu qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi » (saint Augustin d’Hippone).
Malheureusement, ses humbles origines, son humble façon d’être avec eux pour trente ans, empêchent les habitants de Nazareth de croire. L’objection à croire est précisément la personne de Jésus, qu’ils croient bien connaître.
Donc, si nous souhaitons être de vrais croyants, étonnés par le Christ et surpris par la joie qu’il apporte avec et par amour, nous devons croire que, dans l’apparente banalité de sa personne, Il nous apporte un amour qui nous rachète. Et la croix, non seulement celle du Calvaire, mais celle de la vie quotidienne normale, est une manifestation de l’amour et l’humble amour du Christ et est la vraie puissance qui se révèle justement dans cette apparente faiblesse.
Comme le rappelle l’Apôtre Paul, pour les Juifs, la Croix est skandalon, c’est-à-dire une pierre d’obstacle : elle semble entraver la foi du pieux Israélite. Pour eux (mais souvent aussi pour beaucoup d’entre nous), la Croix contredit l’essence même de Dieu, qui s’est manifesté par des signes prodigieux. Accepter la croix du Christ signifie donc faire une profonde conversion dans la façon de se rapporter à Dieu.
Comme Saint Paul nous l’enseigne, pour les Grecs – les païens – la Croix est la moría, la folie, littéralement l’insipidité, c’est-à-dire, une nourriture sans sel ; il s’agit d’une insulte au bon sens plutôt qu’une erreur.
Pour les premiers (les juifs), le critère de jugement pour s’opposer à la Croix est une fidélité à la Bible, mal interprétée ; pour les seconds (les Grecs), le critère de jugement pour s’opposer à la Croix est la fidélité à la raison, non pas comme fenêtre ouverte sur le mystère de l’Amour, mais comme mesure étroite qui ne peut accueillir ni mesurer l’infinité de l’amour miséricordieux du Christ
Dans la perspective apportée par le Christ, la toute-puissance de Dieu se manifeste à travers la faiblesse de l’humble, qui vainc la mort, avec la Croix qui n’est plus la clé d’entrée au tombeau pour y rester à jamais, mais clé pour ouvrir la dramatique porte de ce tombeau et entrer dans la vie réelle qui est faite de l’amour donné, partagé.
Dieu est amour et l’amour ne peut être qu’humilité. Le Christ révèle cette humilité de Dieu en s’incarnant et en demeurant parmi les hommes comme celui qui sert. L’humilité du Christ révèle l’amour d’un Dieu qui se donne totalement pour l’homme, pour sa rédemption. Le Fils de Dieu choisit le silence pour lui-même, le dernier lieu : la croix. On ne fait « rien » afin que l’homme soit tout. Et cela se produit chaque fois que le Christ se fait présente lors de la messe sous l’espèce du pain et du vin pour se faire nourriture et boisson pour nous tous.
Le Christ est humble car c’est l’amour qui se vide pour se donner, parce que l’amour est don. Le Fils de Dieu se révèle à l’homme et se rend présent en se donnant au point de se « perdre » en chacun de nous qu’il aime humblement et infiniment. Si nous pouvons connaître et comprendre l’humilité du Christ dans sa naissance à Bethléem, dans sa passion et sa mort, nous pouvons le comprendre, le connaître et l’expérimenter surtout dans l’Eucharistie. Dans l’Eucharistie, c’est l’humilité d’un Dieu qui, en nous aimant, s’anéantit et se donne tout à nous pour être notre vie, maintenant et pour l’éternité
3) Les vierges consacrées et l’humilité
Le Fils de Dieu – humilité – est incarnée pour être l’Epoux qui se donne tout à la mariée. Le projet divin se réalise dans l’alliance. Dieu se fait homme pour se donner à toute l’humanité, à chaque homme et à chaque femme.
Un exemple éminent de réponse au Christ humble époux est celui des vierges consacrées qui se donnent totalement et sponsalement à Lui, tout en faisant vraiment l’enseignement de sainte Claire d’Assise, qui, dans une lettre à sainte Agnès de Prague, écrivait : “Heureuse celle à qui est accordée cette intimité du banquet divin ! Heureuse si elle aime de tout son cœur Celui dont la beauté fait l’admiration des anges pour l’éternité, Celui dont l’amour rend plus heureux et la contemplation plus fort, Celui qui nous comble de sa bonté, qui nous imprègne de sa douceur, et dont le souvenir est si lumineux et si doux à notre âme, Celui dont le parfum fait revivre les morts et dont la vision comble de bonheur les habitants de la Jérusalem céleste, puisqu’il est la splendeur de la Gloire éternelle , l’éclat de la Lumière sans fin et le miroir sans tache .Contemple chaque jour ce miroir, O reine épouse de Jésus-Christ, et mire-toi continuellement pour savoir comment revêtir, intérieurement et extérieurement, tes plus beaux atours … Ce miroir reflète la bienheureuse pauvreté, la sainte humilité et l’ineffable amour : c’est là ce que tu pourras découvrir, avec la grâce de Dieu, sur toute la surface de ce miroir.” (Quatrième lettre. FF, 2901-2903).
Les vierges consacrées sont appelées à vivre l’humilité du et avec le Christ, en acceptant l’abaissement, pour se laisser porter par l’Amour. Grâce à leur humble vie, elles sont des témoins crédibles du Christ jusqu’au don total de soi-même ; elles deviennent des “hosties” qui imitent la seule hostie pure et sans tache que Dieu aime et qui est le Christ.
Lecture patristique
Syméon le Nouveau Théologien (949 1022)
Catéchèses, 29
SC 113, 164-169
Frères et Pères, beaucoup ne cessent de dire – et leurs paroles parviennent à nos oreilles -: « Si nous avions vécu au temps des Apôtres, et si nous avions été jugés dignes de voir le Christ comme eux, nous serions aussi devenus des saints comme eux. » Ils ignorent qu’il est le même, lui qui parle, maintenant comme alors, dans tout l’univers. Car s’il n’était pas le même jadis et maintenant, identiquement Dieu à tous égards, par ses opérations et par ses rites, comment le Père se montrerait-il toujours présent dans le Fils, et le Fils dans le Père, par l’Esprit, puisque le Christ dit: Mon Père est à l’œuvre jusqu’à maintenant, et moi aussi je suis à l’œuvre (Jn 5,17)?
Mais quelqu’un dira peut-être: « Ce n’est pas la même chose de l’avoir vu lui-même corporellement, en ce temps-là, ou d’entendre uniquement ses paroles aujourd’hui et recevoir un enseignement sur lui et sur son Royaume. Et je réponds: « La situation actuelle n’est sûrement pas la même que celle d’alors, mais c’est la situation d’aujourd’hui, de maintenant, qui est beaucoup plus heureuse. Elle nous conduit plus facilement à une foi et une conviction plus profondes que le fait de l’avoir vu et entendu alors corporellement. »
Alors, en effet, c’était un homme qui apparaissait aux Juifs sans intelligence, un homme d’humble condition; mais maintenant c’est un Dieu véritable qui nous est prêché. Alors, il fréquentait corporellement les publicains et les pécheurs et mangeait avec eux; mais maintenant il est assis à la droite de Dieu le Père, n’ayant jamais été séparé de lui en aucune manière. Nous croyons qu’il nourrit le monde entier et nous disons, si du moins nous sommes croyants, que sans lui rien ne s’est fait. Alors, même les gens de rien le méprisaient en disant: N’est-il pas le fils de Marie (Mc 13,15) et de Joseph (Lc 4,22), le charpentier (Mt 13,55)? Mais maintenant les rois et les princes l’adorent comme le Fils du vrai Dieu, et vrai Dieu lui-même, et il a glorifié et glorifie ceux qui l’adorent en esprit et en vérité, même s’il les corrige souvent quand ils pèchent. Eux qui étaient d’argile, il les rend de fer, les plaçant au-dessus de toutes les nations qui sont sous le ciel. Alors, il était tenu pour un homme corruptible et mortel parmi tous les autres. Dieu sans forme et invisible, il a reçu, sans subir d’altération ni de changement, une forme dans un corps humain et s’est montré totalement homme, en n’offrant aux regards rien de plus que les autres hommes. Mais il a mangé, bu, dormi, transpiré et s’est fatigué; il a fait tout ce que font les hommes, excepté le péché.
C’était une grande chose de reconnaître et de croire qu’un homme pareil était Dieu, celui qui a fait le ciel même, la terre et tout ce qu’ils contiennent. C’est pourquoi, lorsque Pierre a dit: Tu es le Fils du Dieu vivant, le Maître l’a déclaré bienheureux en ces termes: Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas: ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela – c’est-à-dire qui te l’ont fait voir et dire – mais mon Père qui est aux cieux (Mt 16,16-17).
Ainsi, celui qui actuellement écoute chaque jour Jésus proclamer et annoncer par les saints évangiles la volonté de son Père béni, sans lui obéir avec crainte et tremblement et sans garder ses commandements, n’aurait pas plus accepté alors de croire en lui, absolument pas, même s’il avait été présent, s’il l’avait vu lui-même et entendu prêcher. Il est même à craindre que, dans sa totale incrédulité, il l’aurait regardé comme un ennemi de Dieu, non comme le vrai Dieu, et l’aurait blasphémé.